Mon regard sur la mission en France

Henry Moses ARIHO, Jeune ougandais de trente-trois ans,

Henry Moses Ariho M.Afr., qui a été en stage à notre communauté de Marseille de 2017 à 2019,
est actuellement étudiant en théologie à Abidjan.
Cet article est dans la revue Spiritus N° 237 de décembre 2019 pp 438à 444.

 

Moses Ariho est en formation chez les Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs). Après trois années d'études de philosophie, suivies de l'année spirituelle (noviciat), il a été envoyé à Marseille pour deux ans de stage dans la communauté des Missionnaires d'Afrique en charge de la paroisse Saint-Antoine et Notre-Dame Limite, dans le XVèmearrondissement de la ville.

 

Je suis né au sud-ouest de l'Ouganda où plus de 85 % des habitants sont chrétiens pratiquants. L'Église y est vivante ; la foi est grande et, partout, la vie quotidienne est toujours influencée par la religion. Je suis arrivé en Europe à l'automne 2017. Je me suis rendu en Pologne, en Espagne, en Allemagne et en Suisse. J'ai vécu une belle expérience que je me propose de partager ici. Pour faire mon stage apostolique, j'ai été envoyé par mes responsables en province d'Europe, plus précisément en France, dans un des quartiers populaires du nord de la ville de Marseille où j'ai vécu pendant presque tout mon séjour.DécouverteJ'avais des attentes très liées à mon expérience en Afrique de l'Est dans les domaines de la politique, de l'économie et de la religion. Mais, à Marseille, sauf l'humanité qui est semblable partout, tout est différent. On y voit de belles églises construites depuis très longtemps. Je me suis dit que la foi y a été forte et que ces églises étaient bien fréquentées il y a cinquante ans. Ce n'est plus tout à fait le cas aujourd'hui. Évidemment, certaines églises accueillent de nombreux fidèles le dimanche ; mais, le plus souvent, d'après ce que je vois, les églises sont quasiment vides, ou alors fréquentées seulement par des personnes âgées et quelques migrants africains, asiatiques ou d'ailleurs. Je suis persuadé que les gens croient en quelque chose et en Dieu, mais ils ne pratiquent pas comme jesuis habitué à le voir chez moi. Leur spiritualité est différente : ils aident les pauvres, accueillent des migrants ; ils emplissent les stades de football, de rugby, de tennis ; ils font du sport, dansent, s'abonnent au théâtre, au cinéma ; ils manifestent dans les rues en chantant ou en criant des slogans ; pour les vacances, ils partent avec leur famille et leurs proches.J'ai eu aussi la chance de participer, à Paris, à une « Session Welcome », où j'ai découvert certains aspects de la culture française. Cette session est arrivée au bon moment pour moi. Elle m'a introduit aux détails de l'histoire du pays dans les domaines religieux, culturel, politique et un peu économique. Nous avons aussi parlé de la laïcité et des raisons pour lesquelles les églises sont quasiment vides. Comme nous étions nombreux à venirpour la mission en France, j'en ai profité pour écouter l'expérience de ceux qui avaient déjà plus de deux ans de présence.Le pèlerinage en Pologne des aumôneries de jeunes de Marseille a été une belle expérience. J'étais avec cent quarante pèlerins du diocèse. C'était la première fois de ma vie que j'étais au milieu de tant d'Européens : j'ai appris beaucoup à propos de leur culture et de leur mode de vie. J'ai eu aussi la chance de prier dans des lieux saints : au village de Jean-Paul II, à Notre-Daine de la Miséricorde divine, chez Maximilien Kolbe ; et je me suis laissé interpeller par la philosophie de Nicolas Copernic à l'université de Cracovie.

