[Tribune] Travail forcé et exploitation sexuelle : face à la traite humaine,
unissons nos moyens

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Directeur exécutif de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC)

Un crime presque parfait. Pour les trafiquants, la traite des êtres humains signifie de gros bénéfices et peu de risques d’être pris. Elle exploite la vulnérabilité des victimes, qui sont privées de leur voix, de leurs droits et d’accès à la justice. Comment pouvons-nous accepter que la traite des personnes existe encore au XXIe siècle ?

Le 30 juillet, déclaré en 2013 par l’ONU Journée mondiale de la lutte contre la traite des êtres humains, braque les projecteurs sur ce fléau, très difficile à évaluer. Le chiffre de 225 000 victimes recensées entre 2003 et 2016 serait en réalité sous-évalué. Il est cependant établi que près des trois quarts d’entre elles sont des femmes et des filles, et que l’exploitation sexuelle est la plus grande motivation de ce trafic, suivie de près par le travail forcé.

Travail forcé et traite des migrants

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En Afrique subsaharienne, il peut s’agir d’esclavagisme moderne – travail forcé dans l’agriculture, la pêche ou sur les marchés –, de la traite par des réseaux organisés, et enfin de celle qui prend pour cible des migrants en route vers l’Europe.

Les enfants – 55 % – y constituent la majorité des victimes. Surtout, contrairement à ce que l’on imagine parfois en Europe, les flux de la traite y sont pour la plupart internes aux pays ou intrarégionaux.

Face à de tels défis, comment la communauté internationale peut-elle agir pour que les trafiquants soient traduits en justice et les victimes identifiées, protégées, soutenues ? L’instrument de droit international visant la traite humaine est le Protocole additionnel à la Convention de Palerme, qui entend prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Depuis son entrée en vigueur il y a quinze ans, des progrès sont à relever.

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Un migrant subsaharien dans une geôle libyenne, en 2013. © Manu Brabo/AP/SIPA

Si le nombre de victimes enregistrées a grimpé de 40 % entre 2011 et 2016, c’est aussi parce que les autorités nationales ont amélioré leur aptitude à les identifier. Disposer de données par âge, sexe et forme d’exploitation permet de les sortir de l’ombre, comme aux Pays-Bas, qui ont découvert que les victimes les plus dissimulées dans le pays étaient des mineures de nationalité néerlandaise, exploitées sexuellement. Cela a ouvert un débat sur la nécessité de politiques de prévention ciblant cette population, à travers des campagnes de sensibilisation dans les écoles.

Il existe une corrélation indiscutable entre l’ancienneté d’une législation visant à lutter contre ce crime, les capacités nationales à le détecter et le nombre de condamnations en justice. Les pays qui ne signalent aucune condamnation pour traite humaine sont de moins en moins nombreux.

En Afrique subsaharienne, les tribunaux de ceux qui se sont récemment dotés d’une législation ont prononcé leurs premières condamnations au cours des quatre dernières années.

Les défis communs requièrent des solutions communes

L’existence d’une coopération internationale permet de faire la différence. Des formations pour procureurs, juges et officiers de police judiciaire de pays ouest-africains, dispensées par l’ONUDC, permettent de sensibiliser aux outils de la coopération en matière criminelle et de partager les bonnes pratiques dans leur mise en œuvre.

Un récent exemple de coopération judiciaire transcontinentale est l’implantation de juges nigérians en Espagne et en Italie visant à faire le lien entre pays d’origine et pays de destination de traite humaine à des fins d’exploitation sexuelle, à démanteler les réseaux et à mieux soutenir les victimes.

Les défis communs requièrent des solutions communes. La communauté internationale – pays d’origine, de transit, de destination – doit serrer les rangs dans la lutte contre ce fléau. En cette Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains, nous devons appeler nos gouvernements à agir, à accélérer les progrès dans la mise en place du Protocole et à renforcer la coopération à travers les frontières et entre les services compétents. Il en va de notre responsabilité de permettre aux victimes d’être identifiées et d’avoir accès aux services et à la protection dont elles ont besoin.