Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Mauritanie: mobilisation de Biram Dah Abeid contre l’apatride

 Publié le : 
L'opposant mauritanien Biram Dah Abeid, le 23 juin 2019, en conférence de presse à Nouakchott.
L'opposant mauritanien Biram Dah Abeid, le 23 juin 2019, en conférence de presse à Nouakchott. SIA KAMBOU / AFP

Un quart de la population mauritanienne est toujours sans état civil. Une situation qui perdure et que déplore le parlementaire et militant des droits de l’homme, président du mouvement abolitionniste (IRA-Mauritanie). Biram Dah Abeid a appelé, ce lundi 29 mars, les autorités à mettre fin à « l’apatridie de ces Mauritaniens dans leur propre pays ». Il s’est rendu dans un centre d’enrôlement de Nouakchott pour apporter son soutien aux sans-papiers.

Avec notre correspondant à Nouakchott, Salem Mejbour

Le centre d’enrôlement de Teyarett, situé au nord de Nouakchott, est trop exigu pour pouvoir accueillir les centaines des Mauritaniens venus se faire recenser. Car sans documents d’état civil, ils sont privés de voyage et d'emploi et leurs enfants ne peuvent pas être scolarisés.

« Beaucoup de malades qui viennent dans les hôpitaux de Mauritanie ne peuvent pas bénéficier des soins nationaux gratuits, parce qu’ils n’ont pas de pièce d’état civil. Beaucoup de citoyens mauritaniens ne peuvent pas voyager pour gagner leur vie et tenter leur chance, parce qu’ils manquent de pièce d’état civil », explique le militant et politique Biram Dah Abeid.

Recensement en famille

C’est le cas de Youba qui vient d’Adel Bagrou, une ville de l’extrême-est mauritanien près de la frontière avec le Mali : « Je n’ai aucun papier d’état civil. Je suis venu ici me faire enrôler pour obtenir ces documents. Mais arrivé ici, on m’a dit de repartir à Adel Bagrou. Je suis venu, avec mon père, ma mère, ma femme, mes quatre enfants, mais il n’y a toujours pas de solution. Vous venez aujourd’hui, on vous dit revenez demain. Et ainsi de suite. »

Au sein de l’Agence nationale des populations et des titres sécurisés, on affirme que le recensement est inclusif pour tout Mauritanien qui se présente avec les siens. « Un Mauritanien est un Mauritanien, parce qu’il a des parents, parce qu’il a des cousins en Mauritanie, parce qu’il a de la famille en Mauritanie. Donc cela veut dire qu’il ne peut pas dire : je suis Mauritanien, je n’ai aucun lien. Je n’ai ni père ni mère ni frère ni sœur. Ce n’est pas possible », estime Boide Sghair Sidi Mohamed, le secrétaire général de l’agence.

Selon le responsable, 145 000 adultes mauritaniens ont été recensés entre 2019 et 2020.

Au Sénégal, les marabouts toujours au centre du jeu politique

| Par 
La grande mosquée de Touba, le 28 octobre 2018.

La grande mosquée de Touba, le 28 octobre 2018. © Pilgrims enter The Grand Mosque in Touba on October 28, 2018,
the day of the Grand Magal des Mourites, the largest annual pilgrimage in Senegal. © SEYLLOU/AFP

 

Ces dernières semaines, les confréries ont joué un rôle clé dans l’apaisement du pays, rappelant une fois de plus leur rôle d’acteurs politiques incontournables.

Touba n’a jamais été une ville comme les autres. Les évènements, pourtant inédits, de ces dernières semaines l’ont une nouvelle fois démontré. Quand début mars, à la suite de l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko accusé de viols, Dakar, Thiès, Saint-Louis ou Ziguinchor se soulèvent, la deuxième plus grande agglomération du pays, située à 200 km à l’est de la capitale, reste étonnamment calme. Berceau du mouridisme, la confrérie d’obédience soufi créée en 1883 par Cheikh Ahmadou Bamba, Touba a respecté à la lettre les consignes de Serigne Mountakha Bassirou Mbacké, l’actuel khalife général. Aucune manifestation n’est venue troubler la sérénité de la ville sainte.

