Jésus a-t-il vraiment annoncé un autre prophète après lui ?

La question du Paraclet

Père Josef Stamer

 

Introduction :

Récemment dans une rencontre avec des jeunes chrétiens, la question a surgi : D’après les musulmans, Jésus a échoué dans sa mission. C’est pourquoi il a annoncé la venue de Mohammed. Qu’en est-il exactement ? Dans les discussions quotidiennes entre chrétiens et musulmans au Mali et comme ailleurs en Afrique la question des « envoyés » et de leur rang les uns par rapport aux autres, est une des plus chaudes. Effectivement elle touche au « noyau dur » de nos différences doctrinales, mais surtout au plus profond des sensibilités religieuses des uns et des autres : beaucoup de musulmans ont une grande vénération pour leur prophète Mohammed et l’amour des chrétiens pour Jésus est le cœur même de la religion chrétienne.

Il y a déjà plusieurs dizaines d’années, un livre a paru en France : « La Bible, le Coran et la Science » de Maurice Bucaille. Ce livre a été largement diffusé, à bas prix ou même gratuitement, en Afrique par les soins de l’organisation libyenne de l’Appel à l’Islam et d’autres organisations islamiques. En effet, il reprend toute une série de vieux thèmes de la controverse ou de la polémique entre chrétiens et musulmans, dont aussi l’affirmation que, dans certains textes de l’Evangile selon Saint Jean, il y aurait l’annonce par Jésus de la venue de Mohammed. Ceci a été repris plus près de nous encore par M. Saada Touré de Ségou dans son petit pamphlet : « L’Eglise est-elle chrétienne ou paulienne ? » En son temps (1979), Mgr Sidibé avait répondu à Saada Touré dans une lettre pastorale non moins agressive.

Pour que de telles discussions ne restent pas de paroles stériles et ne finissent par détériorer le bon climat de convivialité entre chrétiens et musulmans, il est utile de connaître plus en détail de quoi il s’agit au juste.

Cette brochure veut donc apporter quelques lumières sur un sujet qui reste complexe et controversé. Nous allons examiner le plus objectivement possible les textes des nos Ecritures respectives qui sont en jeu dans la prétendue annonce de Mohammed par Jésus, mais nous allons aussi avoir un regard très critique pour certaines interprétations ou manipulations de ces textes.

Cette brochure ne veut nullement réchauffer une dispute vieille de plusieurs siècles entre chrétiens et musulmans. Nous aurons pourtant à en parler. Au contraire, dans un esprit de pacification et de clarification, elle veut faire connaître et apprécier les vraies différences de nos fois respectives et c’est là un élément indispensable du dialogue inter-religieux.

 

1. Justifier et préciser un verset du Livre saint des musulmans : Coran 61,6

Pour les musulmans le Coran est l’ultime Révélation qui abroge et corrige toutes les autres. Dans le Coran, à la sourate appelée « Le rang » (61), nous trouvons le texte suivant : « Jésus, fils de Marie, dit : ‘O fils d’Israël ! Je suis, en vérité, le Prophète de Dieu envoyé vers vous pour confirmer ce qui, de la Tora, existait avant moi ; pour vous annoncer la bonne nouvelle d’un Prophète qui viendra après moi et dont le nom sera Ahmad’. Mais lors que celui-ci vint à eux avec des preuves incontestables, ils dirent : ‘Voilà une sorcellerie évidente !’ » (61,6)

Il faut noter d’abord qu’il existe une deuxième version de ce texte qui ne change rien au contenu du message de Jésus, mais qui ne comporte pas le mot clé « Ahmad » qui nous intéresse ici : « Jésus, fils de Marie, dit : ‘O fils d’Israël ! Je suis, en vérité, le Prophète de Dieu envoyé vers vous pour confirmer ce qui, de la Tora, existait avant moi ; pour vous annoncer la bonne nouvelle d’un Prophète dont la communauté sera la dernière communauté et par lequel Allah mettra le sceau aux Prophètes et aux Apôtres’. Les Fils d’Israël dirent : ‘ Ceci est sorcellerie évidente !’ »

A propos de la traduction qui est ici celle de Denise Masson, authentifiée par des lettrés musulmans, il est à remarquer que le mot « Prophète » ne se trouve pas tel quel dans le texte arabe, mais bien le mot « envoyé » qui n’a pas tout à fait le même sens.

Généralement les traducteurs de ce verset laissent « Ahmad » comme nom propre, mais rien n’empêche de traduire simplement « dont le nom sera bien loué ». En effet, « Ahmad » est une forme renforcée (élatif) de la racine HMD=louange. Des noms propres tels que Mahmûd, Hamîd, ou encore Mohammed, sont effectivement dérivés de cette racine. Mais « Ahmad » n’était pas employée comme nom propre au début de l’Islam. L’usage parmi les Arabes du mot Ahmad comme nom propre ne semble commencer que vers 740, soit plus de cent ans après le début de l’Islam. Le mot Ahmad dans Coran 61,6 devrait donc être pris non comme un nom propre, mais comme un adjectif. La traduction originelle serait donc « dont le nom sera bien loué ». Quoiqu’il en soit, la tradition islamique n’a pas été long à voir dans  « Ahmad » un synonyme du prophète Mohammed.

Pour les musulmans il ne fait donc aucun doute : Jésus (‘Isâ bnu Maryam) a annoncé la venue d’un prophète après lui, peu importe les incertitudes sur le texte et sur son interprétation. En tant que chrétiens prenons acte que le Coran met ces paroles dans la bouche de Jésus, mais ne nous sentons nullement concernés par cette annonce.

Ce verset coranique de l’annonce par Jésus d’un prophète ultérieur s’inscrit dans l’ensemble de la foi musulmane aux Ecritures et aux Envoyés.

Il est vrai que Chrétiens et Musulmans, nous sommes très proches dans notre foi en un Dieu qui a parlé, qui s’est manifesté, qui s’est révélé. Nous, monothéistes, nous croyons en Dieu parce que « Dieu a parlé aux hommes » (Nostra Aetate n° 3).

Mais dès que nous cherchons à nous préciser les uns aux autres le contenu de cette Parole de Dieu et surtout la manière dont elle nous est parvenue, nous tombons dans les différences les plus insurmontables entre chrétiens et musulmans.

Pour les musulmans Dieu parle d’abord à travers les Ecritures. Les « envoyés » (« prophètes ») ne sont que des transmetteurs de ces Ecritures sans aucune influence sur le contenu de ces Livres. En Islam la foi aux Livres est première par rapport à la foi aux Envoyés, plus importante que cette dernière.

