TÉMOIGNAGE D'EVARISTE SOME

Évariste Somè

« Mon cher, tu dois apprendre cette langue ! »

Ma première expérience sur la terre zambienne a été la vision d’un paysage très beau. J'ai été ébahi et séduit par les nombreux arbres géants, les cours d'eau coulant tout au long de l'année. Cette première " lune de miel " a été rapidement troublée par quelques adaptations physiques. Venant du Burkina Faso, j'ai trouvé le climat de la Zambie très froid.

Je me rappellerai toujours, le lendemain de mon arrivée en Zambie (Serenje), quand je suis sorti rendre visite à une famille avec Laurence Mbao. Arrivés à la maison, nous avons rencontré une petite fille dans la cour, qui a commencé à nous saluer en Cibemba. Naturellement, je ne pouvais pas dire un mot. Elle était étonnée de mon silence et bien plus étonnée encore quand mon ami lui a dit que je ne connaissais pas le Cibemba. Elle a hurlé en disant : « Vous êtes noir et vous ne parlez pas Cibemba, d'où êtes-vous ? » Je vous assure que ce fut une heure difficile pour moi. J'ai me suis vraiment senti étranger, pauvre et vulnérable ! De retour à la mission, je me suis dit : « Mon cher, tu dois apprendre cette langue. »

Ma première expérience avec la petite fille m’a poussé à sortir rencontrer les gens et à me donner de tout cœur dans l’étude de leur langue. Après environ un mois et demie, je me suis senti vraiment bon car, à la maison, je pouvais au moins deviner ce qu'ils disaient et leur poser quelques questions.

Les paysages sont différents : il y a de l'eau !En outre, l'appui et les encouragements des confrères, les bons cours de langues et la promptitude des gens à m'enseigner leur langue ont fait de moi, après trois mois, un jeune Zambien heureux de vivre dans cette province occidentale. Cette période a aussi été pour moi une porte ouverte pour apprendre la culture et les coutumes. J'ai appris très rapidement la langue locale, selon les dires de mes confrères et des gens autour de moi. Les mains du Seigneur étaient là pour me mouler et me façonner à l'image d'un Mubemba. Cependant, façonné ne veut pas dire raffiné. J'ai toujours beaucoup de chemin à faire pour obtenir le bon accent et pour connaître profondément la culture et les coutumes des Babemba.

Je me suis senti à la maison

Franchement, je peux dire que j'ai été béni en étant inséré dans une bonne communauté. J'ai été chaudement reçu et accueilli dans ma famille missionnaire après mon cours de langues. Je me suis vraiment senti à la maison. Mon expérience de la vie communautaire m’a ouvert les yeux pour voir que la communauté est un lieu de donner et de recevoir; ce qui signifie m’oublier afin de gagner des confrères. En dépit de toutes nos limites et faiblesses humaines, nous avons établi une belle communauté de frères ou de fils de Lavigerie.

« J’étais en prison, malade… et vous m’avez visité »

Après trois mois de cours de langues, j’ai trouvé ma place au sein de ma communauté dans le domaine du travail apostolique. Quelques jours après mon arrivée, nous avons fait une réunion d'équipe au cours de laquelle on a proposé quelques activités : visite de la prison et des différentes petites communautés chrétiennes, et engagement auprès des jeunes de la paroisse. J'ai décidé d’essayer la visite de la prison. « J’étais en prison et vous êtes venus chez moi... », dit le Seigneur. Mon désir d'être près des pauvres, d'être un apôtre du Christ auprès des marginalisés, m’a amené à m’investir dans la visite des prisonniers chaque mardi, avec un catéchiste et deux autres personnes du groupe de Saint-Vincent-de-Paul.

Nous faisions habituellement ce que j'appelle une prière oecuménique, parce que les prisonniers appartenaient à différentes Églises. J'ai toujours été impressionné par leur intérêt pour la prière et l’écoute de la Parole de Dieu. C’était incroyable parfois de constater comment ils reconnaissaient et acceptaient leurs méfaits et se préparaient à changer de comportement une fois libérés. Je me rappelle que l’un d'eux me disait, après une rencontre de prière, que le jour où il sortirait de prison, il se joindrait à nous pour la visite, parce qu'il se sentait toujours bon quand nous leur rendions visite.

J’ai pris conscience que la vraie prison des prisonniers n’est pas seulement les grands murs, la salle étouffante, mais également le fait que personne ne veut de leur amitié. Ils n’ont personne pour les considérer en tant qu'êtres humains, comme personnes qui méritent d’être traitées dignement.