Touba a pourtant suivi de près cette explosion de colère. Le 12 mars, neuf jours après l’arrestation d’Ousmane Sonko, cinq émissaires convoqués « en urgence » par le khalife sont dépêchés à Dakar. Car si la situation s’est apaisée depuis la libération du président du parti Pastef, le 8 mars, les tensions restent vives. Le 13, le Mouvement de défense de la démocratie (M2D) a d’ailleurs appelé à une grande manifestation pacifique. Pacifique… mais à haut risque.

Émissaires

Et pour cause : l’arrestation d’Ousmane Sonko, dont beaucoup considèrent qu’elle fait partie d’un vaste complot, a attisé l’exaspération d’une partie de la population, économiquement asphyxiée par les mesures destinées à stopper la propagation du Covid-19. Une dizaine de jeunes sont morts dans des circonstances qui restent à éclaircir, mais qui impliquent sans doute certains éléments des forces de sécurité qui, parfois, ont tiré à balles réelles sur les manifestants. Dans le centre-ville de Dakar, les blindés de l’armée restent positionnés devant les bâtiments stratégiques et les institutions.

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LA VÉRITÉ, C’EST QU’AU SÉNÉGAL, VOUS POUVEZ MOBILISER UNIQUEMENT SI LE KHALIFE LE PERMET »

Le 12 mars, c’est dans ce climat tendu que les émissaires du khalife rencontrent Ousmane Sonko et ses alliés au sein du M2D. Ils sont porteurs d’un message de Serigne Mountakha Bassirou Mbacké. Sitôt la réunion terminée, l’opposition annonce le report de la manifestation prévue le lendemain, et transmet au khalife, via sa délégation, un cahier de doléances. « La casse, la mort des manifestants, la mise à sac de certains magasins ont choqué beaucoup de monde, confie Ndeye Fatou Blondin Diop, l’une des figures de la contestation. Nous avons décidé de donner une chance à cette médiation. Certains étaient réticents à l’idée d’abandonner la lutte, mais il nous fallait gagner la bataille de l’opinion avant tout. »

Un proche d’Ousmane Sonko est plus direct : « Nous avons pesé le pour et le contre, bien sûr. Mais la vérité, c’est qu’au Sénégal, vous pouvez mobiliser uniquement si le khalife le permet. » Quel autre choix avait alors le M2D que celui de s’en remettre au khalife et de « laisser la pression du religieux peser sur le chef de l’État » ?

« Il appartient au khalife de décider de la suite »

Le M2D fait donc parvenir un mémorandum en dix points au chef religieux. Le premier, et le plus urgent, de l’avis des signataires, est la libération des militants arrêtés en marge de l’affaire Sonko. Trois des plus connus d’entre eux (Guy Marius Sagna, coordinateur du mouvement Frapp-France dégage, qui ne compte plus les arrestations, et les activistes Clédor Sène et Assane Diouf) ont été libérés, le 24 mars. Deux membres du Pastef, dont Birame Souleye Diop, le numéro deux du parti de Sonko, ont également été placés en liberté provisoire le lendemain. Un geste d’apaisement, derrière lequel il est difficile de ne pas voir la main de Serigne Mountakha Bassirou Mbacké.

Celui-ci a mandaté deux de ses neveux : Serigne Bassirou Mbacké Porokhane, et Serigne Bassirou Mbacké, chef du parti Jot sa reew, qui a milité aux côtés du Pastef au sein de la coalition Jotna. Trois personnalités politiques sont également missionnées par Touba : Mamadou Diop Decroix, Moctar Sourang et Madické Niang, ancien cadre du Parti démocratique sénégalais (PDS), candidat à la présidentielle de 2019 et officiellement retiré de la politique aujourd’hui.