Le Coran qui en définitive fait foi pour les musulmans, parle d’au moins quatre, sinon cinq Ecritures que Dieu aurait confiées à divers « envoyés ». Ces « envoyés » sur la base de l’Ecriture reçue et notamment de la Loi divine contenue en elle, deviennent en même temps fondateurs de communauté de croyants.

Le cas d’Abraham reste assez obscur. Dans plusieurs sourates du début de la prédication de Mohammed à La Mekke, le Coran (87,18 – 19 et 53,36 - 37) parle bien de « feuillets » confiés à Abraham, mais ceci n’est plus repris par la suite.

Par contre, très proche du récit biblique, la Loi de Dieu (« Tawrât » = Tora ?) est confiée à Moïse qui en fait la base de la communauté juive. Les textes qui en parlent sont nombreux et le verset cité plus haut (61,6) qui mentionne la « Tawrât donnée avant Jésus », est justement précédé d’un verset sur Moïse : « Moïse dit à son peuple :’O mon peuple ! Pourquoi me maltraitez-vous, alors que vous savez que je suis vraiment le Prophète de Dieu envoyé vers vous ?’ Lorsqu’ils dévièrent, Dieu fit dévier leurs cœurs. Dieu ne dirige pas le peuple pervers. » (61,5).

Faut-il établir une équivalence entre cette « Tawrât » et les cinq premiers livres de la Bible (Pentateuque) comme certains commentateurs du Coran le suggèrent ? La question reste posée.

Selon le Coran, et analogue à la tradition biblique, un livre de chants de louange est donné par Dieu à David : les « Zabûr » = Psaumes (Coran 4,163 ; 17,55 et 21,105). Le mot « Zabûr » est un singulier collectif dont le pluriel « zubur » sert parfois pour désigner l’ensemble des Ecritures données par Dieu avant le Coran (16,44 ; 26,196 ; 35,25 ; 54,43 et 52).

Le cas de Jésus (‘Isâ) est plus complexe. Un livre lui vient de la part de Dieu, un livre appelé « Injîl » mot dérivé manifestement du mot grec pour « Evangile » au singulier, qui serait une version renouvelée de la « Tawrât », puisque Jésus, comme Moïse, est envoyé au peuple juif. Ce dernier a été infidèle à ce qui lui a été révélé par Moïse et Dieu est obligé d’envoyer un autre « prophète », avec un livre contenant un autre Loi. Ainsi lisons-nous par exemple en Coran 5,46 : « Nous avons envoyé, à la suite des prophètes, Jésus, fils de Marie, pour confirmer ce qui était avant lui, de la Tora. Nous lui avons donné l’Evangile où se trouvent une Direction et une Lumière, pour confirmer ce qui était avant lui de la Tora : une Direction et un Avertissement destinés à ceux qui craignent Dieu. »

Où se trouve cet « Injîl » ? Quel est son contenu exact ?

Nous chrétiens, nous ne pouvons que poser des questions. Il est certain que, selon la foi chrétienne, Jésus n’est pas venu avec une Ecriture. De plus, lui-même n’a rien écrit et ce n’est que quelques dizaines d’années plus tard que quatre de ses disciples ont mis par écrit ses gestes et ses paroles : les quatre Evangiles.

D’après la conception musulmane, Jésus n’a pas été suivi non plus par les Juifs et les chrétiens, sa communauté, ont faussé son message. Nous aurons à revenir en détail sur ce reproche faites aux chrétiens de la « falsification des Ecritures ». Pour les musulmans c’est là la raison pour laquelle Dieu envoie un dernier « prophète » avec un Livre qui résume et reprend tous les autres et qui est « inégalable » : le Coran.

Le Coran est ainsi dans la foi musulmane la « révélation » définitive qui abroge toutes les autres « révélations » et, bien qu’envoyé aux Arabes et écrit en arabe, il s’adresse pourtant à tous les hommes et à tous les peuples. Ce verset coranique de l’annonce par Jésus d’un autre prophète après lui cadre donc pleinement avec la logique de ce que le Coran dit sur les « Ecritures » et les « Envoyés ».

Depuis le début de l’Islam des musulmans ont cherché à trouver confirmation de cette annonce de Mohammed dans les Ecritures judéo-chrétiennes. Certains n’ont rien trouvé et, de ce fait, ont accusé les chrétiens d’avoir enlevé cette annonce de leur Livre. D’autres sont tombés sur les textes de l’Evangile de Jean où Jésus annonce le « Paraclet ». Et là encore, il y a le reproche d’avoir obscurci et trafiqué ces textes, puis que selon eux le mot « Paraclet » aurait été mis à la place d’un autre et qui serait l’équivalent de « Ahmad » dans le Coran.

Nous aurons à revenir en détail sur cette prétendue substitution, mais auparavant regardons de plus près l’Evangile de Jean et notamment les textes sur le Paraclet.

 

2. L’Evangile de Jean et les textes sur le « Paraclet ».

Nous l’avons déjà dit : D’après la tradition chrétienne, Jésus n’est pas venu avec un livre, mais s’est référé très souvent dans sa prédication aux textes de la Bible des Juifs qu’il connaissait très bien. Jésus n’a rien écrit non plus lui-même ni n’a-t-il donné l’ordre à ses disciples d’écrire ses paroles, la Bonne Nouvelle (= Evangile) du Royaume de Dieu, mais d’en témoigner, de la proclamer, de l’annoncer jusqu’au bout du monde.

Ce n’est que quelques 40 à 50 ans après le départ de Jésus que des disciples ont mis cette Bonne Nouvelle par écrit. L’Eglise, la première communauté de Jésus, a reconnu quatre de ces écrits comme authentiques c’est à dire contenant l’essentiel de la vie et du message de Jésus. Les quatre Evangiles sont nés de la proclamation et du témoignage de la première communauté chrétienne.

L’Evangile de Jean est appelé aussi le 4ème Evangile précisément par ce qu’il a été écrit après les trois autres de Marc, de Mathieu et de Luc et qu’il est assez différent des trois autres. Les spécialistes sont unanimes pour dire que l’auteur du 4ème Evangile a connu les trois autres, lorsqu’il s’est mis à écrire vers la fin du 1er siècle, soit quelques 60 à 70 ans après le départ de Jésus. Aussi le 4ème Evangile ne reprend-il pas en détail tous les faits et paroles de Jésus rapportés dans les autres Evangiles, sauf pour le récit de sa condamnation, de sa mort sur la croix et de sa résurrection. Par contre, il fait ressortir quelques faits significatifs de la vie de Jésus pour les méditer et en faire découvrir toute la profondeur spirituelle.

