Dans le Petit Echo n° 1082 ce témoignage d'une Soeur Missionnaire de Notre Dame d'Afrique, en mission en Sicile.

 Sr Vicky

 Depuis plus de 8 mois, je travaille avec d’autres religieuses de différentes Congrégations dans un centre d’accueil des migrants fraiche- ment venus de Libye après la traversée du désert et de la mer Méditerranée. Avec cette petite expérience, je ne me permettrais plus jamais de parler des causes générales de la migration telles que le font les théoriciens à partir de leurs bureaux climatisés. Car on ne peut regarder dans les yeux des frères et sœurs traumatisés et continuer à spéculer sur eux. La plupart d’entre eux ont été vendus en gros pour être revendus en détail au marché d’esclave en Libye. Torturés dans les prisons ou des maisons privées, forcés à travailler sans salaires ou tués pour la simple raison qu’ils sont noirs, etc… Et pourtant ce sont en général des jeunes bien formés. Il arrive qu’il y ait des analphabètes dans les groupes mais ce sont des minorités. Permettez-moi de vous parler de cette expérience traumatisante pour nous qui côtoyons cette effroyable réalité jour après jour.

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Sr Vicky, entourée de jeunes migrants dont elle s’occupe avec d’autres Soeurs

Une lettre envoyée par nos deux Conseils généraux en mai 2015 nous donnait les causes de la migration qui sont encore très valables aujourd’hui. Je ne parlerai pas de théories dans ce partage…

Pourquoi quittent-ils leurs familles et leur Bangladesh, Pakistan, Afghanistan, Syrie, Irak, Maroc, Tunisie, Egypte, Sénégal, Nigeria, Gambie, Cameroun, Togo, Guinée Conakry, Côte d’Ivoire, RDCongo, Erythrée, Soudan, Ethiopie… pour mourir au désert, en Libye, en Méditerranée ou en Europe ? Pourquoi ne peuvent-ils pas retourner chez  eux  malgré  la  méfiance  ou  le  mépris  qui  les  accueillent  en Europe ? Tous cherchent bien-être et sécurité. Pas de réponses théo- riques car chacun a ses raisons qui ne sont pas celles de son compa- gnon de malheur. Voici quelques cas :

Elle s’appelle Godaines, a 19 ans et est très brillante en classe. Un jour une amie de sa maman lui propose de la faire étudier en Europe où elle a des bourses d’études pour les filles intelligentes. Heureuse, la maman vend tout pour que sa fille ne perde pas une telle opportunité. Pour lui éviter les dangers du désert, elle lui achète un billet d’avion pour Tunis car de Tunisie on "pousse" les gens en Italie. Aussitôt que tout est en ordre, Godaines prend l’avion pour Tunis. A Tunis, l’amie de la bienfaîtrice est gentille assez pour lui dire qu’elle ira en Italie pour la prostitution. Rusée, elle entre dans le jeu, prend le numéro de téléphone de la dame qui l’attend en Italie, mais aussitôt arrivée à Lampedusa, elle se confie à l’Organisation International pour la Migration (OIM), pleurant et suppliant d’être sauvée de cet enfer. Aussitôt dit, aussitôt fait, car on l’enverra chez nous sous bonne escor- te (très discrète), et le lendemain elle est dépêchée dans un centre de l’OIM où elle est bien protégée. Poursuivra-t-elle ses études ? Nous ne le savons pas mais nous sommes heureuses qu’elle est en sécurité.

Il s’appelle Adama, fils d’un général de l’armée. Le papa est assas- siné par le pouvoir en place dans une fausse embuscade organisée sous ordre du chef de l’Etat. Il a 16 ans quand son père est assassiné, et toute sa famille croit la théorie avancée par le pouvoir. Trois ans plus tard, un complice de l’assassinat se décide de parler et Adama est menacé de mort. Il doit disparaître pour qu’il ne demande jamais qui a tué son père. C’est le témoin qui l’aide à fuir de nuit puis, après beaucoup d’horreurs au désert et en Libye. En prison, il a passé 4 nuits avec 6 cadavres de ses amis qui avaient tenté de se sauver. Il nous arrive tota- lement déséquilibré. Je ne sais où il est aujourd’hui mais je prie tou- jours pour lui.

Elle s’appelle Miriam, troisième fille d’un jeune médecin. Quand Ebola éclate en Guinée, son papa est parmi les premières victimes de la maladie. La Croix Rouge vient chercher sa maman et sa grande sœur. Elle a 12 ans. La maman part avec l’aîné et le cadet. Miriam et son frère de 8 ans sont mis en quarantaine. N’ayant pas vu la maman depuis 5 jours, ils décident de fuir chez un oncle. L’oncle n’en veut pas par peur d’Ebola. Les deux enfants marchent 3 jours dans la forêt jusque chez une vielle dame vivant seule. Elle les accueille mais Miriam ne s’habitue pas à la misère de cette femme. Elle décide de fuir et rencontre un groupe de jeunes qui vont en Libye. Fatigué, le petit frère décide de retourner chez la vieille mais elle continue. Elle nous arrive à 18 ans, victime de viols à répétition. Elle n’a pas de nouvelles de son petit frère…

David a 35 ans. Il est maître couturier et gagnait bien sa vie au Sénégal dans son atelier avec ses 3 ouvriers. Un ami vivant en Algérie vient le trouver pour lui demander de le rejoindre parce qu’il vient de signer un contrat et a besoin d’un bon couturier pour les rideaux de la maison qu’il construit. David parle avec sa femme qui l’encourage et il ne se doute de rien

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 La fraternité partagée lors d’une cérémonie

L’ami lui dit qu’ils traverseront le désert car il connait les chauffeurs qui amènent les gens en Algérie. A sa grande surprise, David se trouve en Libye 3 jours après. Son ami le rassure en disant qu’ils partiront pour l’Algérie le lendemain, mais au lieu d’aller en Algérie, il se retrouve esclave d’un Libyen à qui il a été vendu. Il nous est arrivé avec une main paralysée à cause des tortures que lui infligeait son maître. Son dos est écorché coups de fouet qu’il recevait lorsqu’il n’avait pas fini le travail assigné aux champs. Il ne demande qu’une chose, retourner dans son pays pour reprendre son travail.

Fils et filles de Lavigerie, que devons-nous faire devant ces cris qui ont fait de notre Fondateur l’avocat des esclaves ? Comme lui, crions haut et fort, que personne ne peut être étiqueté migrant économique parce qu’il vient d’un pays pauvre. Dénonçons les accords que l’EU a signés avec des pays pauvres dont la Libye, pour rapatrier de force des gens qui fuient pour sauver leur vie ! Nous sommes humains, et les horreurs infligées à tant de nos semblables aujourd’hui doivent nous indigner et nous pousser à agir. Dénonçons les régimes criminels d’Afrique et d’ailleurs qui tuent et vendent leurs administrés pour se remplir les poches. Le Christ a payé de sa vie son annonce de la véri- té… Puisse le Ressuscité que nous célébrons aujourd’hui nous donner la force d’être témoins de sa vérité !

Vicky Chiharhula, SMNDA en mission en Sicile