« Le khalife nous a choisi en tant que disciples, et parce que nos familles sont historiquement liées à Touba », explique Moctar Sourang, coordonateur du Front de résistance national (FRN, opposition), auquel appartient également Mamadou Diop Decroix. Le khalife leur a confié une mission claire : « Tout faire pour que la paix revienne ». « Il voulait avoir une compréhension exhaustive de ce qui se passait. Il nous a donc chargé de rencontrer les acteurs et de revenir le voir avec l’ensemble de leurs griefs, détaille Moctar Sourang. Ceci étant, nous ne sommes que des missionnaires. Il appartient au khalife de décider de la suite à donner à chaque étape de cette médiation. »

Influence

Au sein de la majorité, ce terme de « médiation » déplaît. « C’est inapproprié, balaie un membre du gouvernement. Il s’agit d’une mission de bons offices. Les religieux ont un poids politique et l’ont utilisé. Les mécanismes de régulation sociale ont fonctionné. » Une façon de présenter les choses qui minimise quelque peu la formidable influence des confréries sur la vie politique sénégalaise.

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LES HOMMES POLITIQUES ONT TOUJOURS EU BESOIN DES MARABOUTS POUR EXISTER ET FONDER LEUR LÉGITIMITÉ »

Macky Sall a en réalité reçu à son domicile, dès le 7 mars, une délégation du Cadre unitaire de l’islam au Sénégal (Cudis), qui regroupe les principales confréries musulmanes du pays. Ce jour-là, le chef de l’État leur promet de « faire tout son possible » pour apaiser la situation. Ousmane Sonko sera libéré le lendemain, et le M2D renoncera à trois jours de mobilisation.

« Cette dynamique unitaire des khalifes est une vraie rupture, analyse Cheikh Gueye, secrétaire général du Cudis. Contrairement aux médiations précédentes, les religieux travaillent de manière rapprochée et suivie. Cela tranche avec les négociations habituelles, qui étaient souterraines et ponctuelles. » Une approche nouvelle qui pourrait faire date, selon Cheikh Guèye, et qui s’explique par la gravité de la crise traversée par le Sénégal.

Le contrat social à trois piliers – les religieux, les citoyens, l’État – continue de tenir bon, dans un pays qui demeure résolument laïc. « Avant même la colonisation, les royautés étaient déjà conseillées par des chefs religieux dans le processus d’islamisation des cours royales, rappelle Cheikh Guèye. Les autorités coloniales ont par lui suite elles aussi fini par comprendre qu’elles devaient nouer des relations privilégiées avec les autorités maraboutiques. La naissance de la vie politique moderne s’est faite ainsi : les hommes politiques ont toujours eu besoin des marabouts pour exister et fonder leur légitimité. »

Pouvoir

Si l’époque des ndiguël de vote semble désormais révolue, une consigne électorale dont Abdou Diouf a été le dernier à bénéficier, les religieux ont conservé leur pouvoir légitimant. Avant Ousmane Sonko et ses alliés, ils avaient œuvré à la libération de Karim Wade, le fils de l’ex-président Abdoulaye Wade, et de Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar.

Et ce n’est pas un hasard si, sitôt libérés, tous deux ont réservé leur première visite aux autorités religieuses : les mourides pour Karim Wade, gracié le 23 juin 2016 ; les tidianes pour Khalifa Sall, libéré le 29 septembre 2019. Chacun sait qu’il doit – du moins en partie – sa libération à l’intervention des dignitaires religieux.

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AU FINAL MACKY SALL A COURU DERRIÈRE LES MARABOUTS TOUT AU LONG DE SON MANDAT. IL A TOUT FAIT POUR LEUR FAIRE PLAISIR »

C’est d’ailleurs en présence du khalife général que la réconciliation entre Abdoulaye Wade et Macky Sall avait été scellée, de manière officieuse puis officielle, à l’occasion de l’inauguration de la mosquée Massalikoul Djinane, en septembre 2019. Une réconciliation qui aurait notamment mené à la grâce dont a bénéficié Khalifa Sall.

