[Tribune] Les mégalopoles sont-elles prêtes au défi de l’accès à l’eau potable ?

 
 
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Président Afrique du CEPS (Centre d'études et de prospectives stratégiques), ancien président du comite Afrique du Medef international, ancien PDG Veolia Africa and Middle East et président du think tank (Re)Sources.

Production d'eau minérale de l'usine Ifri, à Ouzellaguen, Wilaya de Béjaia (Algérie).

Alors que les investissements visant à développer les infrastructures nécessaires à contrer les situations de risques                 de « stress hydrique » sont aujourd’hui largement insuffisants, le recours à l’eau en bouteille fait figure de solution transitoire pour les classes moyennes des pays émergents.

Le monde a soif : près de 1,7 milliard d’êtres humains, soit une personne sur quatre, se trouvent déjà en état de « stress hydrique grave », selon un rapport publié en août dernier par le World Resources Institute (WRI). Et même si des solutions existent et sont utilisées parfois à très grande échelle -dessalement, Re-Use – la pénurie engendre dans certaines régions du monde une cascade sans retour : insécurité alimentaire, conflits armés, migrations, instabilités financières…

Un stress hydrique renforcé par l’explosion urbaine

Des conséquences dramatiques, qui le seront encore davantage avec l’urbanisation croissante de nos sociétés. Car si le monde est un village, notre planète ressemble de plus en plus à une immense métropole. Plus d’un humain sur deux (55 %) est, en effet, un citadin. En 2050, les centres urbains concentreront près de 70 % de la population mondiale et la planète comptera plus d’une quarantaine de mégalopoles de plus de 10 millions d’habitants, dont une quinzaine, comme Le Caire, Lagos ou Kinshasa, dépasseront même les 20 millions de résidents.

Cette urbanisation galopante se constatera principalement dans les pays d’Asie et d’Afrique, avec doublement de la population en moins de 30 ans. L’Inde, le Nigeria et la Chine concentreront, à eux seuls, plus d’un tiers de la croissance de la population urbaine. Pour quels effets sur la gestion de l’eau ? Comment s’y préparent ces gigantesques aires urbaines ?

De l’Afrique à l’Asie, le manque d’eau potable tue

L’Afrique reste la région la plus directement menacée par les pénuries et celle ou l’expansion démographique est la plus notable, près de 4 % par an. L’explosion démographique, l’urbanisation sauvage et le nécessaire développement agricole croissant pour subvenir aux populations se conjuguent, aspirant jusqu’à la dernière goutte des réserves, déjà critiques, du continent.

En cause également, la faiblesse continue des investissements dans le secteur alors que les besoins des populations sont chiffrés et connus. Mais la mauvaise qualité, chronique, des infrastructures liées à l’eau peine à positionner ces investissements en tête des agendas de politiques publiques. Les États africains ne dépensent ainsi que 2 % de leur PIB dans le secteur, contre 8,8 % en Chine. Entre 2016 et 2018, les secteurs africains de l’eau n’ont réussi à mobiliser que 13 milliards de dollars en moyenne. Il en aurait fallu entre 56 et 66 milliards.

Les conséquences de cette incurie sont, hélas, prévisibles, et se traduisent notamment par l’expansion de maladies comme le choléra, la dysenterie ou la typhoïde. Les chiffres sont connus. Les constats publiés et même brandis… Pour quelle prise de conscience, quelle mobilisation ?

L’eau en bouteille, une solution provisoire ?

L’accès à l’eau potable n’est donc pas seulement un enjeu alimentaire, c’est aussi une question sanitaire. Souvent perçue comme une forme de « consommation ostentatoire » des classes moyennes africaines ou asiatiques, l’eau minérale en bouteille est surtout la seule solution pour accéder à une eau saine, sans risque et contourner les rudimentaires infrastructures de traitement et de distribution du précieux « or bleu ».

Pourtant, l’eau en bouteille est parfois mal perçue, notamment en Occident, où l’on considère qu’elle « marchandise » un bien public. Assurément, l’eau n’est pas un bien comme un autre, et si commerce il y a, c’est bien celui du service de l’eau, pas de sa source d’origine. Le sujet dépasse le cadre strict de l’économie : enjeux humanitaires, philosophiques, voire religieux. À chaque continent, chaque culture, son approche : en Inde, elle a une dimension sacrée, et sa distribution ne peut pas être abordée de la même manière qu’en Europe par exemple. Et de fait, il n’y a pas un pays ou on « traite » l’eau comme n’importe quelle ressource.

La principale limite à la consommation de l’eau minérale embouteillée est écologique : on ne peut éluder la pollution dramatique provoquée par une mauvaise gestion des déchets plastiques. Heureusement, certains pays, la Cote d’Ivoire ou le Maroc intègrent le traitement et le recyclage pour consolider de vraies filières industrielles. On peut aussi souligner l’importance de la conversion de certaines entreprises du secteur de l’eau minérale qui troquent progressivement le plastique pour le verre afin de réduire l’impact de ces déchets sur l’environnement.

En attendant que les infrastructures de collecte et de distribution de l’eau soient suffisantes, la consommation d’eaux minérales en bouteille demeure une solution provisoire, mais indispensable pour une partie de ces populations. Mais sur le long terme, seule une gestion coordonnée et juste des ressources à l’échelle régionale – comme c’est le cas dans le bassin du Niger – pourra assurer une meilleure répartition de l’eau potable. Le défi est avant tout politique.

 
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