À quoi ressemblent les trois visages du racisme ?
Axelle Mag

L’actualité charrie son lot de drames et d’injustices. De multiples agressions racistes ont récemment fait la une des médias belges. À juste titre, l’opinion s’émeut. Mais quand il faut identifier les coupables, c’est plus compliqué. Les politiques accusent les individus isolés et leur « bêtise ». Les médias pointent du doigt des politiques irresponsables ou des internautes semant leur haine anonyme sur les réseaux sociaux… Bref : ce n’est jamais de « notre » faute… Pourtant, la responsabilité est largement collective. Mais pour le comprendre, il faut avoir décodé les différents visages et les différents niveaux du racisme. Nous tentons d’expliquer cette complexité en dessins, forcément schématiques, extraits de notre hors-série paru cet hiver : « Racisme en Belgique. Solidarités de femmes ».

Les trois visages du racisme © Marie Leprêtre pour axelle magazine

L’agression raciste et sexiste d’une femme musulmane à Anderlues ; des attouchements et insultes de femmes afrodescendantes au festival de musique Pukkelpop par des jeunes hommes qui entonnaient en même temps des chants faisant l’apologie de l’entreprise coloniale ; un adolescent afrodescendant poussé sur la voie ferrée en gare d’Aarschot ; une présentatrice météo qui reçoit quotidiennement des insultes racistes… Ces dernières semaines, les médias ont rendu visible le quotidien des personnes racisées vivant dans notre pays. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Ces actes et ces propos ne sont pas anodins, ce ne sont pas des faits isolés. C’est la manifestation d’un héritage qui dépasse celui de l’histoire coloniale belge et qui perpétue une mécanique raciste : aujourd’hui encore, faut-il le dire et le redire (en fait, il faut surtout l’entendre !), le racisme fait des terribles dégâts.

C’est quoi, le racisme ?

Comme le patriarcat ou le capitalisme, le racisme est un « système de domination ». Concrètement, c’est une organisation de la société à partir de croyances (les « préjugés », par exemple) et de pratiques qui vont définir, classer et hiérarchiser des groupes sociaux entre eux. L’objectif d’un système de domination ? C’est d’imposer la domination d’un groupe social sur l’autre. Schématiquement, dans le cas du patriarcat, c’est la domination des hommes sur les femmes. Dans le système capitaliste : les riches sur les pauvres. Et évidemment, pour le racisme, la domination des « blanc·he·s » sur… sur qui, d’ailleurs ? Sur celles et ceux que le groupe dominant appelle « autres ». Les critères pour « classer » les « autres » peuvent varier : la carnation de peau, la religion, le pays d’origine, la langue…

Cette organisation inégalitaire touche absolument tous les domaines de la vie individuelle et sociale : la famille ; la santé mentale ; les représentations que l’on se fait de soi, de son histoire ; l’école ; les études ; l’emploi ; les relations aux institutions comme la Police (même quand on est victime de violences conjugales…) ou la migration ; les médias

Enfin, certaines personnes vivent au croisement de plusieurs de ces systèmes (qui peuvent, dans certains cas, avoir une histoire commune…) : comme la femme attaquée à Anderlues, qui a été victime d’une agression à la fois parce qu’elle est musulmane (d’autant plus « visiblement » aux yeux de ses attaquants qu’elle portait le foulard) et parce qu’elle est une femme.

Les trois visages du racisme

Le racisme est complexe et revêt plusieurs visages : il peut être hostile, invisible ou paternaliste.



Le racisme hostile © Marie Leprêtre pour axelle magazine

Le « racisme hostile » est la forme de racisme que l’on analyse le plus facilement. L’« autre » est perçu·e comme une menace dont il faut se protéger. Sa seule présence nous agresse : on montre du doigt, on dévisage, on insulte. Cette forme de racisme suscite un discours inquiet : « ils sont partout », « tous des terroristes », « tous des voleurs », etc.

Quant au « racisme invisible », il est paradoxalement très répandu : l’« autre » est invisible, on ne lui parle pas, on ne la/le voit pas. La réaction n’est plus le regard haineux ou l’injure, comme dans le cas du racisme hostile, mais l’indifférence et le silence. C’est par exemple, dans la salle d’attente d’un médecin qui reçoit pourtant ses autres patient·es, une femme portant le voile, qui s’entendra dire après plusieurs heures d’attente : « C’est trop tard, les consultations sont finies. »

Le racisme paternaliste © Marie Leprêtre pour axelle magazine

Enfin, le « racisme paternaliste » est sans doute la forme de racisme la plus difficile à percevoir car parfois, elle se confond avec de « bons sentiments », mais elle contribue pourtant à alimenter la mécanique raciste. L’« autre » est considéré·e comme un·e enfant, immature ou malade. Elle/il a besoin d’un·e tuteur ou tutrice et ne peut pas faire les choses tout·e seul·e. C’est, par exemple, interrompre une réunion de parents d’élèves en s’adressant lentement à la seule personne noire présente et lui demander si elle a bien tout compris, supposant d’emblée qu’elle est non francophone, voire non alphabétisée.

Les trois niveaux du racisme

On a tendance à penser que le racisme est une question individuelle : certaines personnes sont racistes, les autres non. Il suffirait donc de lutter contre les préjugés pour venir à bout du racisme. Toutefois, le racisme se joue à différents niveaux…



Le racisme au niveau individuel © Marie Leprêtre pour axelle magazine

Lorsqu’une femme portant le foulard est insultée en rue, on est à un niveau individuel.



Le racisme au niveau institutionnel © Marie Leprêtre pour axelle magazine

Mais lorsqu’une agence immobilière ou une agence pour l’emploi filtre les candidatures pour exclure de facto celles des personnes racisées, on bascule dans le niveau institutionnel. Car ce refus ne vient pas uniquement d’une personne en chair et en os, mais aussi de l’organisation pour laquelle elle travaille et dont elle répercute les consignes – explicites ou non.



Le racisme au niveau global © Marie Leprêtre pour axelle magazine

Enfin, le racisme peut être véhiculé par les structures et par les discours qui organisent la société. Quand, par exemple, un haut fonctionnaire d’État tient des propos dénigrants sur les personnes migrant·es, propos par la suite répercutés (même de façon critique) dans tous les médias, on est dans ce niveau global.

Ces différents degrés se combinent et se renforcent. Lutter contre le racisme, c’est donc agir sur tous les fronts.

Source : À quoi ressemblent les trois visages du racisme ? – Axelle Mag, Collectif, N°211Septembre 2018