L’Evangile de Jean parle fréquemment de l’Esprit Saint. Nous ne pouvons pas revenir sur tous les textes. Rappelons seulement les plus significatifs :

Jean 1, 29 – 34 :

Le lendemain, Jean (le Baptiste) voit Jésus qui vient vers lui et il dit : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. C’est de lui que j’ai dit : ’Après moi vient un homme qui m’a devancé, parce qu’avant moi, il était’. Moi-même, je ne le connaissais pas, mais c’est en vue de sa manifestation à Israël que je suis venu baptiser dans l’eau. » Et Jean porta son témoignage en disant : « J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. Je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, c’est lui qui m’a dit : ‘Celui sur lequel tu verras l’Esprit descendre et demeurer sur lui, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint’. »

Jean-Baptiste atteste clairement dans ce texte qu’il a vu l’Esprit Saint descendre sur Jésus et que, désormais, c’est Jésus qui donne l’Esprit de Dieu.

Jean 7, 37 – 39 :

Le dernier jour de la fête, qui est aussi le plus solennel, Jésus se tint dans le Temple et se mit à proclamer à haute voix : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et que boive celui qui croit en moi. Comme l’a dit l’Ecriture : ‘De mon sein couleront des fleuves d’eau vive’. » Il désignait ainsi l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui : en effet, il n’y avait pas encore d’Esprit parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié.

Retenons simplement de ce texte que Jésus compare le don de l’Esprit à une source d’eau vive et que Jésus doit entrer dans sa gloire pour que ses disciples puissent boire à cette source c’est à dire recevoir le don de l’Esprit.

Jean 20, 19 – 22 :

Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Juifs, les portes étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint eu milieu d’eux et il leur dit : «La paix soit avec vous. ». Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. Alors, à nouveau, Jésus leur dit : « La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »

La promesse que Jésus avait faite de donner l’Esprit à ses disciples, il la réalise immédiatement, le jour même de sa « glorification », de sa résurrection des morts.  « Il souffla sur eux : Recevez l’Esprit Saint ! » Il le fera d’une manière plus spectaculaire encore 50 jours plus tard, le jour de la Pentecôte (cf. Actes 2).

Ainsi avons-nous dans l’Evangile de Jean plusieurs images ou symboles qui indiquent le don de l’Esprit de Dieu : la colombe « qui demeure sur Jésus », la source d’eau vive (cf. aussi Jean chapitre 4), le souffle (cf. Genèse 2,7) … Il est surprenant de constater que ce n’est que dans quatre passages des chapitres 14, 15 et 16 que Jésus appelle le Saint-Esprit « Paraclet ». Il lui donne un nom.

Avant d’aller plus avant dans la compréhension de ces textes sur le « Paraclet » et de leur contexte immédiat, essayons de donner un sens plus précis à ce nom « Paraclet ». Le mot vient évidemment du grec « paraclètos », mais comment le traduire ? Les deux grandes traductions de la Bible auxquelles nous nous référons habituellement, la Bible de Jérusalem et la Traduction Œcuménique de la Bible (TOB), ont laissé le mot tel quel. Ce n’est certainement pas par manque de connaissance de la langue grecque, mais parce que – et c’est là pour nous un signe - aucune traduction ne les a satisfaits. Les textes liturgiques catholiques traduisent le terme par « Défenseur ». Nous connaissons d’autres traductions comme « Consolateur», « Intercesseur », etc.

Dans l’antiquité, le mot « paraclètos » avait un sens profane notamment dans le vocabulaire juridique. Il y désignait celui qui est appelé auprès d’un accusé pour l’aider à se défendre. Le sens premier est donc « avocat », « soutien », « défenseur ». Aujourd’hui le terme « avocat » a pris un sens trop technique et professionnel et parfois même une connotation péjorative. Un avocat est un personnage qui s’est investi dans l’étude des lois pour défendre des accusés devant la cour par tous les moyens et qui en a fait son gagne-pain.

Dans l’antiquité, notamment dans le système judiciaire romain, le « paraclètos » n’était pas un professionnel. Un accusé, surtout s’il était innocent, pouvait se choisir et faire intervenir devant la cour une personne dont la bonne renommé était reconnue de tous et qui ainsi se portait garant soit pour l’innocence de l’accusé, soit pour les bonnes dispositions de repentir de ce dernier. C’est un peu dans ce sens que nous trouvons le même mot dans un autre texte du Nouveau Testament, encore de Saint Jean : 1ère lettre de Jean 2,1 : « Mais si quelqu’un vient à pécher, nous avons un défenseur (avocat, intercesseur) devant le Père, Jésus Christ, qui est juste. »

Si nous lisons maintenant la première partie du dernier texte de l’Evangile de Jean sur le « Paraclet » (Jean 16, 8 – 11), nous voyons qu’il s’agit bien là aussi d’un contexte juridique, d’un jugement. Jugement de qui et à cause de quoi ? Nous y reviendrons dans un instant, mais retenons déjà que Jésus a choisi intentionnellement ce terme dans le vocabulaire juridique profane.

 

Quels sont les textes sur le « Paraclet » ? (cités ici dans la traduction de la TOB) :

1° Jean 14, 15 – 18 :

« Si vous m’aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements ; moi, je prierai le Père : il vous donnera un autre Paraclet qui restera avec vous pour toujours. C’est lui l’Esprit de vérité, celui que le monde est incapable d’accueillir parce qu’il ne le voit pas et qu’il ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il est en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous… »

2° Jean 14, 25 – 27 :

« Je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais auprès de vous ; le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit. Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix… »

3° Jean 15, 26 – 27 :

« Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi ; et à votre tour, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement. »

4° Jean 16, 6 – 15 :

« … ais parce que je vous ai dit cela, l’affliction a envahi votre cœur. Cependant je vous ai dit la vérité : c’est votre avantage que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; si, au contraire, je pars, je vous l’enverrai. Et lui, par sa venue, il confondra le monde en matière de péché, de justice et de jugement : en matière de péché, en ce qu’ils ne croient pas en moi ; en matière de justice, en ce que je vais au Père et que vous ne me verrez plus ; en matière de jugement, en ce que le prince de ce monde a été jugé. J’ai encore bien des choses à vous dire mais, actuellement, vous n’êtes pas à même de les supporter ; lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière, car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir. Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi et il vous le communiquera. Tout ce que possède mon Père est à moi ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il vous communiquera ce qu’il reçoit de moi. »

Que nous disent ces textes ?

