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Quel dialogue islamo-chrétien au Mali ?

Le Mali, un pays musulman

Un vrai dialogue présuppose une certaine égalité des partenaires. Au seul regard des chiffres, cette égalité n’est guère donnée au Mali : 75 – 80 % de musulmans et à peine 2 % de chrétiens. Peut-il y avoir dialogue ? Evidemment pour une bonne partie de la population malienne, la religion chrétienne n’est guère plus qu’un phénomène marginal qui ne les concerne pas : « religion des Blancs » pour les uns, religion de « ceux qui sont dans l’erreur » pour d’autres, à moins que la propagande islamiste récente n’ait déjà fixé d’autres préjugés contre les chrétiens dans l’esprit de bon nombre de musulmans. Alors quel dialogue peut-il y avoir entre Maliens musulmans et chrétiens ?

« Le Mali est une République indépendante, souveraine, indivisible, démocratique, laïque et sociale » (art. 26 de la Constitution de 1992) ; et dans l’art. 2 il est affirmé : "Toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion publique est prohibée. » La Constitution stipule donc clairement que le Mali est un Etat laïc. Certes, il s’agit là d’un héritage de la colonisation, mais, à l’instar d’autres pays de la sous-région, le Mali a donné à cette laïcité un sens positif : L’Etat n’ignore pas le fait religieux ni les communautés religieuses présentes sur son territoire, mais prend en compte et même recherche la participation de ces communautés à la vie nationale. Du côté des textes officiels rien ne s‘oppose donc à un dialogue entre chrétiens et musulmans.

Le Mali est pourtant un pays musulman, même si les structures de l’Etat gardent ce caractère de laïcité inscrite dans la Constitution. L’islam est un élément déterminant de l’histoire et de la culture malienne : il a marqué de son vocabulaire – religieux comme profane – toutes les langues du pays. Sans l’islam, le Mali serait un pays sans histoire. En effet, l’histoire événementielle du Mali est surtout l’histoire de l’avancée et du recul de l’islam au cours des siècles. Sa présence millénaire a laissé des empreintes profondes dans les mentalités :

  • Il y a le souvenir d’un passé prestigieux commun, celui des grands Empires du Moyen-Age dont les lettrés musulmans constituaient l’armature et les cités musulmanes les haut-lieux d’une culture islamique africaine.

  • Il y a le souvenir de cette longue cohabitation pacifique entre quelques foyers d’islam et de vastes régions continuant à suivre la Religion Traditionnelle. Le fruit de cette cohabitation est, d’une part, une inculturation profonde de l’islam dans les diverses ethnies, et, d’autre part, une grande tolérance et l’acceptation de la diversité sur le plan religieux.

Evidemment toutes les régions du pays ne sont pas concernées de la même manière par cette présence millénaire de l’islam, ni toutes les ethnies qui composent le Mali actuel. L’islam a d’abord été le fait des nomades, éleveurs et commerçants, des zones saharienne et sahélienne. La mobilité et la réussite matérielle ont façonné très tôt une image de marque de l’islam, encore valable aujourd’hui : religion de la réussite rapide et que l’on peut pratiquer n’importe où.

Sous les grands Empires du Moyen Age (Empire du Mali aux 13ème et 14ème siècles, Empire Songhaï aux 15ème et 16ème siècles), où seul les chefs et les lettrés étaient vraiment islamisés, le prestige de la langue et de la culture arabes est venu s’ajouter à l’image précédente. Encore aujourd’hui le lettré en arabe, appelé souvent « marabout », est-il un personnage à part dans la société malienne. Avec les grandes cités universitaires de Tombouctou et Djenné, le Mali a connu les débuts d’une vraie civilisation islamo-africaine, sans que les masses rurales en soient vraiment partie prenante.