La visite des petites communautés chrétiennes m'a conduit à un ministère de compassion qui se traduisait par la visite de personnes malades et âgées vivant dans des taudis ou à l'hôpital. Je leur portais la Sainte Communion ou allais simplement leur faire une visite de courtoisie. Ces visites pastorales aux malades m'ont aidé d'une manière ou d'une autre à mieux comprendre les besoins des malades. Certains ont besoin d'aide matérielle, particulièrement quand ils sont abandonnés, rejetés par leurs parents ou par la société.

A mon avis, tous ont besoin de quelqu'un pour s’entretenir avec eux : quelqu'un qui accepte d’être près d'eux et écoute leurs inquiétudes. Ils ont besoin d’être réconfortés et aimés dans leurs souffrances et de se sentir unis au Christ. J'ai éprouvé dans mon cœur la souffrance des autres et essayé d’être compatissant, comme notre Père du ciel est compatissant. Cela m’a aidé à devenir l'ami de personnes non seulement malades et âgées, mais également de leurs familles et parents. En faisant ces visites pastorales aux malades, cela m’a permis en même temps de rencontrer des personnes d'autres Églises.

Pas toujours facile de travailler auprès des jeunes

Mon apostolat auprès des jeunes m’a conduit, d'une manière ou d'une autre, à connaître des familles et le milieu de Serenje. Nous avons organisé ensemble quelques activités qui ont connu un grand succès, comme la compétition entre chorales et la conférence sur le changement de comportement; mais d’autres activités ont été un échec total, comme l'étude de la Bible, l’organisation d’un jardin communautaire...

J’ai trouvé très difficile de travailler avec les jeunes parce que je ne pouvais pas discerner la différence entre " oui " et " non ". La plupart du temps, quand ils disaient « oui » à un programme, cela tournait mal. Je vous assure que cela m'a apporté des moments de frustration et de découragement. J'ai alors essayé de découvrir pourquoi la situation était ainsi. En interrogeant les gens, j’en suis venu à en découvrir quelques motifs : un motif culturel : certaines personnes m’ont dit que, dans les familles, les jeunes ne sont pas habitués de travailler pour subvenir à leurs propres besoins. Ils comptent uniquement sur l’aide de leurs parents.

Un problème de leadership. Quelques personnes me disaient que dans le passé, nous, les missionnaires, n'avions pas permis aux gens de s'exprimer. Nous avons joué les bons pères, faisant tout pour leurs enfants, et cette " maladie " s'est déplacée des parents aux fils et aux filles. Quant à moi, je pense que nous sommes appelés à aider les gens à prendre leurs responsabilités, à prendre des initiatives, au travail et dans leur propre Église.

J'allais également dans les succursales voisines partager ma foi avec les gens en animant le service dominical.

En plus de mes activités pastorales, j'ai participé à la vie de notre communauté en aidant l'économe à acheter la nourriture au marché, et également en surveillant les travaux de jardinage. J’offrais également mes humbles services pendant les semaines de vocation, en partageant mon expérience de formation.

« Seigneur, ouvre mon cœur »

Ces deux années de formation pastorale ont été pour moi une source de croissance.

Pendant ces deux années d’expérience pastorale, j'ai trouvé la prière personnelle exigeante par rapport au temps du noviciat où tout était programmé. Mais sachant que la qualité de ma vie de missionnaire dépendait de la qualité de mon rapport personnel avec le Christ, j’ai toujours su garder un temps pour parler avec lui et améliorer ma relation et mon amitié avec lui.

Mes prières ont été nourries par mes expériences quotidiennes avec les gens : joies et frustrations, impuissance. Ainsi mes prières étaient toujours un mélange d'offrande, d'action de grâce et de demande de mon pain quotidien, que ce soit pour combler un besoin physique ou spirituel, afin d’être signe du Royaume de Dieu parmi mes frères et sœurs de Serenje. Chaque jour je disais : « Seigneur, ouvre mon coeur, éclaire-moi et inspire-moi par le don de ton Esprit, de sorte que ton message puisse porter des fruits en moi et dans les autres. »

Ma fidélité aux sacrements, mes retraites annuelles, mes lectures spirituelles et mes rencontres régulières avec mon accompagnateur spirituel étaient pour moi des moments de grâce et de communion avec le Christ. Ce furent des moments privilégiés pour m’asseoir aux pieds du Seigneur, l’écouter et recevoir ce qu'il avait à me donner comme trésor pour moi et pour les gens que je côtoyais.

