Histoire de mariage

Charles SartiChristine a été baptisée vers les 14-15 ans, avec l'accord de son père, catéchumène, de nom seulement. II affirme que sa fille n'a pas été promise en mariage selon la coutume mossi et que, puisqu'elle a été à l'école, il la laissera se marier en toute liberté. Or en 1965, il la donne à un musulman qui, se rendant compte de la réticence de cette jeune femme, l'emmène en Côte d'Ivoire et l'oblige même à faire le Salam (la prière musulmane). Pendant trois ans et demi, elle vit en milieu musulman sans aucun contact ni avec un prêtre, ni avec un catéchiste ou même un simple chrétien. Malade, elle est ramenée au pays. À l'occasion d'un séjour au dispensaire de Toma, elle reprend contact avec un catéchiste puis avec moi.

Elle me raconte son histoire en ajoutant : je n'ai jamais manqué ma prière ni du matin ni du soir. On m'avait enlevé ma croix et mon chapelet, mais je le disais en comptant sur mes doigts. Depuis mon retour, on ne m'oblige plus à la prière musulmane. Elle a deux enfants et en attend un troisième. Elle ajoute : “J'ai duré sans communier, j'ai faim de l'Eucharistie”.

J'essaye de la consoler comme je peux : “Probablement que tu mérites plus que moi l'Eucharistie, vu ta persévérance dans la foi chrétienne, mais je ne peux pas te donner les sacrements : il faut avoir fait le mariage chrétien”. Elle part tout en larmes.

À Noël, elle revient à la charge : “Écoute Christine, je voudrais bien te donner l'Eucharistie, mais là où tu es, je ne peux pas. Prie Jésus, il peut venir dans ton coeur, sans passer par les sacrements.” Cela ne lui suffit pas : “Je m'entends bien avec Marou, il est doux avec moi mais, s'il en est ainsi, je vais m'enfuir”. - “Non, Christine, ne fais pas cela. Où iras-tu ? Aucune loi, aucune administration ne peuvent t'aider. Écoute, prie de tout ton coeur et demande à l'Esprit Saint de m'aider à trouver une solution.”

Je tente alors quelque chose qui me paraît impossible : je vais trouver le vieux chef de cour et son fils Marou, le mari de Christine : “J'ai appris que vous aviez une femme chrétienne dans votre cour et je suis venu vous saluer. Elle m'a dit que vous la laissez maintenant prier Dieu dans son coeur, comme elle l’a appris dans sa jeunesse. Je vous félicite : car la prière qui plaît à Dieu est celle qu'on lui fait librement. Vous connaissez la coutume des chrétiens : ils se réunissent le dimanche pour prier Dieu. Laissez donc Christine aller à Koné (un village à trois km). Soyez sans crainte : elle n'en profitera pas pour se sauver : au contraire, ce sera pour elle une grande joie qui l'attachera davantage à vous.”

Plusieurs dimanches, Marou a prêté son vélo à Christine pour aller à Koné. Petit à petit, je suis allé parler mariage chrétien avec eux (Marou était monogame) : je leur ai bien expliqué que l'Église respecte la conscience de chacun et que Marou pouvait garder sa foi musulmane. Quant aux enfants, c'était à eux de décider : c'était leurs enfants : l'Église respecterait leur décision. J'ai même ajouté : “Si Marou ne veut pas venir dans une église, je peux venir dans votre cour : Dieu est partout, car nous sommes tous ses enfants. Selon la coutume des chrétiens, je viendrai bénir votre union au nom de Dieu et de l'Église dont Christine est membre. Si vous aimez Christine, comme elle me l'a dit, vous pouvez accepter cette démarche qui lui permettra de vivre pleinement sa foi et de profiter de toutes les aides de l'Église.” Ils ont fini par accepter.

Le mardi de Pâques 1972, deux ans après notre première rencontre, accompagné d'un catéchiste et de deux responsables de la communauté chrétienne de Mossempiè, je suis allé bénir le mariage de Marou et Christine. Pas de messe, mais une belle célébration de la Parole de Dieu. Comme 1ère lecture : Genèse 2, 18-25 qui nous montre que la femme est le plus beau cadeau que Dieu ait fait à l'homme. Comme Évangile : Matthieu 19, 2-6 : Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas.

Dans mon homélie, j'ai insisté sur l'unité et l'indissolubilité du mariage. Comme chants : des psaumes. Tout au long de la cérémonie, et longtemps après, je pensais à cette parole de 1 Jean 5, 4 : “Cette victoire qui triomphe du monde, c'est notre foi”. Alors que, pour moi, c'était réglé : il n'y avait rien à faire, la foi tenace de Christine nous a vaincus tous : ces braves musulmans et moi aussi, missionnaire du Christ.

Charles Sarti