Équilibre séculaire des populations animistes perturbé

Après deux siècles de déclin (17ème et 18ème), marqués par des troubles, des famines et des épidémies, seuls quelques foyers confrériques en bordure du désert ont préservé l’héritage islamique. Il y a là une nouvelle forme de vie musulmane : En se rattachant au prestige et à la force spirituelle d’un personnage religieux éminent, on veut se garantir le succès de la vie dès ici-bas et dans l’au-delà. Ces associations, appelées « confréries », venaient de faire leur entrée en Afrique de l’Ouest. Elles deviendront les vrais propagateurs de l’islam au Mali et assureront son enracinement profond dans les différentes cultures locales. C’est à partir d’un de ces foyers confrériques qu’est parti, au début du 19ème siècle, l’ « éveil islamique peul », qui, à son tour, sera battu en brèche, cinquante ans plus tard, par al-Hadj Omar, autre conquérant prestigieux au service de la même foi musulmane, mais pour une confrérie rivale. Ces « guerres de religion » successives ont perturbé pour la première fois l’équilibre séculaire des populations sédentaires animistes. Nous sommes à la veille de l’arrivée des troupes coloniales.

Le pouvoir colonial par les multiples déracinements physiques ou culturels qu’il imposait ou provoquait (service militaire, travaux forcés, scolarisation, administration centralisée d’où urbanisation…), a fait le reste pour déstabiliser l’univers socio-religieux de la religion traditionnelle. De larges couches de populations sédentaires basculent dans l’islam, non à cause de la supériorité de son message religieux, mais parce que l’univers religieux traditionnel n’offre plus de réponses et de sécurités adéquates dans la situation nouvelle.

L’exode rural, accéléré récemment par des sécheresses et famines répétées, n’a fait qu’amplifier ce processus engagé sous la colonisation : en ville, la religion traditionnelle n’a pas de statut officiel, même si beaucoup de ses pratiques s’y perpétuent, mais officiellement on est musulman ou, rarement, chrétien. Cependant, là où l’univers traditionnel a gardé sa cohérence, notamment parmi les populations du Sud-Est malien, l’islam ne progresse guère, le Christianisme pas plus d’ailleurs.

Visage de l’islam traditionnel malien

L’islam traditionnel malien, fruit d’une histoire millénaire, présente un visage très diversifié. Chaque ethnie se l’est approprié à sa manière et la diversité des familles religieuses (confréries) ne fait qu’ajouter à cette variété. La première islamisation, commencée par les commerçants et lettrés et poursuivie dans les ramifications confrériques, était massive, mais peu profonde. L’islam était adopté comme cadre de vie en société sans que les références profondes de la société traditionnelle soient reniées.

Depuis quelques décennies cet islam traditionnel est vivement contesté par des courants de réforme, si bien que l’on peut parler aujourd’hui d’un double visage de l’islam malien : L’islam confrérique d’une part auquel la majorité des musulmans maliens se rattache toujours et de l’autre le courant « wahhabite ». Ils s’appellent eux-mêmes « Sunnites = les détenteurs de la vraie tradition ». Ce nouveau courant religieux, dont les principaux porteurs furent encore les commerçants et « les étudiants en religion » partis en Arabie Saoudite, récuse l’intermédiaire des marabouts, le culte des saints et leur intercession, fut-ce le Prophète Mohammed lui-même, et toutes les pratiques et innovations introduites pour composer avec la mentalité traditionnelle africaine. Une masse de jeunes lettrés arabisants formés sur place ou à l’extérieur concurrence aujourd’hui fortement les « marabouts » classiques tant sur le plan théologique où ils reprochent à ceux-ci leurs pratiques ésotériques et occultes, que sur le plan de la maîtrise de la langue et culture arabe, nécessaire pour l’accès à la révélation coranique et la pratique de la prière rituelle.

Actuellement la communauté musulmane du Mali est donc profondément divisée. Des heurts, même sanglants, sont quasi-quotidiens entre les tenants d’un islam traditionnel et les adeptes d’un purisme fondamentaliste. Des mosquées rivales se construisent à quelques dizaines de mètres l’une de l’autre. Les fêtes religieuses musulmanes sont rarement célébrées à la même date par tous. La représentativité des responsables religieux est toujours contestée par une fraction de la communauté. On pourrait multiplier les exemples de ces clivages profonds.

Depuis une vingtaine d’années, le gouvernement malien est obligé de prendre des initiatives qui, à première vue, sont autant d’entorses à la laïcité, mais qui semblent nécessaires pour maintenir un semblant de paix et d’unité entre les membres de la communauté religieuse majoritaire du pays.