L’Evangile de Jean comporte deux grandes parties, deux mouvements en somme :

-               Un premier mouvement qui va de Dieu, le Père, vers les hommes : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vit éternelle » (Jean 3,16). Ce mouvement commence donc à la naissance de Jésus, à l’Incarnation du Verbe (Jean 1, 15) pour culminer dans l’exclamation de Jésus à Jérusalem : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » (Jean 12,32).

-               Au chapitre 13 commence un autre mouvement : le retour de Jésus vers le Père. Il y a cette introduction solennelle : «  Jésus sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, lui, qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu’à l’extrême. » (Jean 13,1)

Nos textes sur le « Paraclet » font déjà partie de ce deuxième mouvement et il est important de se le rappeler toujours. La promesse et la venue du « Paraclet » appartiennent à « l’heure » de Jésus, au mouvement de retour vers le Père. Ici il faudrait approfondir le sens de « l’heure » dans l’Evangile de Jean et cela à partir des textes de l’Ancien Testament.

Jésus parle et agit comme s’il était déjà parti vers le Père. Il a déjà fait pour ainsi dire le passage = la « Pâque ». C’est une des différences avec les trois autres Evangiles qui présentent la passion et la mort comme la « Pâque ». Dans Saint Jean, tout en passant ces dernières heures avec ses disciples, Jésus vit déjà comme si la « Pâque » était passée, il vit déjà auprès du Père. Tout le discours des chapitres 14 à 16 a pour but de rassurer les disciples. Jésus s’adresse à eux et non pas aux foules. Il veut les rassurer, les aider à faire, eux aussi, le passage vers cette nouvelle réalité : Le Fils de l’homme est retourné dans la maison du Père. Eux, ils restent dans le monde, mais « ils ne sont plus du monde » comme il dira plus loin dans la prière sacerdotale (Jean 17,14). Dès à présent, Jésus veut faire entrer ses disciples dans la nouvelle réalité de sa Pâque.

La première partie du chapitre 14, les versets 1 à 14, est centrée sur la foi des disciples en Jésus « Je suis le chemin, la vérité et la vie » répond Jésus à Thomas qui lui dit leur désarroi et leurs doutes quant à ce départ de Jésus.

1 ° Jean 14, 15 – 18 :

La deuxième partie du chapitre 14 à partir du verset 15 est centrée sur l’amour et d’abord l’amour des disciples pour Jésus. « Si vous m’aimez, vous chercherez à observer mes commandements ». Cette phrase indique bien que Jésus s’identifie avec le Père pour exiger l’observation de ses commandements. L’amour est bien le lien qui permet aux disciples de le rejoindre. Mais ce n’est pas si évident !  Il faut un autre « intervenant » pour que ça marche. Le Paraclet est le garant de l’amour des disciples pour Jésus. C’est un garant permanent, immédiatement présent auprès et dans les disciples, et sans limitation de temps. Nous sommes dans les temps nouveaux. Une autre précision de ce premier texte : Le monde est incapable de voir, de connaître et donc d’accueillir l’Esprit Saint. Nous aurons à revenir plus loin sur le double sens du mot « monde » en Saint Jean.

Retenons donc de ce premier texte (Jean 14, 15 – 18) : La venue et la présence du Paraclet est le fruit de la prière de Jésus auprès du Père et son rôle est d’abord de maintenir les disciples dans l’amour de Jésus pour être en communion avec lui (cf. dans Jean 15,5 « Je suis la vigne et vous êtes les sarments…»)

Jean 14, 25 – 27 :

Plus loin dans le même chapitre, toujours dans le but de rassurer ses disciples désemparés, Jésus revient sur la venue du Paraclet. Le Père l’envoie au nom de Jésus. Mais ici le rôle de l’Esprit est légèrement différent : « Il vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit ». Le Père donne l’Esprit aux disciples, à l’Eglise, pour les garder dans la vérité, celle que Jésus a enseignée, celle que les disciples ont pour mission d’annoncer. Le Paraclet est le garant de la fidélité de l’Eglise à l’enseignement de Jésus. Voilà donc un deuxième aspect important du rôle du « Défenseur » promis.

3° Jean 15, 26 – 27 :

Le chapitre 15 comporte deux parties bien distinctes : d’une part la parabole de la vigne pour dire combien les disciples sont unis de manière vitale au Christ et à travers lui au Père et ensuite, pour ainsi dire en contraste, la haine et la persécution du monde. « Le monde vous hait, …s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi. » (15,19 – 20). Les paroles de Jésus sont claires, mais certainement pas très encourageantes pour les disciples. C’est là encore que Jésus revient sur la promesse de la venue du Paraclet. « Quand viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, il me rendra témoignage. » Voilà encore un nouveau rôle du Paraclet : face à la haine du monde, rendre témoignage à Jésus. C’est l’Esprit d’abord qui rend témoignage. Le témoignage des disciples ne vient qu’en complément pour ainsi dire. Mais n’est-ce pas là une manière humaine de présenter les choses, puisque effectivement, l’Esprit rend témoignage à Jésus à travers les disciples.

4° Jean 16, 6 – 15 :

Nous en arrivons au quatrième texte, le plus long, le plus important et aussi le plus difficile à comprendre. La perspective du départ proche de Jésus et de l’opposition qu’ils vont rencontrer met les disciples dans un désarroi profond. Ils ne posent même plus la question « Où vas-tu ? » (16,5). Ils sont incapables d’une pensée claire. Jésus doit insister sur la nécessité de son départ pour faire place à une autre manière d’agir de Dieu : à travers le Paraclet.

Ce « passage » de Jésus vers le Père se fera, – les disciples ne le savent pas encore, mais ils le pressentent, - par la mort ignominieuse sur la croix. La condamnation de Jésus et son exécution apparaîtront au « monde » comme la preuve de son échec et de son imposture et ainsi justifierait en même temps le « monde » dans son refus de croire en lui. C’est là que la venue du Paraclet, de l’ « avocat », au sens fort et juridique du mot, devient absolument nécessaire.

La venue du « Paraclet » qui se manifestera dans le témoignage que les disciples porteront du Ressuscité, renverse complètement la situation :

« … il confondra le monde en matière de péché ». Le grand péché du « monde » est d’avoir refusé le grand geste d’amour de Dieu, d’avoir refusé d’entrer dans ce mouvement de Dieu vers le monde en envoyant son Verbe, son Fils. Dans l’Evangile de Jean, le mot « monde », comme d’ailleurs le mot « Juifs », peut avoir un double sens :

-               un sens neutre désignant l’humanité en tant que telle, ou la création dans son ensemble,

-               un sens péjoratif : toutes les forces du mal opposés à la lumière de Dieu, sous la conduite du « prince de ce monde » ou « prince des ténèbres ».

