Burkina : Gilbert Diendéré, un détenu combatif et courtisé (4/4)

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Mis à jour le 07 août 2020 à 17h03
Gilbert Diendéré lors des funérailles des six casques bleus burkinabè tués le 2 juillet 2015 au Nord-Mali au cours d'une attaque terroriste.

Gilbert Diendéré lors des funérailles des six casques bleus burkinabè tués le 2 juillet 2015
au Nord-Mali au cours d'une attaque terroriste. © Sophie Garcia/hanslucas

 

« VIP en prison » (4/4) – Condamné pour vingt ans après le putsch manqué de 2015 et inculpé dans l’affaire Sankara, l’ex-conseiller de Blaise Compaoré ne s’avoue pas vaincu. À la Maca, il reçoit beaucoup et préparerait ses mémoires.

Général un jour, général toujours. Ses nombreux visiteurs l’affirment tous : même emprisonné, Gilbert Diendéré suit de très près la situation sécuritaire de son pays. Vêtu d’une simple paire de jeans, en bras de chemise, l’ancien conseiller de Blaise Compaoré, âgé aujourd’hui de 60 ans, ne rate pas une occasion de commenter les événements qui endeuillent le Burkina Faso depuis déjà trop longtemps.

« Il n’hésite pas à évoquer les solutions techniques pour organiser la lutte contre le terrorisme », confie par exemple l’analyste politique Siaka Coulibaly, qui lui a rendu visite fin 2019, au lendemain du verdict de son procès pour le putsch manqué de septembre 2015.

Vingt ans de prison ferme

Après dix-neuf mois de débats aussi longs que houleux, suspendus à plusieurs reprises, les juges du tribunal militaire de Ouagadougou s’étaient finalement montrés plus cléments que leurs collègues du parquet, qui avaient requis la prison à vie pour l’ancien chef d’état-major particulier de la présidence.

Celui qui a été considéré comme « l’instigateur principal du coup d’État » dans le réquisitoire de Pascaline Zoungrana, la procureure militaire, a écopé de vingt ans de prison ferme pour atteinte à la sûreté de l’État et meurtre, pendant que son principal complice, le général Djibril Bassolé a été condamné à une peine de dix ans, « pour l’avoir aidé ».

Après avoir pris la tête du coup de force perpétré le 16 septembre 2015 par des éléments de l’ancien Régiment de sécurité présidentielle (RSP) contre le régime de transition dirigé alors par Michel Kafando et le lieutenant-colonel Isaac Zida, Gilbert Diendéré avait dirigé l’éphémère Conseil national de la Démocratie (CND).

Mais il avait fini par céder sous la pression de la rue, de l’armée et de la communauté internationale réunies, rendant le pouvoir au bout d’une semaine et mettant ainsi un terme à ce qui reste encore dans les mémoires comme « le coup d’État le plus bête du monde ».

Plutôt détendu… et très demandé

Bientôt cinq ans après l’irruption des bérets rouge du RSP dans la salle du conseil des ministres du palais de Kosyam, les deux principaux instigateurs du putsch ont connu des fortunes bien diverses.

L’état de santé de Djibril Bassolé, atteint d’un cancer, s’est fortement dégradé, au point que les autorités burkinabè l’ont autorisé en début d’année à partir se faire soigner à l’hôpital Foch de Suresnes, dans la région parisienne, où il poursuit toujours sa convalescence.

Malgré son incarcération à la Maison d’arrêt et de correction des armées (Maca), à Ouagadougou, Gilbert Diendéré, lui, semble être en parfaite santé. « Il continue de faire du sport tous les jours », témoigne son avocat, Mathieu Somé.

Installé dans le quartier VIP spécialement aménagé pour lui, il dispose de deux pièces dont une chambre climatisée et équipée d’une télévision. Quant à ses repas, c’est sa famille qui s’en occupe, son fils Ismaël ou son frère Hyppolite se chargeant de les lui apporter chaque jour.

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IL AURAIT DES RELATIONS RÉGULIÈRES, PAR PERSONNES INTERPOSÉES, AVEC LE POUVOIR EN PLACE.

« J’ai été surpris de le voir accepter son sort avec autant de facilité. Il ne se plaint pas de ses conditions de détention. Il a même l’air plutôt détendu », constate Siaka Coulibaly.

Le général semble aussi beaucoup courtisé. Il reçoit en tous cas de nombreuses personnalités, du cardinal Philippe Ouédraogo aux ambassadeurs de France ou des États-Unis, en passant par Eddie Komboïgo, président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et candidat de l’ex-parti de Blaise Compaoré à l’élection présidentielle de novembre prochain.

Selon certaines sources, il aurait également des échanges réguliers, par personnes interposées, avec les autorités actuelles du pays.

Liberté de parole

Quand il n’entretient pas son physique ou son carnet d’adresses, Gilbert Diendéré lit, « tout ce qui lui tombe sous la main », insiste son défenseur. Livres, journaux… Il s’intéresse beaucoup aux questions sécuritaires qui touche la sous-région, et notamment son pays.

« Il estime que les responsables de la dissolution du RSP ont cassé un maillon essentiel du système sécuritaire burkinabè. Selon lui, si les autorités politiques et militaires montraient davantage d’engagement, les résultats seraient bien meilleurs », rapporte Siaka Coulibaly.

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IL RECONNAÎT « AVOIR TISSÉ DES LIENS »AVEC CERTAINS TERRORISTES

Depuis qu’il est en prison, l’ancien chef des services de renseignement a retrouvé une certaine liberté de parole. D’après ses visiteurs, il nie tout pacte de non-agression conclu avec les groupes terroristes mais reconnaît « avoir tissé des liens » lors de différentes médiations ou d’opérations de libérations d’otages occidentaux.

Il avoue également s’être rendu plusieurs fois dans le désert malien, « pour y rencontrer certains jihadistes », notamment Mokhtar Belmokhtar, qui l’aurait personnellement assuré en 2009 de sa « reconnaissance envers les autorités burkinabè » pour leur accueil des expulsés algériens de Folembray en 1994.

Le spectre de l’affaire Sankara

Sur cette question et sur beaucoup d’autres choses, Gilbert Diendéré développera peut-être ses vues dans ses mémoires… Il serait en train de commencer à les rédiger. L’occasion pour le général de donner sa version des faits survenus en septembre 2015, alors que ses avocats ont fait appel du jugement.

Il pourrait également s’y expliquer sur l’assassinat en 1990 de Boukary Dabo, étudiant en médecine et militant à l’Association nationale des étudiants du Burkina (ANEB). Une affaire dans laquelle il devait être convoqué, avant que le parquet général ne lui envoie un procès-verbal de non-comparution en juillet.

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LE GÉNÉRAL EST INCULPÉ POUR ASSASSINAT ET RECEL DE CADAVRE.

Le général Diendéré n’en a pourtant pas terminé avec les ennuis judiciaires. Il doit en effet répondre de ses actes dans une affaire longtemps restée tabou au pays des hommes intègres : la mort de Thomas Sankara.

Les conclusions de l’enquête judiciaire, relancée sous la transition et désormais terminée, ont abouti à l’inculpation de Gilbert Diendéré pour assassinat et recel de cadavre.

S’il n’a pas encore été jugé dans ce dossier, il est déjà entré dans l’histoire judiciaire du Burkina Faso. « Dans un pays qui a connu quatre putschs, c’est la première fois qu’un acte de justice est rendu dans une affaire de lutte pour le pouvoir d’État », note le politologue Siaka Coulibaly. Une sorte de « jurisprudence » Diendéré qui viendrait couronner ses imprudences passées durant trois décennies de vie publique.