Déjà le régime défunt, régime de parti unique renversé en 1991, a dû inviter, aux frais de l’Etat, des personnalités musulmanes éminentes des pays arabes pour faire le tour des régions du Mali et pour prêcher l’entente entre frères musulmans. Il avait surtout mis en place l « Association pour l’Unité et le Progrès de l’islam » (AMUPI), structurée sur le modèle du parti unique et avec mission de faire baisser les tensions entre musulmans au niveau local, régional et national. Dans chaque instance de l’AMUPI, on devait veiller à une représentation équitable des divers courants en présence. Enfin diverses solutions ont été préconisées pour contrôler la prolifération anarchique des medersas et autres institutions islamiques dispensant un enseignement systématique en arabe à forte teneur islamique voire islamiste..

Depuis la libération politique en 1991, les divers courants dans la communauté musulmane s’affirment et s’affrontent au grand jour : dans les prêches publics, dans la presse locale et surtout sur les ondes des radios privées. Le Mali ne compte aujourd’hui pas moins de 106 associations islamiques enregistrées, regroupées dans diverses coordinations dont l’AMUPI toujours, la Ligue des Imams (LIMAMA), la Ligue des prédicateurs, l’Union Nationale des Femmes Musulmanes (UNAFEM), l’Association Malienne des Jeunes Musulmans (AMJM) etc. Tout récemment, le Président malien s’est investi personnellement pour forcer la mise en place d’un Haut Conseil islamique du Mali (HCIM) où toutes les tendances sont représentées et qui servira d’interlocuteur unique entre le gouvernement malien et la communauté musulmane. Par la même occasion un règlement pour l’exercice et le contrôle du « prêche musulman », notamment sur les ondes, a été adopté.

La dispute sur les diverses manières de vivre l’islam au Mali cache en fait un autre débat, celui sur l’avenir politique du pays : Selon les islamistes, aucune des trois expériences politiques du passé (socialiste, régime de parti unique, démocratie) n’a répondu à l’attente de la majorité des Maliens. L’heure est venue, selon eux, d’expérimenter un régime inspiré pleinement de la Loi Coranique. Actuellement la Constitution n’autorise pas la création de partis politiques à base confessionnelle. Au demeurant, les courants islamistes ou islamisant bénéficient depuis plus de vingt ans déjà, du soutien idéologique et surtout financier de certains pays arabes, singulièrement de ceux qui abritent les puits de pétrole…

Changement profond dans les communautés musulmanes

Au-delà de ces influences idéologiques extérieures, mais certainement favorisé par elles, nous assistons, depuis une vingtaine d’années à un changement profond dans les communautés musulmanes : un processus de prise de conscience de leur islamité. Jusqu’à tout récemment, le marabout, quel que soit le degré de son savoir religieux, était le pivot de la vie musulmane. Tout se rattachait à sa personne. Rien ne se faisait sans son autorisation. Maintenant c’est la mosquée et ses annexes qui deviennent le centre de la vie communautaire musulmane. Les communautés s’organisent, se structurent et s’équipent avec tout ce que la technique moderne leur offre. C’est à partir de la mosquée que tous les besoins personnels, familiaux et communautaires sont pris en compte.

Rien d’étonnant alors que la multiplication des mosquées soit un des signes de cette prise de conscience communautaire musulmane. Une communauté musulmane de village ou de quartier commence toujours autour de la construction de la mosquée. D’autres, il est vrai voit le jour grâce à la générosité ostentatoire de tel ou tel gros commerçant ou personnage public. Dans la ville de Bamako, le nombre de mosquées a progressé de 41 en 1960 à plus de 200 en 1985. Aujourd’hui, faute de chiffres précis, on peut estimer que ce nombre a au moins doublé déjà.

