Charles SartiC'est une coutume que j'ai rencontrée chez les Mossi ( mais qui doit exister ailleurs) : quand une femme accouche d'une fille, la première personne qui vient la féliciter - si c'est un homme - peut appeler la nouvelle née : sa fiancée et, du coup, sa maman devient sa belle-mère. À partir de ce moment, il n'appellera plus les parents de l'enfant par leur nom, mais “rèèmba”, c'est-à-dire : mes beaux parents

L'histoire, tout ce qu'il y a de plus vrai, s'est déroulée à Mossempiè. Lors d'une de mes visites, le catéchiste m'informe qu’il vient d'y avoir une naissance dans la cour du chef. Nous allons saluer la maman et la féliciter. Il s'agit de la femme d'un frère du chef.

Elle a accouché d'une fille et nous sommes les premiers “étrangers” à la cour à venir la saluer. C'est une fille qu'elle a "gagnée". Comme il n'y a pas longtemps que j'ai découvert cette coutume, je saute sur l'occasion : c'est ma fiancée ! Personne n'est dupe : nous rions un bon coup et nous faisons comme si c'était sérieux.

À partir de ce jour, j'appelle Talato ma “fiancée”. Et quand je rencontre sa maman je la salue : “Bonjour ma rèèmba”. À Mossempiè, tout le monde joue le jeu : quelle que soit la personne à qui je demande des nouvelles de ma rèèmba, elle sait de qui je parle.

Talato devait avoir trois ou quatre ans quand, un beau matin, le catéchiste m'envoie un jeune pour me prévenir que ma “rèèmba” est décédée. Nous sortons de la messe, je bondis sur ma mobylette. En arrivant, je vois trois jeunes qui sortent de la cour du chef avec chacun sa pioche : ils vont creuser la tombe. Je vais chez le catéchiste pour qu'il m'explique les circonstances du drame. “La veille, elle est revenue des champs avec une pintade crevée. C'est la période des semailles et les paysans mêlent à leurs semences un poison pour empêcher les bestioles de les picorer. Cette pintade a été trop gourmande et elle y a laissé la vie.

Tout le monde dit à ma rèèmba de jeter cette bestiole. Pas question : elle va la faire bouillir et rebouillir. Finalement, elle seule en mangera, car le papa a défendu à ses enfants d'en manger. Ce qui devait arriver arriva : le lendemain matin, elle ne s'est pas réveillée.”

Avec le catéchiste, nous allons auprès de la défunte : on l'a étendue sur une natte, recouverte d'un drap blanc. Elle est veillée par deux femmes de la cour. Nous nous agenouillons près d'elle : je fais un signe de croix sur son front. En fait, elle n'était même pas catéchumène : aux grandes fêtes, il lui arrivait de venir à la messe, pas plus.

À un certain moment, il m'a semblé entendre un très léger soupir ? Je lui tâte le pouls au poignet, puis au cou, enfin à la tempe ; mais je ne saurais dire si c'est mon propre pouls que je sens ou le sien. Je suis envahi par le doute.
Finalement je dis : “Excusez-moi. Je ne suis pas convaincu de son décès. Comme c'est ma belle-mère, je vais l'emmener au dispensaire. Si elle est vraiment morte, on l'enterrera ce soir avant le coucher du soleil”.

Je prends ma mobylette et retourne à la Mission (pas plus de trois kilomètres) et reviens avec ma 2CV. J'embarque ma belle-mère à l'arrière et me voilà parti au dispensaire. À l'infirmier qui nous accueille, je la recommande chaudement, après lui avoir expliqué son cas. Et j'ajoute : “Soignez-la bien. S'il faut des piqures ou des perfusions, je payerai : c'est ma “rèèmba”. L'infirmier éclate de rire.

Je ne me souviens plus du traitement qu'on lui a fait subir, mais vers 15 heures, elle a commencé à remuer une paupière, puis l'autre. Finalement, elle a fait une dizaine de jours au dispensaire pour une désintoxication en règle et les jeunes ont dû reboucher la tombe qu'ils avaient commencé à creuser. Quant à ma “fiancée de coutume”, elle est mariée je ne sais où.

                               Charles Sarti