LA MISSION : L’AUTRE SI DIFFERENT ET POURTANT SI PROCHE DE SOI 

Peu de temps (trois jours) après mon arrivée à Guadalajara au Mexique j’ai eu la chance d’assister à l’ordination sacerdotale suivie de la messe d’action de grâces de notre jeune confrère Ismaël Mendez. À travers le récit de quelques rencontres, je vous livre mes premières impressions et ce que cela suscite en moi.

Imposition des mainsDéjà au départ de notre maison de Querétaro pour le lieu d’ordination, je sentais le regard de beaucoup de passagers rivé sur moi ; les plus « courageux » avançaient vers moi en souriant et m’embrassaient. Je sentais la chaleur humaine dans leurs gestes, même si je dois avouer que je n’étais pas à l’aise dans ma peau de prime abord. Après la cérémonie d’ordination, ayant remarqué que j’avais concélébré, les fidèles affluaient vers moi, soit pour saluer soit surtout pour demander à se faire photographier avec moi. Les plus petits avec leur sourire de curiosité infantile semblaient vouloir me dire « laisse nous te toucher. » Et je me prêtais volontiers aux jeux de ces derniers soit en les prenant soit en les serrant contre moi pour prendre des photos qu’ils   réclamaient d’eux-mêmes ou que leurs parents sollicitaient. Chaque prise de photo se terminait par une bénédiction. A dire vrai, à un moment donné, je  sentais que mes pieds ne touchaient plus le sol : « Qui suis-je moi pour être tant sollicité pour des photos ? » 

Ma réponse à cette question je la trouve dans 3 faits.

1. L’autre si différent et si proche de moi.

En me promenant au lieu de l’ordination, une vendeuse m’apostrophe et engage une conversation que je semble avoir ainsi compris dans mon espagnol très approximatif.

- Toi aussi, tu es un prêtre ?

- Oui je le suis.

- C’est la première fois pour moi de voir un prêtre africain (elle a l’air étonné et me regarde).  Peux-tu me dire ce qui t’a amené à devenir prêtre ?

- Accepterais-tu, toi, de me dire ce qui t’a motivée à me parler sans m’avoir connu auparavant ?

- Mais c’est parce que tu es un padre. Alors je sais que je peux te parler sans problèmes.

- Eh bien, avant d’être prêtre, je suis un enfant de Dieu comme toi, c’est pour vivre et annoncer cet amour possible même entre inconnus au delà des frontières et des pays que je me suis fait prêtre. Vois-tu comment cet amour de Jésus nous a réunis toi, moi et les autres  aujourd’hui ?

-Claro padre (bien sur, père). Merci et que Dieu te bénisse !

De par son questionnement et sa simplicité cette dame venait de me faire prendre conscience de ma vocation missionnaire et du sens à donner à ma présence au Mexique. Dios la bendiga tambien ! ( Que Dieu la bénisse aussi !) Comme le dit le psalmiste,  « l’amour parfait chasse la crainte. »

2. Le baiser de la communion fraternelle

Une autre chose qui m’a frappé fut de voir les fidèles baiser très souvent la main du prêtre quand ils le saluent. Après que trois premières personnes m’eurent  baisé la main je décidai à partir de cet instant  de cacher ma main dans ma poche quand je saluais quelqu’un. Eh bien  ce fut peine perdue ! Je ne savais pas alors quelle devait être mon attitude. Je m’en fus trouver un confrère mexicain et lui demandai la ligne à suivre. La réponse fut cinglante : «Si tu ne veux pas qu’ils te baisent la main dis leur de disparaitre, sinon, souris et accueille ! » Et il avait raison ce confrère sauf que je lui ai laissé la première partie de sa réponse. Au fond, j’ai lu à travers ce geste symbolique toute l’affection et la considération que les fidèles ont envers leurs pasteurs. En plus, cet amour que l’on me manifeste, je suis simplement appelé à l’accueillir ; oui, à l’accueillir tout court sans philosopher là-dessus ni à chercher des formules adéquates pour y répondre.