Mes réactionsface à l'entourage, à la langue, à la cultureJ'ai suivi un cours de français à l'Alliance française. L'entourage m'a aidé à bien saisir la langue. J'ai fait aussi la connaissance d'étudiants de plus de quinze nationalités. Quelques-uns m'ont rendu visite dans la communauté et d'autres, surtout des non-croyants et des musulmans, m'ont invité chez eux pour partager nos expériences. Ces visites m'ont donné l'occasion de pratiquer la langue dont la connaissance m'était indispensable.Culturellement, je trouve le lieu de mon stage plutôt diversifié : il n'y a quasiment pas de culture unique ; ce qui constitue la culturede Marseille c'est un mélange d'origines et d'accents différents, de repas mixtes. Cela m'a appris à respecter chaque personne pour ce qu'elle est, à comprendre ces différences et cette diversité urbaine. La mixité culturelle m'a beaucoup plu et m'a mis à l'aise. Bien évidemment, je n'oublie pas un des traits de la culture française : l'importance du repas où l'on se retrouve pour prendre l'apéritif et manger tout en échangeant. Beaucoup de discussions ont lieu au cours du repas. Je n'ai pas fait le compte de tous les morceaux de fromage et des cafés qui m'ont enraciné dans la culture française... Et si quelqu'un veut saisir cette culture en faisant l'impasse sur le fromage et la tasse de café, sa compréhension en sera différente. Il me semble que c'est au cours du repas ou du café que j'ai le plus appris sur la culture française. Ilest évident que la culture se dit à travers la langue française ; en parlant cette langue, on entre donc dans sa culture, et c'est formidable.Mission de présence, de témoignage, de rencontreEn France, on peut évangéliser, mais pas avec la Bible en main comme autrefois. Ilfaut d'abord méditer l'Évangile, puis en vivre avec les gens. La façon d'en vivre diffère selon le lieu où l'on se trouve.: en prison, à l'hôpital, au collège, dans une cité, à l'accueil des SDF (Sans domicile fixe), avec des gens d'autres religions ou des non-croyants... L'important, c'est d'essayer d'être un témoin, proche des gens, et d'apprendre à les écouter. Et si une occasion se présente d'évangéliser en paroles, alorson peut le faire.Marseille est multiculturelle et multi-religieuse. Il y a des églises catholiques, orthodoxes, arméniennes ; des temples évangéliques, protestants et ceux des Témoins de Jéhovah ; des synagogues et de nombreuses mosquées. Il faut aussi comprendre que la vie spirituelle a été affectée par la séparation des Églises et de l'État depuis 1905. L'Église a souffert depuis la Révolution française de 1789, et aussi à cause du bouleversement de la société qui a suivi les événements de mai 1968 enFrance. De plus, la déclaration de la laïcité de l'État français a beaucoup marqué la vie ecclésiale dans le pays. De ce fait, des Églises existent bien, mais la chute de la pratique religieuse a affecté la jeune génération : on voit davantage de personnes âgées que de jeunes fréquenter les églises, et cela cheztoutes les confessions. En revanche, les jeunes qui participent à la vie de l'Église me semblent très motivés.

Divers types de communautés

Mes premières rencontres ont été celles de notre communauté composée de quatre confrères. Ceux-d ont eu à mon égard une attitude positive, tous prêts à m'indiquer le chemin à suivre. Ils ont été patients avec moi alors que je ne parlais pas bien le français et avais du mal à me faire comprendre. J'ai eu le sentiment d'être des leurs. Ils m'ont bien guidé dans toutes les directions. Cette communauté de vie m'a ouvert à d'autres communautés à l'extérieur : celle des paroissiens et celle des associations où ils font leur apostolat. Toutes ces communautés m'ont accordé leur soutien pour que mon stage se déroule bien. Les gens ont toujours été prêts à m'aider, à travailler avec moi. Je me suis senti accepté dans mes engagements et je leur en suis reconnaissant. Ils le faisaient simplement, par exemple lors d'une invitation pour un café : cela nous donnait l'occasion de planifier des activités ensemble. Grâce aux transports en commun, j'ai appris aussi à connaître une autre communauté : dans le bus, on se salue, on se parle, on fait connaissance. Cette communauté-là m'a enseigné l'importance du dialogue. Je rends gloire à Dieu pour ces communautés qui m'ont aidé à découvrir presque tous les côtés de la mission à Marseille.Pendant mon stage, j'ai également rencontré des gens qui ne croient pas et qui ne partagent pas la même religion ni les mêmes convictions que moi. J'y ai fait des rencontres et j'ai dialogué avec tant de personnes, surtout des musulmans. Nous avons un local qui se trouve dans une cité où les musulmans sont majoritaires. Je fréquentais cette cité au moins deux fois par semaine pour y faire des rencontres que j'ai trouvé intéressantes. Je participais aussi à d'autres rencontres organisées par les imams et les prêtres de Marseille. Je suis intéresséà en connaitre davantage sur cet aspect de la mission. J'aime aussi travailler pour la justice, la paix et l'intégrité de la création. Je m'intéresse à l'écologie en vue de protéger et de conserver notre terre ; j'ai eu l'occasion de m'y engager en particulier avec les jeunes de notre aumônerie : nous avonsparticipé à une conférence donnée par une écologiste et à des actions de tri des déchets.Rencontres simplement humainesDepuis l'été 2018, je me rends dans l'une des cités qu'on appelle « La Solidarité ». Nous y avons un local soutenu par une association des amis d'Étienne Renaud. Ce local a pour but de garder le contact avec les gens, surtout les musulmans qui vivent là. Pour bien entrer dans ce monde, j'ai commencé à jouer au basket sur le terrain de cette cité. Au départ, je jouais tout seul ; et après deux ou trois fois, trois garçons-m'ont rejoint. Nous avons joué ensemble sans nous parler ; c'était un peu froid parce qu'on ne se connaissait pas. Cela m'a encouragé à provoquer d'autres rencontres avec quelques jeunes de la cité 'et on s'est donné rendez-vous pour jouer ensemble le lendemain. Les jours suivants, on a continué à jouer... Ils ont invité leurs amis ; je leur ai alors demandé leur nom et je me suis présenté. Ce qui est merveilleux, c'est qu'en entendant mon prénom, ils étaient tous contents et prêts à le traduire en « Moussa » ; du coup, ils m'ont appelé « Tonton Moussa ». Ils m'ont aussi posé plusieurs questions, du genre : « Es-tu musulman ? » Mon but, c'était de rencontrer les gens de la cité.Je suis particulièrement attiré par ce qui touche à l'humanité des gens. Cela m'a rendu proche de gens de toutes origines et m'a appris ce qu'est la vie humaine, la souffrance dans notre monde. Pour décrire ce type d'apostolat, je peux prendre l'exemple duSecours Catholique de Marseille. Il a créé des lieux d'accueil pour les SDF : ce sont des gens du pays, mais aussi d'autres qui arrivent de loin. Un de ces centres, appelé Maison Béthanie, ouvre quatre jours par semaine : des gens y viennent pour se doucher, pour voir le médecin, le podologue ou la psychologue, pour boire un café ; mais aussi pour savoir où aller manger ou être hébergé, pour recevoir leur courrier, apprendre le français et rédiger des documents administratifs. Nous avons aussi un groupe de jeunes auxquels sont proposées des activités pour les occuper, puisqu'ils n'ont rien à faire. Nous jouons au foot, nous préparons à manger, nous organisons des sorties et nous allons au cinéma ou au théâtre ; nous échangeons sur des sujets qui les concernent. J'étais chargé des inscriptions, puis d'accompagner les jeunes au stade, toujours ému en les écoutant parler de leurs rêves.

