Marie Malzac, le
Mis à jour le 17/03/2017 à 15h48

Cette présentation de l’initiateur de la Réforme, replacée dans son contexte historique, donne des clés sur sa pensée et sa postérité spirituelle.

"Un chrétien nommé Luther"

de Rémy Hebding

Salvator, 192 p., 18 €

La scène est connue. Lors de sa convocation à Worms, en 1521, pour y comparaître devant la Diète juste après avoir été excommunié, Luther prononce une réponse solennelle qui devait marquer l’Histoire. Il affirme devant les représentants de l’Empire, risquant la mise au ban et donc sa propre vie, que sa conscience, « liée par la Parole de Dieu », l’empêche de faire marche arrière dans le mouvement amorcé quelques années plus tôt par l’affichage de ses 95 thèses.

C’est dans cette période de profonds bouleversements au cœur de l’Europe que nous plonge Rémy Hebding, ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire protestant Réforme. Ce livre ne s’intéresse pas tant à la vie ou à la pensée de Luther, qu’à l’interaction de l’une sur l’autre. Décrivant une époque marquée par la misère du petit personnel ecclésiastique et la débauche d’une partie de la hiérarchie, mais aussi par la conscience, accompagnée par ses doutes et ses craintes, d’un changement de monde, l’auteur insiste sur l’importance de la cause spirituelle à la Réforme, à laquelle se joignent, bien sûr, des motivations politiques et sociales.

Dans cette effervescence, Luther, homme de son siècle, traversé par les mêmes angoisses et les mêmes aspirations que nombre de ses contemporains, va enclencher une dynamique qui remodèlera le continent.

Dans Un chrétien nommé Luther, c’est son processus de pensée, sa quête de foi, ancrés dans une période historique concrète, qui sont analysés, mis en perspective, pour en comprendre les enchaînements et les évolutions. En revenant sur les principes fondamentaux du protestantisme – primauté de la grâce, autorité de l’Écriture, rejet des intermédiaires entre le croyant et Dieu –, Rémi Hebding fait de Luther l’un des grands penseurs européens, à la postérité nombreuse et actuelle.

Marie Malzac

 

"Séparés mais frères"

Dialogue. Cet entretien croisé entre un pasteur et un prêtre engagés dans le dialogue œcuménique permet de relire, de manière sereine, cinq siècles d’une histoire mouvementée.

Un pasteur et un évêque catholique main dans la main.
ZOOM

Un pasteur et un évêque catholique main dans la main. / C. Simon/Ciric

Protestants, catholiques. Ce qui nous sépare encore

de François Clavairoly et Michel Kubler

avec Loup Besmond de Senneville

(Bayard, 274 p., 16,90 €)

Voici une manière originale de marquer le cinquième centenaire de la Réforme protestante (1517-2017) : faire dialoguer un pasteur réformé et un prêtre catholique. François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, et Michel Kubler, religieux assomptionniste, directeur du Centre œcuménique Saint-Pierre–Saint-André à Bucarest après avoir été rédacteur en chef religieux à La Croix, ont accepté de se livrer à l’exercice.

Tous deux membres du groupe des Dombes, ils sont déjà engagés dans une démarche œcuménique qui associe une réflexion théologique rigoureuse et un désir de conversion mutuelle. Avec respect, mais sans concession, ils répondent aux questions de Loup Besmond de Senneville, journaliste au service religion de La Croix. Ils confrontent leurs points de vue confessionnels sur des thèmes variés sur lesquels protestants et catholiques se sont opposés et s’opposent parfois encore : la place de l’Écriture, Marie et les saints, l’Église, le pape, la laïcité, la morale… Ils expriment aussi leurs accords sur des points fondamentaux tels que la figure de Jésus, l’unique médiateur, le Verbe du Père qui se dévoile à ceux qui le cherchent. Ou sur la justification, avec le consensus luthéro-catholique entériné par la déclaration commune d’Augsbourg en 1999.

Dans ce dialogue, il est aussi question de la prise de conscience de l’urgence œcuménique qui surgit au XIXe siècle sur les terres de mission quand les missionnaires des deux Églises sont amenés à travailler en concertation, et qui aboutit à la création du Conseil œcuménique des Églises en 1948 et aux avancées du concile Vatican II dans les années 1960. Dans la même dynamique, le dialogue avec les autres religions s’impose progressivement comme une évidence pour une meilleure connaissance mutuelle et pour un engagement commun au service de la justice et de la paix.

D’une trempe optimiste, les deux interlocuteurs ne désespèrent pas des divergences qui persistent malgré les efforts menés en faveur de l’intercompréhension. Est notamment sujet à discussion le magistère pour donner la possibilité de s’ouvrir à une liberté d’interprétation de la Bible. Autres points de dissension, l’ecclésiologie, la succession apostolique et la compréhension de certains sacrements, en particulier la question de l’Eucharistie et la présence réelle. Pendant que la figure de Marie précède les catholiques sur le chemin du salut, les protestants vivent leur foi en se passant d’elle en raison de sa discrète présence dans les Écritures. Concernant le pape, « s’il n’est vraiment plus possible d’être pleinement catholique sans connaître Luther, il n’est plus possible d’être protestant en ignorant le pape », concède François Clavairoly après le voyage du pape François en Suède en octobre 2016 pour l’ouverture de l’Année Luther.

À tout prendre, pour les deux auteurs, le catholicisme peut considérer la Réforme autrement que comme une catastrophe. Reste que l’impératif œcuménique oblige les deux Églises à progresser pour mieux articuler unité et diversité tout en se rappelant sans cesse la prière du Christ : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21). De ce point de vue, l’Année Luther marque peut-être une nouvelle étape dans les relations des deux Églises. « Ce sera sans doute la première fois qu’un anniversaire de la Réforme sera en grande partie vécu en commun par l’ensemble des chrétiens, en tout cas en Occident, s’enthousiasme Michel Kubler. Ce sera quelque chose de très fort. »

Jean-Paul Musangania