Cela m’a amené tout le long du chemin retour et tard dans la soirée à regarder de prêt la dignité (pas dans le sens de la grandeur du rang social ou ecclésial) du sacerdoce et ce que cela incombe comme service, humilité, dévouement, compassion, proximité avec les gens. Prêtre, comment me situer face au peuple de Dieu dans mon quotidien ? J’avoue avoir renouvelé intérieurement mes promesses baptismales et sacerdotales tout en me sentant petit et fragile mais certain que « Sa grâce me suffit ».

3. « Regarde ton père là-bas. »

Jean Paul GuibilaEntre une conversation à gauche et une prise de photo à droite, j’entends le père Julien Cormier provincial des Amériques m’apostropher. « Occupe-toi de cet enfant à coté de toi, il veut te parler. Son papa ne cesse de lui dire en parlant de toi : Regarde ton père la bas, vas vers lui ! » Je prête donc attention à ce jeune garçon qui n’attendait que cela et j’engage une conversation avec lui. À quelques pas de nous, son père quant à lui affichait un sourire béat. Je lui demande en quoi suis-je le père de son enfant ?  « Il a la même peau (noire) que toi. » dixit. Et moi d’enchainer : « S’il en est ainsi, je vais l’amener avec moi en Afrique ; mais j’attends qu’il grandisse et qu’il se fasse missionnaire d’Afrique. » Sourires d’approbation du père et du fils vinrent conclure ce dialogue. En allant plus loin dans cette interaction, je vois  tout simplement la manière, quoique humoristique, dont le père et le fils se sont intéressés a l’étranger que je suis. En réalité, cet enfant a beau être noir de peau, je demeure cent fois plus noir que lui. En créant les conditions pour accéder au désir de son fils de s’approcher d’un Africain pour la première fois, ce papa était entrain d’ouvrir des horizons plus larges à son fils. Par ce fait, il m’invitait aussi à ouvrir mon cœur à l’autre qui pourrait me voir différent. C’est ainsi que je fus, une fois de plus, replongé dans une attitude missionnaire à vivre constamment. Pour être un bon prêtre et un vrai missionnaire, je suis constamment appelé à me faire amis des personnes que je rencontre (cf. homélie de la messe d’action de grâces d’Ismaël), en les ouvrant à des perspectives nouvelles et plus larges.

Au demeurant, l’on me dira qu’après six jours je ne connais rien de la réalité mexicaine,  ce qui est très vrai ! Cependant, je voudrais que ces premiers souvenirs et ces réflexions m’accompagnent tout au long de ma mission dans ce pays. Elles viennent non pas de mes analyses intellectuelles faites de jugements et d’idéologie mais de mon cœur et de mes trippes. Je suis conscient que si les Mexicains sont des descendants d’Adam et d’Ève, donc appartenant à l’humanité, certes en eux subsistent des traces du péché originel. Nonobstant cela, avec eux et pour eux, je voudrais construire le Royaume de Dieu avec ce qu’ils m’ont donné de voir ces premiers jours : leur ouverture à l’étranger, l’intérêt à l’autre, leur générosité qui se manifeste dans un élan de solidarité et enfin leur affection.

En vue de m’introduire dans l’Église mexicaine, je suis entrain de lire un livre intitulé Historia de la Iglesia en Mexico. Sur la page couverture, il est écrit « No podra descansar la Iglesia hasta que la nacion mexicana sea cristiana, humana y justa, donde a nadie le falte el pan de cada dia, ni Jesus, el Pan de la vida » i.e L’Église ne saurait se reposer jusqu’au jour où la nation mexicaine sera chrétienne, humaine et juste, une nation où ne manque ni le pain quotidien, ni Jésus le Pain de vie. » Cette phrase vient à point nommé corroborer ce que je porte au fond de moi-même comme missionnaire, car elle est dépouillée de toute idéologie, de tout esprit conquérant et de tout bellicisme. Être chrétien, c’est être humain. Être pleinement humain, c’est conjuguer l’humain avec le divin.

                             Guadalajara, Mexique, ce 31 Aout 2011,

                             Jean Paul Windbarka Guibila M .Afr