La CPI est-elle finie ?

 

 
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Samia Maktouf est avocate, inscrite aux barreaux de Paris et de Tunis, et conseil près la Cour pénale internationale.

L'acquittement de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé vient conforter ceux qui dénoncent une justice internationale par trop politisée et peu soucieuse du droit, selon l'avocate Samia Maktouf.

L’un des procès les plus emblématiques de la Cour pénale internationale (CPI) a prouvé une nouvelle fois que cette juridiction n’est pas à la hauteur des attentes placées en elle, tant par le public que par les justiciables, et que son fonctionnement même pose question.

Accusée de s’acharner sur les dirigeants africains, la CPI a de nouveau brillé par ses lacunes en jugeant Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d’Ivoire détenu depuis 2011, ainsi que Charles Blé Goudé, l’un de ses anciens ministres. Elle vient de prononcer leur acquittement et d’ordonner leur mise en liberté immédiate.


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Des dysfonctionnements majeurs

Une décision ô combien prévisible – que j’avais d’ailleurs anticipée dans une tribune en décembre dernier, qualifiant cet acquittement de « probablement imminent » – tant la procédure en elle-même paraissait annonciatrice d’un dossier vide d’éléments probants et de preuves. Depuis l’ouverture du procès le 26 janvier 2016, pas moins de 82 témoins se sont succédé pendant les 231 journées d’audience, et des milliers de documents ont été versés au débat.

Mais, dès la fin de la présentation par le procureur de sa demande de mise en accusation de Laurent Gbagbo, les juges avaient exigé que le magistrat étoffe l’ensemble des preuves apportées. La défense de l’ancien chef d’État soutenait que, si des crimes avaient certes été commis à l’issue de l’élection présidentielle de 2010, rien ne permettait de les rattacher à Laurent Gbagbo ni à son ministre Charles Blé Goudé.

À la CPI, les intérêts divergent à l’évidence entre siège et parquet

C’est en effet à l’accusation de prouver les faits qu’elle poursuit, et non aux accusés de se justifier. Et c’est bien ce qu’a retenu la chambre de première instance ce mardi 15 janvier en affirmant que « le procureur ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve en ce qui concerne plusieurs éléments constitutifs essentiels des crimes tels que reprochés aux accusés ». De là à comprendre que des raisons autres que juridiques entrent en ligne de compte, il n’y a qu’un pas. D’autant que les juges ont retoqué les demandes du procureur en faveur d’un maintien en détention. Une preuve supplémentaire de dysfonctionnements majeurs au sein de la CPI, où les intérêts divergent à l’évidence entre siège et parquet.

Lors des procédures contre Uhuru Kenyatta puis Jean-Pierre Bemba, la CPI est déjà allée trop vite

Des procès entamés trop rapidement

Quand le procès d’appel aura-t-il lieu ? Impossible de le savoir, le Statut de Rome ne prévoyant aucun délai à observer. Seule certitude, le maintien indéfini en détention de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé équivaudrait à un mépris du principe de la présomption d’innocence. Au milieu de la polémique déjà ancienne sur l’insistance de la CPI à engager des poursuites sur le continent africain, ce double acquittement de dirigeants de haut niveau vient encore apporter de l’eau au moulin de ceux qui dénoncent une justice internationale par trop politisée et peu soucieuse du droit.

Investie de grandes espérances dès sa création, la CPI est déjà allée trop vite au moins deux fois, toujours lors de procédures engagées contre des dirigeants africains : d’abord, le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, contre lequel les charges ont finalement été abandonnées, puis Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la RD Congo, acquitté il y a quelques mois. Inévitable conséquence de la politisation à outrance de procès entamés trop rapidement, à l’issue d’enquêtes expéditives, dans le seul but de satisfaire une opinion publique rendue vindicative.

La CPI a tôt fait d’oublier que, quel que soit l’individu se tenant dans le box des accusés, la présomption d’innocence demeure et s’applique dès la première seconde

Le principe de présomption d’innocence bafoué ?

À l’origine, vouloir une juridiction permanente et non plus ad hoc n’était non seulement pas excessif, encore moins utopiste, mais purement indispensable. Mais, ayant reçu dès le départ un fardeau trop lourd – juger des responsables politiques, militaires et non étatiques pour les pires des crimes –, la CPI prenait d’emblée le risque de s’arroger indûment un rôle de juge moral ou politique, bien plus que judiciaire. Pour détestables que soient certains régimes, certains propos, voire certains actes indéfendables, la CPI, et en particulier son premier procureur, Luis Moreno Ocampo, a tôt fait d’oublier que, quel que soit l’individu se tenant dans le box des accusés, la présomption d’innocence demeure et s’applique dès la première seconde.

Ce principe de droit, fondamental et inaliénable, ne s’arrête pas aux portes de la Cour. Celle-ci a trop cru en son pouvoir – si ce n’est en son devoir – de passer outre une obligation aussi évidente, telle une superjuridiction supranationale qu’elle n’est pas et qui, en tout état de cause, demeure tenue aux mêmes principes fondamentaux qu’elle peut reprocher, souvent à bon droit, à certains de n’avoir pas respectés.

Le monde a trop besoin d’une juridiction en laquelle il puisse avoir confiance pour que de telles impasses soient autorisées à perdurer

Vers un destin de disgrâce ?

Personne ne demande à la CPI de ne prononcer que des condamnations, pas plus que les acquittements qu’elle prononce ne veulent dire à eux seuls qu’elle ne fonctionne pas. Il y a toutefois un monde entre un acquittement prononcé à l’issue d’un procès digne de ce nom et un acquittement pour vacuité du dossier. Si la CPI devait persister dans cet aveuglement, à quel avenir s’exposerait-elle ?

Bafouant les principes fondamentaux du droit et les libertés fondamentales, au premier rang desquelles la présomption d’innocence, la CPI s’expose à un destin de disgrâce. Si elle continue à s’exposer au ridicule de telles situations, et à tomber dans le piège de la discrimination, elle ne se résumera plus qu’à un vaste gâchis de temps, d’argent et d’énergie. Or le monde a trop besoin d’une juridiction en laquelle il puisse avoir confiance pour que de telles impasses soient autorisées à perdurer.