Sénégal : rien ne va plus entre Oumar Sarr et son ex-mentor Abdoulaye Wade

| Par - à Dakar
L’ex-numéro deux du PDS, à Dakar, le 25 novembre.

Des années durant, ils ont cheminé ensemble, mais entre Abdoulaye Wade et Oumar Sarr, son ancien bras droit, la guerre est désormais déclarée.

Des « actes de défi », une « tournée nationale de propagande » et des « activités fractionnelles »… Ancien ministre et longtemps numéro deux du Parti démocratique sénégalais (PDS), Oumar Sarr s’imaginait-il être un jour dépeint comme un traître par celui qui fut son mentor en politique ? Que l’ex-­président Abdoulaye Wade pointerait du doigt de « nombreux actes tendant à saper l’unité du parti » et le considérerait comme « démissionnaire » ?

Au premier rang des griefs égrenés dans une circulaire datée du 18 novembre, sa participation – « en son nom propre », insiste Oumar Sarr – au dialogue politique ouvert par Macky Sall en mai. Un affront pour l’ancien chef de l’État, qui avait appelé au boycott de la concertation.

Dès lors qu’Oumar Sarr a pris des initiatives sans l’aval ­d’Abdoulaye Wade, il s’est mis en dehors du PDS

Peu importe qu’il se soit visiblement ravisé en participant à une réconciliation spectaculaire avec le président lors de l’inauguration de la mosquée Massalikoul Djinane, le 27 septembre. Puis Oumar Sarr, aux côtés de plusieurs barons libéraux, a créé le mouvement Suqali Sopi, sous le prétexte de favoriser la « refondation » d’un parti « poussif », ankylosé depuis des années.

La chute d’un fidèle

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Oumar Sarr et Abdoulaye Wade, en 2013. © DR / Facebook Oumar Sarr

En politique, les pas de côté peuvent se payer cher : « Dès lors qu’Oumar Sarr a pris des initiatives sans l’aval ­d’Abdoulaye Wade, il s’est mis en dehors du PDS », résume un membre de la direction du parti.

Le désaveu est violent pour celui qui fut, pendant sept ans, le secrétaire national adjoint de la formation fondée par « Le Vieux », avant d’être éjecté sans sommation de sa direction en août. « Je fais de la politique depuis longtemps et je suis habitué aux attaques », répond, imperturbable, l’intéressé.

Pourtant, au cours de ce septennat, Oumar Sarr n’avait jamais fait de vagues. « C’est un fidèle », assure l’un de ses collaborateurs, qui décrit un homme travailleur, loyal et discipliné. Après la défaite d’Abdoulaye Wade dans les urnes en 2012, cet ancien ministre a assuré son intérim. À chacun de ses retours à Dakar, l’ex-chef de l’État lui rendait d’ailleurs hommage.

Oumar Sarr se souvient très bien des circonstances dans lesquelles il s’est fait une place dans le premier cercle du « pape du Sopi ». En 1996, ce simple responsable de section dans sa région natale du Walo, dans la vallée du fleuve Sénégal, ravit la mairie de Dagana aux socialistes, alors au pouvoir. Sa carrière décolle. Abdoulaye Wade fera de lui son chargé des élections en 2000, puis lui confiera plusieurs portefeuilles ministériels durant ses douze ans de règne.

En avril 2012, au lendemain du départ d’Abdoulaye Wade, qui briguait un troisième mandat, chacun s’attend à une lutte de succession à la tête du PDS. Mais « Gorgui » coupe court aux ambitions de ses nombreux lieutenants en nommant Oumar Sarr numéro deux du parti, avant de s’envoler pour le Maroc puis pour la France.

« Il fallait quelqu’un pour chauffer le siège, le temps que Karim Wade soit prêt à prendre la relève », décrypte un cacique du parti. Quelqu’un avec des ambitions moins affirmées que les patrons libéraux d’alors, Pape Diop, Mamadou Seck, Habib Sy ou Abdoulaye Baldé, qui finiront tous par quitter le navire pour se lancer en solo, faute d’entrevoir un espoir de succéder au chef.