L’arrivée de Macky Sall au pouvoir avait pourtant un temps laissé croire que les religieux pourraient perdre l’influence qui était la leur du temps d’Abdoulaye Wade. Fervent talibé mouride, ce dernier n’avait pas hésité, en 2001, à se prosterner devant l’ancien khalife, Serigne Saliou Mbacké, peu de temps après son élection. Macky Sall au contraire avait pris quelques distances avec les marabouts, qu’il avait eu l’imprudence de qualifier de « citoyens ordinaires » et dont il avait fait confisquer certains des véhicules et passeports diplomatiques.

« Cette déclaration était malheureuse, mais au final Macky Sall a couru derrière les marabouts tout au long de son mandat, sourit Cheikh Guèye. Il a tout fait pour leur faire plaisir, notamment via son projet de modernisation des villes religieuses. » Et Ousmane Sonko lui-même, qui n’appartient pas à une confrérie, a choisi de s’afficher dès le début de ses déboires judiciaires avec un marabout mouride, Serigne Abdou Mbacké, qui avait aussitôt rejoint Touba pour plaider sa cause.

[Tribune] La démocratie africaine, cette chasse à l’homme

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Par  Gauz

Écrivain ivoirien, auteur de "Debout payé" (2014), "Camarade papa" (2018), et "Black Manoo" (2020).

Le leader de l’opposition camerounaise, Maurice Kamto, le 5 octobre 2019.

Le leader de l'opposition camerounaise, Maurice Kamto, le 5 octobre 2019. © AFP

Comme aux Jeux Olympiques, les épreuves de la démocratie africaine se déroulent tous les quatre ou cinq ans. Et on n’est pas labellisé opposant tant qu’on n’a pas été poursuivi par le pouvoir…

En Afrique, la démocratie est un sport de chasse, quelque chose entre la chasse à courre et le tir au pigeon. Et ce n’est pas une figure de style. Pour une fois, on peut me prendre au premier degré. Mes premières expériences sportives de la démocratie datent de 1990, lors de ce qui était considéré comme le « printemps africain ». Partout au sud du Sahara, les vieux partis uniques étaient contestés par une jeunesse qui rêvait d’expression plurielle.

Cris et jets de pierre : il n’y avait pas cent façons de protester. Balles et grenades lacrymogènes : il n’y avait pas cent façons de réprimer la protestation. L’étape d’après étant l’embastillement, les villes africaines se transformaient systématiquement en arène athlétique. Les « crieurs » devenaient coureurs et les « tireurs » devenaient chasseurs. Ce sont ces litres de sueur et de sang – le destin d’une chasse à courre – qui sont à l’origine du multipartisme. De Dakar à Libreville, scénario immuable.

Coup d’avance

Puis, le jeu électoral pluraliste s’est installé tant bien que mal. Mais, la démocratie africaine a gardé sa dimension sportive. Elle s’est même professionnalisée. Maintenant, comme aux Jeux olympiques, les épreuves se déroulent tous les quatre ou cinq ans, au moment des échéances électorales. On n’est pas labellisé opposant tant qu’on n’a pas été poursuivi juridiquement, mais surtout physiquement, par le pouvoir. En Côte d’Ivoire par exemple, on se souvient de Laurent Gbagbo, serviette anti transpiration au cou, en 100 mètres plats dans les rues du Plateau; ou de Alassane Ouattara, en saut en hauteur sur le mur de l’ambassade d’Allemagne à Cocody. Abdoulaye Wade, Alpha Condé, Boni Yayi… Tous ont participé à ces épreuves imposées.

L’arrivée au pouvoir de ces anciens opposants ne change rien aux règles. Bien au contraire, le jeu en devient plus passionnant et transpirant grâce à la grande expérience acquise par les nouveaux tenants du pouvoir lorsqu’ils étaient de l’autre côté de la barrière électorale. C’est ce qui explique que les Talon, Deby, Sall, Museveni, etc. ont toujours un coup d’avance sur les Bio Dramane Tidjani, Yaya DilloOusmane Sonko, ou Bobi Wine. D’Abidjan à N’Djamena, scénario immuable.