« … il confondra le monde en matière de justice ». La venue du Paraclet témoigne de la justice de Dieu. Le Juste condamné et mis à mort est auprès du Père, puisqu’il a envoyé l’Esprit. Son innocence est prouvée ainsi que la vérité de son enseignement.

« … il confondra le monde en matière de jugement ». Le « passage » de Jésus vers le Père et la venue du Paraclet sont le début des « derniers temps » : le temps du jugement, le temps du non-retour. Le monde est confondu en matière de péché et jugé déjà.

Dans les deux versets qui suivent (v. 12 + 13), Jésus revient sur ce que nous avons déjà vu dans le 2ème texte : Non seulement le Paraclet sera le garant du souvenir des paroles de Jésus, le garant de la fidélité à ce que Jésus a dit, mais il fera comprendre aux disciples même tout ce que Jésus n’a pas pu leur dire, parce qu’ils étaient incapables de le porter. Il sera celui qui permet aux disciples de continuer à parler au nom de Jésus.

Enfin les versets 14 et 15 sont pour ainsi dire un regard dans la vie intime de Dieu à laquelle la venue du Paraclet nous permet de participer : Toute la vie sacramentelle de l’Eglise est fondée dans ces deux versets.

 

Essayons de résumer tout cela : La « Pâque » de Jésus, son passage vers le Père crée une situation nouvelle. C’est le début des derniers temps. Le procès entre le « monde » et Dieu en Jésus arrive à son aboutissement. Le Père envoie son «avocat », son « Paraclet », pour le jugement. C’est là le rôle central de l’Esprit Saint. Mais devant le désarroi des disciples, l’Esprit a d’autres rôles à remplir :

-               maintenir les disciples dans ce lien d’amour avec Jésus qui leur permet de garder ses commandements,

-               assurer le souvenir à ses paroles et en garantir la fidélité,

-               porter témoignage de Jésus vivant auprès du Père à travers les disciples,

-               expliciter le message d’amour de Jésus dans des circonstances nouvelles,

-               faire participer les disciples à la vie même de Dieu.

 

3. L’interprétation islamique du Paraclet et l’affirmation musulmane de la falsification des Ecritures

 

Nous avons déjà mentionné la parution en France, il y a plusieurs dizaines d’années, du livre: « La Bible, le Coran et la Science » de Maurice Bucaille, livre ayant comme sous-titre « Les Ecritures saintes examinées à la lumière des connaissances modernes ». Il a été largement diffusé en Afrique subsaharienne et aussi au Mali, à bas prix ou même gratuitement, entre autres par les soins de la « Société mondiale de l’appel à l’Islam » (libyenne) à travers les Centres culturels libyens et par d’autres organisations islamiques.

Ce livre se veut scientifique dans son désir de vouloir établir le degré de conformité des Ecritures saintes du Judaïsme / Christianisme (la Bible) et de l’Islam (le Coran) avec les découvertes des sciences modernes notamment en ce qui concernent les donnés des sciences exactes (physique, chimie, médecine, astronomie etc.…). Il s’attaque surtout à la Bible, aussi bien à l’Ancien qu’au Nouveau Testament, dans lesquels il relève de nombreuses erreurs scientifiques, voire des contradictions internes. Seulement l’auteur oublie complètement que les Livres saints n’ont pas été écrit pour transmettre un savoir scientifique, mais pour faire parvenir un message religieux dont la véracité et l’authenticité ne dépendent pas de preuves scientifiques. Les Ecritures ne sont pas des manuels des sciences exactes et la Parole de Dieu ne se laisse pas démontrer scientifiquement. La visée de ce livre est donc faussée dès le point de départ.

L’intérêt que certains musulmans montrent pour ce livre, réside dans le fait qu’il reprend toute une série de vieux thèmes de la controverse ou de la polémique entre chrétiens et musulmans, évidemment aussi la soi-disant annonce par Jésus de la venue de Mohammed dans les paroles sur la venue du « Paraclet ». Ceci a été repris plus près de nous à partir du livre de Maurice Bucaille par d’autres écrits musulmans, par exemple par M. Saada Touré de Ségou dans son petit pamphlet : « L’Eglise est-elle chrétienne ou paulienne ? » Au moment de sa parution (1979), l’évêque de Ségou, Mgr Sidibé, avait déjà fait une mise au point dans une lettre pastorale très incisive.

 

Voyons maintenant plus en détail ce qui se cache derrière tout cela.

Comme nous l’avons dit plus haut, depuis le début de l’Islam, le verset coranique 61,6 a incité des musulmans à chercher dans les Ecritures judéo-chrétiennes une confirmation de cette annonce « implicite » de Mohammed. Certains n’ont rien trouvé et, de ce fait, ont accusé les chrétiens d’avoir enlevé cette annonce de leur Livre (cf. plus loin). D’autres se sont arrêtés sur les textes de l’Evangile de Jean contenant l’annonce par Jésus de la venue du « Paraclet »

La première trace dans les écrits musulmans qui suggère un rapprochement entre l’annonce coranique d’un « envoyé s’appelant Ahmad » et les textes de Saint Jean sur l’annonce du « Paraclet » remonte au 2ème siècle de l’Islam, jusqu’à Ibn Ishâq (704 – 767). Il est un des premiers sinon le premier à écrire une « sira », une vie du prophète Mohammed. Celle-ci nous est connue par un autre biographe de Mohammed, légèrement postérieur : Ibn Hishâm (mort en 833).

A partir de là ce thème fait régulièrement partie des écrits de controverse échangés entre chrétiens et musulmans. Comme exemple nous avons choisi « La correspondance de ‘Umar et de Léon » que l’on peut dater autour de l’an 900. Deux auteurs, l’un musulman, l’autre chrétien, qui se connaissent bien et s’écrivent fréquemment, s’expliquent mutuellement leur foi respective et les incohérences que chacun trouve dans la foi de l’autre. Ils écrivent sous des pseudonymes, comme si l’un était ‘Umar ibn ‘Abd-al-‘Azîz (‘Umar II), calife de Damas entre 717 – 720, et l’autre l’empereur de Constantinople Léon III qui a régné de 717 à 741.

Voici ce que nous trouvons dans cette « correspondance » au sujet de l’annonce de la venue de Mohammed par Jésus :

‘Umar écrit  (n° 27 – 28) :

-                « Vous prétendez qu’il (Jésus) a dit : ‘Je retourne à mon Seigneur. Et quand je serai retourné à Lui, le Paraclet viendra à vous. Il vous dira la vérité. Il ne vous dira que ce que Dieu lui commandera de dire. Alors quand le Paraclet sera venu à vous, celui qui doit être envoyé à tous les peuples, il me rendra témoignage.’ Le mot ‘Paraclet’ en langue romaine signifie ‘Ahmad’. Cette question a été déjà posée à quelqu’un qui connaît votre langue et la nôtre.

