Lors du Conseil de Secteur France au mois de septembre 2017, Gérard Chabanon, provincial d''Europe, avait proposé le texte suivant, écrit par Madeleine DELBREL

 

CE N'EST PAS RESPECTER L'HOMME
QUE LAISSER TON FRERE SE CONDUIRE COMME UN ANE.
(Madeleine DELBREL)

On pense respecter son confrère en ne lui disant pas la vérité. Il boit trop, mange mal et parle sans arrêt. Son hygiène personnelle laisse à désirer ; il nous surprend par ses impatiences ou ses longs silences. Personne n'ose lui en parler directement mais tout le monde profite de son absence pour le critiquer. On pense respecter son confrère si on ne lui révèle pas qu'on est fatigué de l'entendre se plaindre parce que bien souvent il pense qu'il est un sacrifié. Il a été victime d'un supérieur il y a trente ans qui l'a envoyé dans une mission qu'il ne pouvait pas accomplir. A cette époque-là il était trop naïf et trop généreux pour refuser cette demande et parce que personne d'autre ne voulait y aller. Mais trente ans ont passé.

Un autre se plaint parce qu'il travaille encore à soixante-quinze ans et qu'on lui confie des responsabilités alors qu'il attend impatiemment qu'on lui dise qu'il est en retraite. Il oublie que s'il ne travaillait pas, il entrerait en dépression. Travailler quand on a la santé et dans la mesure de ses forces, est une grâce.

On pense respecter un confrère parce que personne n'ose lui dire qu'il est égoïste, qu'il se sert toujours le premier et qu'il est souvent en avance à la salle à manger à l'heure des repas. Par contre il est toujours en retard à la chapelle pour la prière communautaire. Lors de la visite des responsables du secteur, il trouve une bonne raison pour être absent. Il a peur d'être assigné à une tâche fixe qui limiterait ses nombreux déplacements. Qui va lui rappeler que la paresse est un vice et que l'on est missionnaire jusqu'à notre dernier souffle ?

On se ménage souvent au nom de la charité. On ne veut pas faire de la peine, on veut être respectueux et on endure pour ne pas blesser alors qu'on rendrait service à quelqu'un si on lui disait clairement la vérité.

Ne laissez pas vos confrères se conduire comme des ânes, dites-leur la vérité précisément parce qu'ils sont vos frères. Un peu d'amour, un peu d'humour leur permettront peut-être d'accueillir la vérité. Le respect demande beaucoup de délicatesse et de tendresse. Mais il faut respecter son confrère jusqu'à lui apprendre fraternellement à respecter les autres. La tolérance a ses limites même chez les saints, mais la charité, si elle est patiente, généreuse et indulgente ne doit pas nous faire oublier que ce frère a besoin d'être pris en charge par tous les autres. Souvent on se tait, mais on se plaint à voix basse de ses manières de faire qui l'isolent. On le rejette silencieusement.

On se moque de ses façons de faire, pendant qu'il fait souffrir tout le monde. Lui dire la vérité, même si elle est choquante, servirait davantage la qualité de la vie communautaire. Il y a une manière de dire, avec des paroles fraternelles, la vérité. On doit avoir le courage d'interpeller un frère avec douceur ou encore de demander à l'un de ses amis, qui trouverait des paroles plus adéquates et plus amènes pour ne pas blesser, d'intervenir avec compréhension pour lui expliquer progressivement que sa façon de faire ou de vivre empêche la communion, la mission et paralyse la croissance de la vie fraternelle.

Mais nous devons aussi nous rappeler la parole de St François de Sales : » qu'une vérité qui ne procède pas de la charité est une vérité qui n'est pas véritable. » La charité exige quand même de dire franchement à son confrère que ses comportements blessent la vie fraternelle ou qu'ils sont un contre-témoignage. La Société nous a légué des Constitutions et Lois, des documents Capitulaires, une longue expérience de la vie communautaire. Ne craignons pas de les utiliser pour se convaincre d'agir.

Interpeller un confrère, c'est en réalité un signe de considération pour lui à la suite de l'Evangile et de la correction fraternelle. C'est ne pas le laisser tomber, l'isoler, le marginaliser.

C'est sans aucun doute un risque que l'on prend au nom de la charité. Dire la vérité ne signifie pas automatiquement gagner son frère. Il est important de se préparer, de bien choisir son moment, de demander un rendez-vous, d'être simple, direct et ferme.

Demandons à l'Esprit qu'il mette sur nos lèvres des paroles pertinentes pour dire à nos confrères la vérité à laquelle ils ont droit avec la douceur qu'exige le respect.