Seulement voilà, les pouvoirs, quels qu’ils soient, ne font que jouer avec la montre. L’histoire, avec la grande hache, finit toujours par les étêter. L’histoire, avec le grand H, court toujours dans le sens du progrès et du bonheur des peuples. De Douala à Kampala, scénario immuable.

Le Maroc a fait reculer le travail des enfants

Reportage 

L’ONU a déclaré 2021 « Année internationale de l’élimination du travail des enfants ». Le Maroc touche au but pour les plus jeunes.

  • Rémy Pigaglio, envoyé spécial à Salé, Kénitra, au Maroc, 

Lecture en 4 min.

Le Maroc a fait reculer le travail des enfants
 
Des enfants guident des touristes dans l’erg Chegaga, au Maroc, en 2017.PONTOIZEAU SÉBASTIEN

Une quarantaine de mères sont assises sur les petites chaises de la salle de cours du centre de l’association Amesip. Des enfants, bénéficiaires de l’association, commencent alors à jouer une courte pièce de théâtre. Khaoula est poussée par son oncle à travailler comme « petite bonne ». « Mais je veux aller à l’école ! », proteste-t-elle. Hors de question pour son oncle : elle a été confiée à une famille pour s’occuper des tâches ménagères contre rémunération. Elle est finalement libérée, et il n’est pas trop tard pour elle : grâce à l’école de la deuxième chance de l’Amesip, elle peut reprendre le chemin des études.

→ ENTRETIEN. « Le travail des enfants crée un cercle vicieux »

Des applaudissements nourris s’élèvent dans la salle. C’est au tour de Smaïl, un éducateur de l’association, de commenter son travail. Diapos à l’appui, il donne la définition du travail des enfants, en décrit les risques, et rappelle que la loi l’interdit aux moins de 15 ans.

Un débat s’engage avec la salle. « Même à 16 ans, un enfant qui travaille est vulnérable. Comment savoir s’il ne va pas tomber entre de mauvaises mains ? », lance une dame. Une autre acquiesce, mais ajoute : « S’il voit ses parents lutter pour ramener de l’argent, il aura envie de les aider… » Des protestations s’élèvent. « Quand un enfant commence à travailler, on ne sait jamais quand il s’arrêtera. Alors, comment deviendra-t-il ingénieur, ou médecin ? », répond l’éducateur.

« Ici, la précarité est partout »

Ce centre de l’Amesip est situé au cœur du quartier populaire Hay Inbiat, à Salé (ouest du Maroc). Partie prenante du projet MAP’16 de l’Organisation internationale du travail (OIT) de lutte contre le travail des enfants, l’association mène un intense travail de sensibilisation auprès des habitants.

« Ici, la précarité est partout, et le risque est important que les enfants quittent l’école et commencent à travailler. Cela concerne pour moitié des filles, qui sont engagées pour du travail domestique », décrit Abdellah Jalil, responsable du programme à l’Amesip. D’autres enfants sont susceptibles de travailler dans des ateliers de mécanique, de textile, dans les champs, ou encore comme vendeurs, sans compter le travail dans la rue.

→ À LIRE. Maroc : 28 morts dans l’inondation d’un atelier clandestin de textile

Ceux qui ont quitté l’école ou ne l’ont jamais connue peuvent intégrer l’école de la deuxième chance de l’Amesip, un programme d’éducation non formelle. Soukaina, 16 ans, en fait partie. Elle a commencé à travailler à 6 ans dans la rue avec sa mère. « On vendait des mouchoirs, des chewing-gums, des fleurs. Et je voyais les autres filles partir à l’école… », se souvient-elle. Elle a, un jour, entendu parler de l’école de l’Amesip. « J’ai promis à ma mère que je ramènerais autant d’argent après la sortie des cours que pendant toute une journée, pour qu’elle me laisse m’inscrire », raconte-t-elle. Inscrite depuis trois ans, elle a décidé de devenir militaire, « ce que je n’aurais jamais pu imaginer sans l’association », assure-t-elle.