-                Il (Jésus) dit aussi : ‘O Jérusalem ! Convertis-toi jusqu’au jour où viendra à toi celui qui monte sur un âne. Ensuite, viendra après lui celui qui monte un chameau.’ Eh bien ! Ne savez-vous pas qu’aucun prophète n’a monté un chameau sauf Ahmad ? Comment alors pouvez-vous continuer à douter de Mohammed et à le traiter de menteur quand vous trouvez cela dans vos Ecritures ? »

Léon répond à ‘Umar (n° 49 – 53):

-                « Fais encore attention à ceci, que Dieu n’a pas voulu instruire le genre humain, ni par son apparition spirituelle, ni par la mission des anges ; il a choisi entre eux les prophètes qu’il leur envoya ; c’est cela que le Seigneur, après avoir terminé tout ce qu’il avait décidé antérieurement et annoncé par l’organe des prophètes avant son incarnation, sachant que l’humanité avait besoin de l’assistance de Dieu, promit de lui envoyer le Saint Esprit sous le nom de Paraclet (consolateur), pour la consoler de la détresse et de la douleur qu’elle ressentait à cause du départ de son Seigneur et Maître.

-                Je répète encore que c’était pour cette cause seulement que Jésus appela le Saint Esprit du nom de Paraclet, car il devait consoler ses disciples de son départ et leur rappeler tout ce qu’il avait dit, tout ce qu’il avait fait devant leurs yeux, toutes choses qu’ils étaient appelés à propager dans tout l’univers par leurs écrits : or, Paraclet signifie Consolateur, tandis que Mohammed veut dire ‘eucharistie’ ou ‘rendre grâces’, ce qui n’a aucun rapport avec le mot Paraclet.

-                Ce blasphème est en effet impardonnable, comme le dit le Seigneur lui-même dans l’Evangile, que ‘le blasphème contre l’Esprit ne leur sera point pardonné’. Y a-t-il un blasphème plus affreux que celui qui consiste à remplacer le Saint Esprit par un individu ignorant complètement les Ecritures ?

-                Pour comprendre que le Seigneur parlait dans ce passage du Saint Esprit, fais attention à ce qu’il y dit : ‘Le Consolateur, le Saint Esprit que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et il vous rappellera le souvenir de toutes les choses que je vous ai dites.’

-                Peu après, il ajoute ‘que le Père enverra en mon nom’ ; tandis que ton Mohammed n’est pas venu au nom de Notre Seigneur, mais en son propre nom. Jésus a promis le ‘Saint Esprit’ aux saints, c’est à dire à ses disciples, et non pas aux hommes en général, et tu sais que les disciples n’ont pu voir ton Mohammed. »

 

Il est surprenant de voir que jusqu’à une époque récente, des auteurs musulmans établissent l’équivalence entre « Ahmad » dans le Coran et le « Paraclet » dans l’Evangile de Jean sans trop se soucier de la signification différente des deux mots. « Le mot ‘Paraclet’ en langue romaine signifie ‘Ahmad’, écrit ‘Umar, alors que tout le monde sait que ce n’est pas le cas.

D’autres auteurs musulmans, conscients de cette difficulté, la contournent en substituant au mot « Paraclet » u autre qui prend le sens de « Ahmad » et en accusant ainsi implicitement les chrétiens d’avoir falsifié le texte de Saint Jean. Cette substitution serait facilitée par le fait qu’en écriture arabe les voyelles ne s’écrivent pas toujours et sont, pour certains mots, très changeantes. Ainsi en maintenant la suite des cinq consonnes de « Paraclètos » (PRCLT) mais en y mettant d’autres voyelles, on obtient « Périclutos » ce qui est le correspondant grec du nom « Ahmad » en arabe.

A l’origine, dans l’Evangile de Jean, Jésus aurait donc employé « Périclutos ». Ce sont les chrétiens qui auraient plus tard transformé ce mot en « Paraclètos ». Qui exactement ? Quand ? Comment ? Personne n’a pu donner une réponse à ces questions. Aucun des manuscrits anciens de l’Evangile de Jean, - et certains datent de bien avant l’origine de l’Islam – ne connaît ce mot « Périclutos ».

Mais pour plus de clarté, relisons encore les textes de l’Evangile de Jean. Comme si Jésus avait prévu qu’on allait abuser de ses paroles sur le Paraclet, dans chaque passage, il établit bien que le Paraclet n’est pas un être humain, mais l’Esprit Saint :

·        « Je prierai le Père : il vous donnera un autre Paraclet qui restera avec vous toujours. C’est l’Esprit de vérité, celui qui le monde est incapable d’accueillir parce qu’il ne le voit pas et qu’il ne le connaît pas … » (Jean 14, 16 – 17)

·        « Le Paraclet, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses » (Jean 14, 26)

·        « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père,… » (Jean 15, 26)

·        « … Si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; si, au contraire, je pars, je vous l’enverrai. … lors que viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité toute entière, » (Jean 16, 7…13)

Quel est l’être humain qui puisse s’appliquer à lui-même ces textes sans blasphémer ? Ou bien faut-il alors supprimer purement et simplement dans tous ces passages l’expression « Esprit Saint » ou « Esprit de vérité » avec tout ce qui est dit de lui : « qui restera avec vous toujours » ; « qui procède du Père » ; … ? « L’opération qui consiste à supprimer un mot qui gène l’interprète, est une opération qu’il serait difficile à établir dans l’histoire de l’interprétation de l’Ecriture chez les chrétiens » (Mgr Sidibé)

La falsification des Ecritures dont on accuse les chrétiens, va manifestement dans une toute autre direction.

D’ailleurs pour quelqu’un qui lit ces textes dans leur contexte, il est manifeste que Jésus veut encourager ses disciples angoissés et bouleversés en leur promettant le Paraclet. Il a tenu cette promesse dès le jour de sa résurrection (cf. Jean 20,22), mais au plus tard, de manière claire et visible pour tous, le jour de la Pentecôte (Actes 2).

Quel genre de promesse serait-ce, s’il fallait attendre près de six siècles pour qu’elle se réalise, alors qu’elle était destinée aux disciples et que ceux-ci sont morts depuis longtemps ?

