Au cœur de Daesh avec mon fils. Laura, déradicalisée, dénonce (recension)

Au cœur de Daesh avec mon filsLaura PASSONI et Catherine LORSIGNOL: Au cœur de Daesh avec mon fils. Laura, déradicalisée, dénonce.

Éditions La Boite à Pandore, 2016, 196 p. 17,90 € -ISBN : 978-2-87557-266-0

La plupart des 15 chapites de ce récit autobiographique de Laura Passoni présentent alternativement une période en Belgique et une autre à l’étranger, surtout en en Syrie, dans la zone contrôlée par Daesh.

L. Passoni raconte sa « conversion » (Convertie, Jumet, février 2000, p. 25-32), vécue dans la maison familiale, selon un mode d’emploi trouvé sur Internet. Le ton est donné quant à sa foi musulmane et sa culture religieuse ! « En fait, c’est très simple, il suffit de réciter la shahada […] Un mercredi après-midi, je recopie la formule et je m’installe dans le bureau, situé à l’étage chez mes parents. ‘J’atteste qu’il n’y a pas de divinité en-dehors de Dieu et que Mohammed est l’envoyé de Dieu’. Voilà, je suis convertie » (p.28). Sans les deux témoins requis par la jurisprudence, mais personne par la suite ne semble remettre en question cette conversion expresse.

D’amour déçu en amour aveugle, elle se retrouve embrigadée dans une situation qu’elle ne pouvait imaginer. Par deux fois, elle reconnaît implicitement comment elle a pu se laisser entraîner dans cette situation : « J’ai été bien naïve » (p.7), « Comment ai-je été assez stupide pour croire à leur propagande ? » (p.123).

Naïveté et ignorance. « Aujourd’hui encore, ma mère se demande encore comment je pouvais ignorer ce qu’était l’ ‘État islamique’ ! Pourtant, aussi incroyable que cela puisse paraître, je n’en avais pas entendu parler. Je ne connaissais que les images de propagande […] » (p.62). À son retour, rendu possible par le retournement de celui qu’elle a épousé lors d’un mariage musulman tout aussi express que sa conversion (p. 87-98) et l’obstination courageuse de son père qui est finalement le vrai héros de ce livre (voir p.125), elle ne cherche pas à se soustraire à la justice. Mais le juge a aussi des difficultés à croire une telle ignorance (p.190).

Sauvée par l’amour pour son fils et celui inconditionnel de ses parents qui auraient eu toutes les raisons de lui fermer la porte, L. Passoni est maintenant en Belgique et essaie de faire de la prévention en intervenant dans les écoles.

Ce livre, perturbant à plus d’un titre, n’est pas seulement un témoignage individuel à recevoir comme tel, mais aussi une somme d’informations indirectes sur ce qui a pu (peut) amener des jeunes filles à suivre celui qu’elles aiment. Il soulève des questions sous-jacentes qui n’ont rien à voir ni avec l’islam ni avec la radicalisation mais plutôt avec l’éducation qu’elle avait reçue.

  • Ce livre peut-il être considéré à charge contre ceux qui prônent les retraits des cours de religions ou qui encouragent l’ignorance religieuse et poussent les jeunes à trouver des réponses sur internet ? Les moteurs de recherche les plus utilisés sont programmés pour vous présenter des réponses proches de celles que vous aviez sélectionnées antérieurement et vous enferment progressivement dans une même niche de sites ce qui peut expliquer que L. ait été mise de plus en plus en lien avec des sites radicaux au dépens des meilleures sources d’information sur l’islam.
  • La conversion à l’islam, en pleine adolescence en crise, par imitation de l’amie d’enfance, et sans lien avec une communauté musulmane pose aussi question… de même que sa radicalisation : a-t-elle été seulement convaincue ou n’a-elle que répondu à son amour irrationnel pour un homme qui aurait pu la mener n’importe où ? « Malheureusement, mes connaissances religieuses et ma foi naissante ne m’aident pas à suivre le droit chemin » (p.26).

Personnel, ce témoignage ne peut donc pas servir de paradigme pour comprendre les raisons qui poussent des jeunes à rejoindre Daesh.

Faut-il en conseiller la lecture ?

  • Aux « spécialistes de l’islam », reconnus ou auto-proclamés, certainement : ce témoignage permet de se rendre compte qu’à côté de l’islam des cinq grandes écoles il y a ce nouvel « islam de l’internet » qui fait bien peu de cas des traditions musulmanes habituelles et entraînent des jeunes à se convertir à un « islam-maison » ;
  • aux éducateurs et enseignants: je pense que oui, pour les encourager à développer chez leurs élèves l’esprit critique, y compris par rapport à tout ce qui peut circuler sur internet, où l’on trouve le meilleur et le pire ;
  • aux parents : je ne sais pas quel effet ce témoignage pourrait produire : si cela peut les aider à mieux percevoir les comportements bizarres de leur enfant, oui ; si c’est pour les rendre suspicieux de tout ce que fait leur enfant, non. Il est difficile, dans ce témoignage, de percevoir ce que les parents de Laura auraient pu faire avant qu’il ne soit trop tard ;
  • aux jeunes : peut-être, mais plutôt après avoir écouté le témoignage de l’auteur, pour qu’ils réalisent bien qu’elle n’est pas un personnage de fiction littéraire.

En bref, le dévoilement que nous livre Laura Passoni de cette partie douloureuse de sa vie ne devrait pas être jeté en pâture à tous ceux et celles qui pourraient s’en servir pour nourrir une idéologie malsaine, mais être réservé aux personnes qui accepteront de voir en elle une jeune femme qui a fait d’énormes erreurs, en a souffert suffisamment, et désire maintenant faire amende honorable. Nous la remercions pour ce témoignage et lui souhaitons une heureuse et patiente reconstruction, avec ses parents et ses deux enfants.

Marc Léonard.