L'impact qu'a eu sur moi le stage

L'Église est à la fois universelle et particulière. La façon dont j'envisageais la vie de l'Église en Ouganda était vraiment très différente de celle de la France. L'apostolat, là-bas, c'est surtout l'évangélisation, la vie sacramentelle en paroisse avec une foule de chrétiens qui remplissent les églises. Mais, après ce temps de stage en France, je reconnais que j'ai accédé à une nouvelle vision de l'Église, où l'on fait plus de travail social et moins de tâches strictement liturgiques. Je me sens maintenant davantage porté à m'impliquer dans la vie sociale et à comprendre ce que des gens vivent au quotidien plutôt qu'à ne m'engager quedans la pastorale sacramentelle. Mon stage m'a appris que la mission est ouverte à tous les aspects de la vie humaine et je suis invité à y participer franchement.J'ai appris à vivre dans des lieux où la mission est plutôt une présence auprès des gens. J'ai perdu l'habitude de trouver sur place des groupes de jeunes déjà formés, attendant l'arrivée des séminaristes, d'avoir affaire à des adultes hommes et femmes déjà formés eux aussi, d'avoir des églises pleines de monde tous les dimanches. J'ai découvert un autre visage de la mission. La façon de voir que j'avais reçue dans mon pays a changé.Notre mission à Marseille est plutôt orientée vers la rencontre. Je trouve cela bon. J'ai bien aimé les moments où j'ai parlé avec d'autres personnes : c'est tellement impressionnant de dialoguer avec des gens que je ne connaissais pas auparavant. Leur vie est différente mais tout aussi pleine de valeur. J'ai été touché par ces gens me disant n'avoir personne à qui confier leurs expériences, comme par exemple ceux qui se lançaient dans des discussions avec moi dans le bus. Je rends grâce à Dieu pour ces surprises de la mission.J'ai aussi appris à vivre loin de ma famille, de mes amis et de mon confort. J'ai commencé presque à zéro, car tout était nouveau pourmoi : le mode de vie, la culture, les saisons, la langue... Hors de ma culture, de mon climat habituel, j'ai appris à être ouvert à la nouveauté et à m'y adapter.Les difficultés rencontréesAu début, j'ai eu du mal à gérer le temps, à la fois le temps qui passe et le temps qu'il fait. En France, le temps (la météo) change avec les saisons, ainsi que les températures : pendant l'automne, je portais des habits d'hiver ou d'été. À cause d'une mauvaise appréciation du temps qui passe, j'étais tantôt en avance pour des rendez-vous, et tantôt en retard. Par ailleurs, la vie quotidienne est exigeante à cause de l'automatisation : carte de transport à valider à chaque montée dans le bus, le tramway ou le métro ; en plus il faut demander l'arrêt, sinon le bus continue vers la station suivante. Il faut s'accoutumer à la carte bancaire pour faire ses achats, aux ascenseurs, au mot de passe ou au code pour entrer dans certains lieux, à la machine à laver la vaisselle... Il m'a fallu du temps et beaucoup d'efforts pour m'habituer à tout cela.Un nouveau regard sur la missionPour conclure, disons que mon expérience en Europe était tout à fait nouvelle et pleine de multiples découvertes : la langue, les coutumes, la diversité, le développement des infrastructures, la croyance, l'accueil, la technologie moderne, l'art...j'ai apprécié tout cela. Je me suis franchement plongé dans ce monde où j'ai vécu et j'ai acquis un nouveau regard sur la mission. Je rendsgrâce à Dieu qui m'a soutenu jusqu'à la fin de mon stage.