Considéré comme un saint ou traité comme un martyr vivant...

Le milieu dans lequel j'ai fait mon expérience pastorale a eu un impact formateur sur mon choix à vivre la pauvreté, la chasteté (le célibat) et l'obéissance.

Le mot pauvreté est bien connu et très familier chez les gens. Pas dans le sens biblique, mais dans sa signification commune : le manque de biens matériels. Dans de telles conditions, quand vous sortez la main pour donner des biens matériels, vous êtes considérés à tout coup comme un saint; mais si vous ouvrez votre coeur pour offrir le Christ, vous pouvez être considérés ou traités comme un martyr vivant.

Vivre la pauvreté fut un vrai défi pour moi qui ai eu tout ce dont j’avais besoin pour ma vie personnelle et apostolique. La pauvreté évangélique m'a poussé et aidé à être détaché de tout et à vivre une vie simple auprès des gens, pour partager leurs souffrances, leurs joies et leurs espoirs.

Ici à Serenje, les jeunes et les moins jeunes m’ont rapidement rappelé une de mes convictions : le célibat et la chasteté ne doivent pas rester des mots, mais être un comportement. Cela a été une grande consolation et une porte ouverte à l'humilité dans mes rapports ou amitiés avec les garçons et les filles. Je me suis toujours senti à l'aise avec tous ceux ou celles qui ont voulu me parler, et je n’avais pas honte ni n’étais effrayé pour donner les raisons et les motivations de mon choix de vie dans le célibat consacré. C’est sans doute à cause de mon attitude que j’ai toujours ressenti un respect mutuel dans toutes mes amitiés.

Découvertes

En regardant mes deux années de stage, les joies et difficultés que j’y ai vécues, mes succès et mes échecs, et les rencontres que j’y ai faites, je dois humblement admettre que cette période de ma vie a été un élément formateur et une expérience enrichissante.

Évariste et Serge Traoré en 2003Cette expérience m'a permis de me rendre compte de mes capacités. J’y ai découvert mon attachement au Christ au milieu de toutes mes activités, ma capacité de construire, en harmonie avec mes confrères, une famille internationale et interculturelle qui est pour moi un signe ou un témoignage évident du Royaume de Dieu parmi tous les hommes avec qui nous vivons et travaillons. J’ai aussi découvert ma capacité d'apprendre une autre langue, de m'adapter à une culture et à des coutumes différentes de la mienne, et ma capacité au travail, à établir de vrais rapports d'amitié avec des personnes de mentalité et croyance différentes. J’ai également découvert ma capacité de compatir avec des personnes de toutes catégories, pauvres et riches, marginalisées et malades, vieux et jeunes. Tout cela m’a permis de constater que la mission est avant tout une rencontre avec des personnes et spécialement une union avec tous ceux qui sont rejetés par la société, ceux qui sont comme des brebis sans berger, en partageant avec eux la joie, l’amour et l’espoir que j'ai reçu du Christ.

À travers les difficultés et les anéantissements vécus pendant mon stage, je me suis aussi rendu compte de mes limites et des secteurs de ma vie où je dois progresser. Les difficultés et les frustrations que j’ai connues en travaillant avec les jeunes et mon échec à réussir à les faire travailler ensemble, tout cela m’a enseigné que je dois intégrer et chercher à faire grandir en moi la patience. Ces échecs m'ont également fait prendre conscience que je connaissais très peu leurs motivations et leur train de vie quotidien et que je dois développer ma manière de côtoyer les personnes, de les accepter et de les prendre là où elles en sont.

J'ai découvert ce que je suis appelé à laisser derrière moi, et les défis que je suis appelé à affronter à dans ma vie missionnaire future, afin de participer au plan de salut de Jésus, le Christ, dans le monde africain.

Merci Seigneur !

Ces deux années passées à Serenje ont été exaltantes et, une source de croissance de ma vocation de missionnaire. Si je regarde et réfléchis sur ce que j’y ai vécu, je ne peux qu’exprimer ma gratitude à Dieu et aux nombreuses personnes que j'ai rencontrées tout autour de Serenje et qui m'ont enseigné comment aimer la Zambie et être à son service.

Les deux années de mon stage ont été une expérience d'enrichissement positive; la paix et la joie que je ressens dans mon cœur à la fin de ma formation apostolique sont pour moi des signes évidents que je dois continuer ma formation dans la Société des Missionnaires d'Afrique.

Évariste poursuit présentement ses études théologiques à Nairobi, au Kenya.