Pour que les textes de Saint Jean deviennent vraiment une annonce d’un autre prophète, il faut non seulement laisser tomber pas mal de choses et notamment l’expression « Esprit de vérité », mais il faut entrer dans une toute autre logique qui n’est pas celle de la Bible. En effet toute la conception biblique de l’action de l’Esprit de Dieu sur les hommes action qui commence à la création du monde et qui trouve son sommet par la personnalisation de l’action de l’Esprit dans la promesse du « Paraclet » par Jésus, est inconcevable, voire incompréhensible pour l’Islam.

La manipulation que certains musulmans font subir au mot « Paraclet » pour le faire concorder avec « Ahmad » du Coran, nous oblige de parler plus en détail d’une question qui est au centre de la controverse entre chrétiens et musulmans : le reproche fait aux chrétiens de la falsification de leur Ecriture.

Le Coran le dit clairement : Juifs et Chrétiens, ceux que le Coran appelle « les gens de l’Ecriture », ont été infidèles à leurs Ecritures et les ont falsifiées. Dans le contexte de la naissance de l’Islam, le reproche vise d’ailleurs en premier lieu les Juifs, mais la tradition islamique l’a appliqué surtout aux chrétiens. C’est la raison même, selon le Coran, pour laquelle Dieu est obligé d’envoyer d’abord Jésus après Moïse avec une nouvelle Ecriture et finalement Mohammed, le « sceaux » des prophètes, avec le Coran qui reprend et corrige les Ecritures antérieures.

Quels textes ont été falsifiés et de quelle manière ? C’est là que nous, chrétiens, pourrions attendre une réponse plus claire, mais ni le Coran, ni ses commentateurs ni les lettrés musulmans ne semblent en mesure de la donner.

Déjà l’étude du vocabulaire coranique affirmant ou insinuant simplement cette falsification, fait apparaître toute une série de « manipulations » reprochées aux « gens de l’Ecriture », mais qu’il est difficile de mettre en accord les unes avec les autres :

-               On parle ainsi de « tahrîf » (Coran 2,75 ; 4,46 ; ...). Ce terme est généralement traduit, non sans exagération, par « falsification », « altération complète » alors qu’il s’agit d’une simple déviation et peut-être même moins que cela, car le mot signifie à l’origine : « quitter le terrain sûr du juste milieu du chemin pour s’approcher du bord ».

-               On parle encore de « tabdîl » (Coran 2,59 ; 7,162). Là, il s’agit clairement de la « substitution », mais substitution de quoi ? remplacer une lettre par une autre ? remplacer un mot par un autre ? remplacer une phrase, un verset ? Aucune précision ne nous est donnée.

-               On parle encore de « kitmân » (Coran 2,140 ; 3,187 ; …) ; Il s’agit simplement du fait de « cacher » des mots ou des passages ou des parties de l’Ecriture, pour que les musulmans n’en aient pas connaissance.

-               On parle encore de « labs » (Coran 2,42 ; 3,71) qui exprime l’idée de revêtir d’un vêtement différent, de changer de vêtement ; c’est à dire de « travestir ».

-               On parle encore de « layy » (Coran 3,78 ; 4,46) qui veut dire « tourner la langue dans la bouche ». C’est en lisant l’Ecriture que le lecteur sciemment prononce mal de façon que l’auditeur ne comprenne pas ou comprenne autre chose que ce qui est écrit.

-               Enfin on parle de « nisyân » (Coran 5,13 – 14) ; 7,53 ; …) qui signifie « l’oubli ». Juifs ou chrétiens auraient sciemment laissé tomber dans l’oubli une partie de leur Ecriture respective.

 

A partir de ces notations coraniques assez divergentes, les auteurs musulmans ont étudié depuis des siècles cette question de la « falsification » sans arriver à une conclusion unique. Aujourd’hui on peut les regrouper en trois positions :

a)            Ceux qui affirment que les « gens de l’Ecriture » (Juifs et chrétiens) ont manipulé le texte en changeant des mots ou des phrases. Il s’agit surtout des auteurs qui veulent défendre l’Islam contre les « erreurs » du christianisme, auteurs de vulgarisations qui, souvent, sont peu soucieux du sens précis des mots.

b)            Ceux qui à la suite des grands penseurs de l’Islam, tels Avicenne (mort en 1037), al-Ghazâlî (mort en 1111), Mohammed Abdû (mort en 1905) et d’autres, affirment l’authenticité des Ecritures juives et chrétiennes et ne parlent que d’une interprétation « faussée », d’une « falsification du sens ».

c)            Une nouvelle tendance parmi les auteurs musulmans modernes qui, tout en acceptant l’authenticité des textes, à cause des preuves historiques évidentes, critiquent surtout la notion chrétienne d’inspiration. Pourquoi la tradition chrétienne, l’Eglise du 1er siècle, a-t-elle retenu certains écrits comme inspirés et donc porteurs de la parole de Dieu et pourquoi en a-t-elle écarté d’autres ? Parmi ces écrits écartés, il y en a justement plusieurs dont les positions doctrinales sur certains points controversés entre chrétiens et musulmans se rapprochent de celles que nous retrouvons dans le Coran.

Ainsi, à l’instar des grands maîtres de l’Islam, aucun musulman éclairé ne dira plus aujourd’hui que les chrétiens ont falsifié leur Ecriture et notamment les Evangiles au niveau du texte. Les preuves historiques fournies par les exégètes sont telles, qu’il deviendrait très difficile d’expliquer comment une telle falsification aurait pu se faire et qu’aujourd’hui on ne trouve plus aucune trace dans les manuscrits anciens d’un texte antérieur. Au-delà des divergences de détails, l’unanimité des témoins est écrasante.

A ce propos, donnons encore une fois la parole à ce « Léon » du 10ème siècle. Il écrit à son ami « ‘Umar » :

« Supposons donc que suivant ton dire, un ou deux peuples ait introduit des changements dans les livres de sa langue, comment peut-on supposer que ces changements se retrouvent aussi dans les livres des autres peuples habitant, comme tu le sais, très loin de nous, et différant de nous par leur langue particulières et par leurs habitudes ? »

L’accusation de falsification des Ecritures est un reproche très grave qui pèse lourdement sur l’entente et le vivre ensemble de chrétiens et musulmans. Il ne peut y avoir de vrai dialogue islamo-chrétien, tant que cette hypothèque n’est pas levée, c’est à dire, tant qu’il y a des musulmans qui répètent sans réfléchir des arguments simplistes que la vraie science des textes (l’exégèse) a dépassé depuis longtemps. Heureusement qu’il y a de plus en plus de musulmans éclairés qui ne s’engagent plus sur cette voie.