Douche froide

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Abdoulaye et Viviane Wade, entourés de leurs enfants, Sindiély et Karim.
Selon leurs détracteurs, le père serait désormais sous l’influence du fils. © facebook.com/abdoulayewade.officiel

Mon seul but est de faire en sorte que la dévolution du pouvoir au sein du PDS soit démocratique et non monarchique. Le parti ne revient pas de droit à Karim

Sept ans plus tard, l’état de grâce a pris fin. Longtemps jugé « rassurant », Oumar Sarr est désormais accusé par certains membres du comité directeur du PDS de vouloir « liquider Karim, défier le président et faire main basse sur le parti ». « Ce n’est pas une question d’ambition personnelle, rétorque l’intéressé. Mon seul but est de faire en sorte que la dévolution du pouvoir au sein du PDS soit démocratique et non monarchique. Le parti ne revient pas de droit à Karim. S’il veut en prendre la tête, qu’il vienne se battre avec nous, et ce sera aux militants d’en décider. »

Pour comprendre le bras de fer entre Oumar Sarr et Karim Wade, en exil au Qatar depuis 2016, il faut remonter à la présidentielle de février 2019. Entêté dans la stratégie du « Karim ou rien ! », le parti libéral se retrouve sans candidat à la suite du rejet du dossier du fils de l’ancien président par le Conseil constitutionnel, le 14 janvier.

« On se doutait bien que sa candidature ne serait pas retenue, mais nous avions besoin d’une mobilisation populaire pour faire pression sur le Conseil constitutionnel et le gouvernement. Or notre candidat n’est pas venu et il n’a jamais pris la peine de se justifier », explique Oumar Sarr. Après avoir effectué trois tournées aux quatre coins du Sénégal pour récolter des parrainages, ce dernier conclut, amer : « On s’est moqué de moi. »

Le dialogue de la rupture

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Karim Wade, fils de l'ancien président de la République Abdoulaye Wade, le 15 mars 2013. © STR/AP/SIPA

Karim est le seul à s’être opposé au dialogue, exigeant avant tout compromis une révision de son procès

L’acte II de la rupture intervient trois mois plus tard. Depuis le scrutin, Oumar Sarr s’est « remis au travail, malgré la déception ». Il enchaîne les réunions avec Abdoulaye Wade, comme ce 8 mai, lorsque les deux hommes définissent à huis clos, pendant près de trois heures, la stratégie du PDS à l’égard du dialogue politique.

« Nous étions d’accord sur tous les points », soutient Oumar Sarr. Ce jour-là, « le Vieux » le charge d’aller convaincre une partie de l’opposition de participer à la concertation aux côtés des libéraux, « sans exiger de préalable ». Mais, le soir même, « c’est la douche froide ». Vers 20 heures, sans en avoir été prévenu, Oumar Sarr reçoit un communiqué du PDS annonçant le boycott. Le document est signé de la main d’Abdoulaye Wade.

À l’époque, plusieurs cadres confient, sous le couvert de l’anonymat, que Karim est le seul à s’être opposé au dialogue, exigeant avant tout compromis une révision de son procès. « On est aujourd’hui en mesure d’obtenir une amnistie, mais il faudrait accepter les caprices d’un enfant gâté qui a changé d’avis et exige désormais une révision ? » vitupère un ex-ministre d’Abdoulaye Wade, convaincu que le revirement de situation à propos du dialogue est un diktat imposé depuis Doha.

Éjecté par les « karimistes »

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Une manifestation de soutien à Karim Wade, le 23 avril 2013 à Dakar (image d'illustration). © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

D’Irissa Seck à Macky Sall, Abdoulaye Wade a toujours zigouillé ses numéros deux

Oumar Sarr décide alors de « prendre [ses] responsabilités ». Le 28 mai, il se rend au palais présidentiel pour assister à l’ouverture du dialogue. Ulcéré, Abdoulaye Wade réprimande son ancien obligé tout en lui assurant que son poste de secrétaire général adjoint n’est pas en danger. Le 9 août, pourtant, à la faveur d’un remaniement qui fait la part belle aux « karimistes », Oumar Sarr est éjecté des instances dirigeantes du PDS.

Pour plusieurs barons de la formation, comme Amadou Sall, vieux compagnon de route d’Abdoulaye Wade, ou Babacar Gaye, ex-porte-parole du parti, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ces fidèles refusent le poste qui leur est offert pour rejoindre Oumar Sarr au sein de Suqali Sopi. Ce dernier en est convaincu : ce remaniement tout comme la note du 18 novembre sont l’œuvre de Karim Wade. Reste un constat : Abdoulaye Wade les assume. « On ne peut pas s’en prendre à un homme de son âge. Et puis il est trop aimé dans le pays, on n’y touche pas », admet l’un de ses anciens lieutenants.

« D’Idrissa Seck à Macky Sall, Abdoulaye Wade a toujours zigouillé ses numéros deux, résume un leader de l’opposition proche de l’ancien président. Mais, cette fois-ci, cela pourrait lui coûter cher. Des hommes comme Amadou Sall, Babacar Gaye ou Oumar Sarr sont d’excellents politiciens. Et si Wade les place en position de frondeurs, il pourrait bien avoir à le regretter. »