En quelques années, Abdellah Jalil a vu la situation s’améliorer dans le quartier. « Auparavant, nous retirions des enfants du travail pour les rescolariser, en aidant financièrement leur famille. Aujourd’hui, nous faisons surtout de la prévention, comme avec cette réunion de sensibilisation », décrit-il.

Réduction officielle spectaculaire

Selon les statistiques officielles, le Maroc est parvenu en une vingtaine d’années à réduire le travail des enfants de manière spectaculaire. En 1999, le Haut-Commissariat au plan, un organisme officiel chargé des statistiques, recensait 517 000 enfants de 7 à 14 ans en situation de travail. « Ce nombre a diminué de plus de 90 % », assure Malak Benchekroun, coordinatrice nationale du projet MAP’16 à l’OIT. L’État marocain a investi dans les infrastructures scolaires, y compris dans des zones reculées. En 2018, le taux de scolarisation a atteint 99,5 % en primaire, 89,7 % au collège et 65,8 % au lycée, selon le ministère de l’éducation nationale.

« Un ensemble de mesures a permis ces résultats : sensibilisation, soutien scolaire, éducation non formelle… Le travail sur le terrain a été mené avant tout par les associations, qui ont reçu des fonds de l’État. Un programme étatique d’aide financière aux familles qui maintiennent la scolarisation de leurs enfants a aussi joué un rôle important », décrit Malak Benchekroun.

Le combat est en passe d’être gagné pour les très jeunes enfants, le travail concernant dorénavant les plus âgés d’entre eux.
« Dans les années 2000, on trouvait des filles de 6 ou 8 ans qui travaillaient dans les maisons. Aujourd’hui, cela commence plutôt vers l’âge de 12 ans car, souvent, elles finissent l’école primaire mais n’entrent pas au collège », constate Omar Saadoun, responsable du programme de lutte contre le travail domestique des enfants au sein de l’association Insaf. « Les statistiques officielles ne reflètent pas forcément la réalité, rappelle-t-il. Dans le milieu rural, les conditions économiques des familles sont très difficiles, et le taux de déperdition scolaire reste important. »

La crise du Covid-19 menace les avancées

La crise du Covid-19 menace désormais ces avancées. À une centaine de kilomètres de Salé, dans la province de Sidi Slimane, Mohamed Haydar est directeur d’une école primaire dans une zone rurale. « Depuis que j’ai intégré l’éducation nationale en 2000, j’ai vu la déperdition scolaire largement reculer. Mais le Covid-19 pourrait effacer tous les progrès réalisés », craint-il.

Le Covid-19, amplificateur des inégalités dans le monde

À partir de mars 2020, un enseignement à distance a été mis en place mais beaucoup de parents n’ont pas de matériel adapté. « Dans mon établissement, nous avons tout fait pour ne perdre aucun enfant. Mais, dans la région, de nombreux jeunes ont abandonné l’école », déplore Mohamed Haydar, dont les élèves ont bénéficié des cours de soutien scolaire à distance de l’association Osmm, basée à Kénitra, qui fait aussi partie du projet MAP’16. Pour Malak Bechekroun de l’OIT, « il va falloir adapter notre action au Covid-19 pour éviter tout retour en arrière car après des années d’efforts, le travail des enfants n’est plus accepté au sein de la société marocaine. »

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152 millions d’enfants au travail

152 millions d’enfants âgés de 5 à 17 ans étaient astreints au travail en 2017, dont près de la moitié, soit 73 millions, effectuaient des travaux dangereux.

Un quart des travaux dangereux sont réalisés par des enfants âgés de moins de 12 ans (19 millions).

71 % de ce travail est concentré dans l’agriculture (pêche, sylviculture, élevage de bétail et aquaculture), 17 % dans les services et 12 % dans le secteur industriel, notamment minier.

Plus des deux tiers d’entre eux travaillent dans leur famille.

 

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