 

4. Deux conceptions différentes du rôle des prophètes.

A la base de tout cela, aussi bien de la prétendue annonce de Mohammed par les textes sur le « Paraclet » que de l’accusation plus générale de la falsification des Ecritures, il y a en fait deux conceptions différentes du rôle des prophètes.

Chrétiens et musulmans sont unis et d’accord dans la foi en un Dieu qui s’est révélé, qui a pris l’initiative de parler aux hommes, de communiquer Sa volonté. Ceux qui en premier lieu sont chargés par Dieu de faire parvenir Sa parole, sont appelés « prophètes ». Quand il s’agit de préciser qui sont ces porteurs de la Parole de Dieu et comment celle-ci leur est transmise, des différences fondamentales apparaissent entre chrétiens et musulmans.

En Islam, la prophétie est successive et répétitive. Depuis Adam, que le Coran compte parmi les prophètes, le message des prophètes est fondamentalement le même : Dieu est Unique et les hommes sont appelés à la soumission. Le verset coranique cité plus haut (61,6) montre bien comment le Jésus coranique se met dans la succession de Moïse et du Livre donné à ce dernier, la « Tora » pour annoncer ensuite la venue d’un autre prophète « Ahmad », dans lequel les musulman reconnaissent « Muhammad », les deux noms ayant la même racine et le même sens.

Les prophètes sont envoyés pour rappeler, rappeler ce que le prophète précédent avait déjà proclamé, mais surtout rappeler l’engagement primordial que tous les hommes avaient pris en Adam : « Nous sommes soumis. » (Coran 7,272). En effet, selon l’interprétation courante de ce verset, en Adam tous les hommes qui naissent dans le monde, sont déjà musulmans. Jésus, puis Mohammed, sont ainsi les derniers chaînons d’une longue chaîne « d’avertisseurs ».

Par contre, le rôle des prophètes bibliques est surtout de « lire les signes des temps » sous la lumière de l’Esprit de Dieu. La Bible n’est pas un écrit unique, mais, dans une multitude d’écrits différents, elle rapporte une histoire unique : celle de la venue du salut de Dieu pour un peuple d’abord (« les fils d’Israël »), et à travers lui pour tous les hommes.

Les prophètes ont reçu une connaissance plus profonde de ce projet de salut de Dieu et ils ont pour mission de le faire connaître aux autres. Ce sont bien des avertisseurs dans le sens coranique qui appellent les hommes à la fidélité, oui, mais surtout, dans des situations très dégradées parfois et sans espoir, ils redisent d’une manière nouvelle, que Dieu a promis le salut de tous les hommes et qu’un temps viendra où ce salut se réalisera pleinement. Finalement l’étendue de l’infidélité des hommes devient si grande que, si Dieu n’intervient pas lui-même en envoyant un Juste, un Sauveur, il n’y plus d’espoir. C’est ainsi que les prophètes bibliques, petit à petit, entrevoient et annoncent la venue du Messie qui réalisera définitivement le salut promis par Dieu. Les textes bibliques annonçant la venue du Messie sont tellement nombreux qu’il est superflu de les citer ici.

Etre chrétien signifie reconnaître en Jésus, le Christ = le Messie, la Parole définitive de Dieu ; ou de professer avec la Lettre aux Hébreux (Hébr. 1,1 - 2) : « Après avoir, à bien des reprises et de bien de manières, parlé autrefois à nos pères dans les prophètes, Dieu, en la période finale où nous sommes, nous a parlé, à nous, en son Fils qu’il a établi héritier de tout, par qui aussi il a créé les mondes. »

A partir de tout ce qui disent les Evangiles, à partir surtout de ce que nous avons dit sur le sens des textes sur le « Paraclet » en Saint Jean, il est évident que la perspective de ces textes est tout autre que la simple annonce d’un autre prophète, fût-ce le dernier. Pour nous chrétiens, Jésus n’est pas un prophète. Il n’est pas un numéro dans une série, même si nos frères musulmans reconnaissent et soulignent sa sainteté exceptionnelle.

Jésus est venu accomplir de manière définitive l’œuvre du Père, son projet de salut annoncé par les prophètes. Le Coran lui-même ne lui donne-t-il pas le titre de « Messie ». Aussi sa communauté n’a-t-elle plus besoin d’un nouveau prophète. Mais pour faire le « passage » vers le Père que Jésus a initié dans sa « Pâque », cette communauté, parce qu‘elle se trouve en contradiction permanente avec le monde, a besoin d’un « Paraclet », d’un « avocat », d’un « défenseur », d’un « force d’en haut » qui reste avec elle et la soutient toujours.

Cette en définitive la foi chrétienne en la présence agissante de l’Esprit Saint dans la communauté de Jésus, l’Eglise, qui est en jeu ici, mais qui reste en grande partie inaccessible aux musulmans. C’est l’Esprit de Dieu qui a animé la première communauté chrétienne autour des Apôtres à porter témoignage de Jésus, mort et ressuscité. C’est ce même Esprit qui a poussé certains disciples de Jésus à mettre par écrit ce témoignage. C’est encore cet Esprit qui a guidé le choix de l’Eglise au début du 2ème siècle pour établir la liste des « livres inspirés ». C’est ce même Esprit qui dirige aujourd’hui les responsables de l’Eglise, le Pape et les évêques, successeurs des Apôtres, dans l’interprétation et l’application de ces textes dans les situations nouvelles de notre temps…

Conclusion :

Cette brochure ne veut rien démontrer.

Même après lecture, des musulmans vont continuer à voir dans Jésus un « envoyé » comme les autres et à suivre le texte coranique quant à l’annonce de Mohammed par Jésus. Même après lecture, certains vont continuer à parler de « manipulations » des textes par les chrétiens pour cacher cette annonce dans les Ecritures chrétiennes… De même des chrétiens, après lecture, vont peut-être puiser de nouveaux arguments pour la réfutation des positions musulmanes. Ce n’est pourtant pas le but de ce livret.

Les différences sont si profondes qu’aucune démonstration, si détaillée et fondée soit-elle, puissent les surmonter. Nous devons le reconnaître humblement. Ce que nous avons cherché en écrivant ce livret, est d’aider à « objectiver le débat ». Quelque soit la position des uns et des autres, qu’ils prennent cette position en connaissance de cause et non en répétant simplement ce que d’autres ont dit ou écrit. Il y a des préjugés qui sont comme la mauvaise herbe, qui repoussent constamment et risquent d’étouffer la bonne entente entre croyants. Par contre se dire clairement, et en se respectant, nos différences, nous rapproche les uns des autres, nous rapproche du même Dieu.  C’est Lui qui nous éclairera, un jour, au sujet de nos différends (cf. Coran 5,48).