[Tribune] Et si l’Église nous délivrait du mâle ?

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Ecrivain. Auteur de La Cale (Prix Stéphane-Hessel), Terre Ceinte, Silence du Choeur (prix Ahmadou-Kourouma, Grand prix du roman métis3).

Il n’est pas certain que la parole des victimes d'abus sexuels se libère en Afrique, comme cela commence à être le cas partout ailleurs : ce tabou est encore fort sur le continent.

On commençait hélas à bien connaître, sur le continent, les dérives des Églises évangéliques et pente­côtistes : leur emprise sur les individus qu’elles veulent « sauver » à tout prix (donc chèrement) ; les shows télévisés de leurs pasteurs en plein accomplissement de « miracles » ; les abus sexuels, enfin, que subissent certains de leurs adeptes, en général – comme c’est étonnant – des femmes. Ce qu’on savait moins (ou qu’on prétendait ignorer), c’est que ce fléau des abus sexuels était aussi très présent au sein de l’Église catholique.

Un poignant documentaire de la chaîne de télévision franco-­allemande Arte révèle la manière dont des religieuses africaines (mais pas seulement) étaient abusées par certains prêtres jouant de leur empire psychologique, moral et financier pour satisfaire leur libido.

Alex Proimos from Sydney, Australia By Wikimedia Commons

Le calice déborde quand on apprend que les congrégations demandent aux religieuses enceintes de prêtres d’avorter

Ces viols et abus se produisent au sein des communautés locales, mais aussi au Vatican même, lorsque les sœurs y vont pour parfaire leur formation. Le calice déborde quand on apprend que les congrégations demandent aux religieuses enceintes de prêtres d’avorter – rappelons la position, très dure, de l’Église sur l’avortement, ce « crime abominable » – avant de les abandonner à elles-mêmes, « souillées », honteuses.

Citons ce terrible passage, où une ancienne nonne africaine raconte comment un prêtre contraignit l’une de ses camarades, enceinte de ses œuvres, à interrompre sa grossesse de huit mois. L’Église sait tout cela. Mais, comme souvent en la matière, elle se tait, ou réagit mollement.

Un tabou tenace

Le catholicisme séduit toujours sur le continent. Le nombre de ses fidèles croît : 186 millions en 2010, 222 millions en 2015 (presque 20 % de la population africaine, et autour de 17 % de la communauté catholique mondiale). Ces chiffres ont augmenté depuis et vont encore grimper.


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Si rien n’est fait, ceux des abus sexuels au sein de l’Église catholique africaine aussi. Il n’est pourtant pas certain que la parole des victimes se libère, comme cela commence à être le cas partout ailleurs : ce tabou est encore fort sur le continent.

Là comme ailleurs, le seul vrai Dieu est l’homme. On manque un peu la cible en accusant la religion, la société, la culture. Ce sont d’utiles et puissants prête-noms, des « abstractions » : derrière elles s’esquisse la figure masculine omnipotente, qui a fait le monde à son image, à son usage, et qui abuse de son pouvoir et des femmes dans l’impunité. Mais nous le savons depuis longtemps et faisons mine de l’ignorer. Le taisons. Réagissons mollement. Nous sommes en fait (comme) l’Église. Qu’on nous délivre donc du mâle.