Sommet de l’Union africaine : quand l’UA veut réformer le Conseil de sécurité de l’ONU

| Par - envoyé spécial à Addis-Abeba
Une statue du dernier empereur éthiopien, Haile Selassie, après son dévoilement devant l'Union africaine à Addis-Abeba, le 10 février 2019.

Le fonctionnement du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies fait l’unanimité contre lui parmi les États africains, qui rêvent de réformer le cénacle onusien pour mieux y représenter le continent. Mais des divisions demeurent.

À Addis-Abeba, la réforme de l’Union africaine n’est pas la seule à nourrir les discussions. L’ONU elle-même est également à l’honneur, et notamment son Conseil de sécurité, que tous espèrent réformer.
D’un forum international à l’autre, de Dakar à Addis-Abeba en passant par Doha, il suffit de tendre l’oreille pour entendre très clairement les critiques à destination de la lointaine New York. On y condamne « l’impérialisme » de la communauté internationale, voire le « néo-colonialisme » des « grandes puissances ».

Mouammar Kadhafi, l’année 2011 et le chaos libyen viennent inévitablement alimenter le propos de votre interlocuteur, surtout s’il est un diplomate sahélien.

De passage à Addis-Abeba le 8 février, à la veille de l’ouverture du sommet des chefs d’État de l’Union africaine, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s’est lui-même joint au refrain. « En Libye, alors que l’Union africaine tentait de convaincre Kadhafi de quitter le pouvoir, le Conseil de sécurité a choisi l’option des bombardements (…). Je comprends parfaitement pourquoi, depuis 2011, les pays africains se sentent maintenus à l’écart », a-t-il déclaré.

Quelques heures plus tard, lors d’une session du Conseil de paix et de sécurité, le président de la Commission de l’Union africaine, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, insistait : « Les Nations unies ont une responsabilité dans les crises en Libye et au Sahel, particulièrement le Conseil de sécurité ». Dans l’assistance, son président, Idriss Déby Itno, acquiesçait. Le message est clair. Mais que peut faire l’UA ?

« Des voix africaines » pour « un monde meilleur »

L’organisation réclame aujourd’hui deux sièges supplémentaires dans la catégorie des membres non permanents, ainsi que deux sièges dans la catégorie des membres permanents « avec les mêmes droits, privilèges et obligations accordés aux membres permanents actuels, y compris le droit de veto ». En d’autres termes, au sein d’un conseil de sécurité version UA, l’Afrique compterait deux membres permanents avec droit de veto et cinq sièges de non-permanents, soit sept pays représentés à New York.

Au nom de l’efficacité, ils sacrifient la représentativité

« Beaucoup d’États occidentaux sont réticents à étendre le Conseil de sécurité, et encore davantage le droit de veto, car cela reviendrait pour eux à bloquer tout le processus de décision », explique un diplomate africain. « Au nom de l’efficacité, ils sacrifient la représentativité, quitte à prendre de mauvaises décisions unilatéralement », ajoute-t-il.

« Il sera difficile de parvenir à un monde meilleur sans réforme des Nations unies et sans l’inclusion de voix africaines fortes dans l’organisation mondiale », avait quant à lui expliqué le président sierra-léonais Ernest Bai Koroma, coordinateur du « C10 », le groupe des dix pays africains chargés de réfléchir à la réforme du Conseil de sécurité. Personne, aujourd’hui, ne le contredit. Mais la réforme traîne.

Unité de façade ?

Certains proposent « une solution plus réaliste », selon les termes de l’un des diplomates présent à Addis-Abeba : accorder au moins un siège de membre permanent à l’Union africaine elle-même, ou à son Conseil de paix et de sécurité.

Cette dernière solution « éviterait une partie des batailles diplomatiques actuelles », poursuit notre diplomate. Car, dans les travées de l’UA, en ce mois de février, le Kenya et Djibouti s’opposent en effet en vue de la désignation, en juin prochain, de cinq des dix membres non permanents du Conseil de sécurité (voir ci-dessous). Le siège reviendra à un Africain de l’Est (selon le principe actuel de la rotation régionale). Mais lequel ?

L’unité des Africains n’est en réalité que de façade. D’ailleurs dans les couloirs d’Addis-Abeba, certains diplomates, pour la plupart issus des pays aux économies les plus fortes, soulignent que les sièges ne peuvent être occupés… que par des États.


Djibouti en résistance

Mahmoud Ali Youssouf, le ministre des Affaires étrangères de Djibouti, en octobre 2012 au siège des Nations Unies.

Fin août, un vote de l’UA, au niveau des représentants permanents, avait tranché en faveur de la candidature du Kenya, avec 37 voix contre 13 pour Djibouti. Mais, pour ce dernier, la procédure n’a pas été organisée au plus haut niveau et n’est donc pas valable. Depuis, les autorités djiboutiennes se sont lancées dans un lobbying forcené pour inverser la tendance.

À Addis, depuis août, elles rappellent à qui veut l’entendre que le Kenya a déjà été deux fois membre du Conseil de sécurité (1973-1974, 1997-1998), contre une fois seulement pour Djibouti (1993-1994). « Les textes prévoient que, en cas de candidatures multiples ou d’absence de consensus, les États sont départagés selon deux principes : celui de la dernière rotation et celui de la fréquence. Dans les deux cas de figure, la candidature de Djibouti aurait dû s’imposer », explique la diplomatie djiboutienne.

Ces derniers jours, la championne des « petites nations » (comme Djibouti aime à se décrire) a pu faire valoir son point de vue lors de la réunion des chefs de diplomatie d’Afrique de l’Est, le 6 février. Djibouti a même joué la carte francophone. Son ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Ali Youssouf, a multiplié les rencontres, notamment lors d’une soirée de l’Organisation internationale de la Francophonie le 7 février. Au menu des poignées de main : les représentants gabonais, marocain, tunisien ou camerounais. Djibouti n’a pas dit son dernier mot.