Mais le signe le plus évident de cette prise de conscience est le changement intervenu dans l’enseignement islamique. L’école coranique traditionnelle était étroitement liée à la personne du maître et, par lui, à la structure hiérarchique de la confrérie. L’enseignement était donné de manière individuelle au gré de la progression de l’élève qui commençait par apprendre par cœur le texte coranique sans aucune explication, grammaticale ou autre. Les premières medersas dispensant un enseignement méthodique et collectif en arabe, furent fondées par des réformateurs en vue de se démarquer de l’islam traditionnel, de ses structures confrériques et maraboutiques. Mais bien vite les principales confréries ont récupéré ce mouvement pour fonder, elles aussi, leurs medersas et institutions, afin de donner à l’enseignement et à toute la pratique musulmane un visage plus moderne. La multiplication des medersas qui regroupent près du tiers de la population scolaire du pays, reste un des principaux défis lancés à l’Etat laïc et à ses efforts de construire une société ouverte et plurielle. Les essais répétés d’une intégration de cet enseignement dans les structures de l’Etat ou du moins d’un certain contrôle, n’ont donné que de maigres résultats.

D’une manière plus générale, les confréries participent pleinement à ce mouvement de structuration des communautés en créant, notamment dans les villes et centres, des formes nouvelles de solidarité et d’interdépendance à travers de multiples associations. Un changement analogue se fait dans les « cadres dirigeants » des confréries. Ce ne sont plus tellement des « marabouts » vivant à l’écart, mais des personnes d’une double culture, occidentale et arabo-islamique, exerçant des professions modernes : professeurs, magistrats, médecin…

Conclusion

Cette prise de conscience en tant que communauté musulmane est donc en train de remodeler le visage de l’islam traditionnel, indépendamment des gesticulations et agissements des courants minoritaires. L’accentuation d’une certaine islamité jusque dans les milieux traditionnels pose sérieusement question à tous les non-musulmans : Ne risque-t-elle pas de réduire progressivement et imperceptiblement cet espace de tolérance et d’acceptation réciproque, caractéristique de la société malienne pendant des siècles ? C’est là tout l‘enjeu du dialogue entre Maliens musulmans et chrétiens.

Par delà les barrières religieuses

Malgré le déséquilibre numérique mentionné plus haut, l’influence et le rayonnement du Christianisme vont bien au-delà des 2% des statistiques. Bien que sa présence soit maintenant plus que centenaire, le Christianisme est évidemment le « dernier venu ». Lui aussi se présente « en ordre dispersé » pour ne pas dire divisé : d’une part l’Eglise catholique avec son hiérarchie tout africaine maintenant et, d’autre part, une poignée d’Eglises évangéliques d’inspiration plutôt fondamentaliste et opposée à toute forme de « compromission » avec les musulmans. Déjà sur le plan chrétien le dialogue œcuménique s’avère assez difficile au Mali.

Les premiers missionnaires avaient trouvé un pays en pleine islamisation. Leur « stratégie » était purement défensive : mettre les petites communautés chrétiennes, fondées à la sueur de leur front, en garde contre, sinon à part de toute influence musulmane. Ainsi furent fondés des villages chrétiens et des quartiers chrétiens. Ceci est resté sans grand effet. Dans les communautés les plus anciennes, on peut trouver encore une attitude de rejet, sur le plan doctrinal, de tout ce qui rappelle l’islam, mais des liens familiaux et de voisinage se sont tissés partout par delà les barrières religieuses.

C’est ce dialogue de la vie où chrétiens, musulmans et adeptes de la Religion traditionnelle vivent intimement mêlés qui fait l’originalité de la situation malienne. Ils habitent les mêmes carrés de ville, les mêmes villages, travaillent ou étudient côte à côte, se rendent visites entre voisins, partagent les peines et les joies les uns avec les autres. Les membres d’une même famille se réclament parfois de « voies différentes », sans que cela mette en cause la solidarité familiale. La convivialité ainsi décrite est une valeur profondément enracinée dans la tradition africaine. A la base il y a cette conception que tous font partie d’une seule communauté, une communauté qui a une même origine et une même destinée, et que les différences de culte ou de « voie » ne doivent pas entamer ou menacer ces réalités-la. Alors la question surgit : cette seule base suffit-elle à un moment de polarisation religieuse croissante pour maintenir un climat de paix, pour garantir un espace de liberté pour tous ? Le dialogue islamo-chrétien au Mali est d’abord le fait de la vie de tous les jours, mais une autre forme de dialogue doit nécessairement intervenir pour garantir la convivialité traditionnelle.

Pourtant, on chercherait pratiquement en vain ce que l’on entend communément par dialogue inter-religieux : des rencontres plus ou moins officielles entre personnalités en vue d’un échange sur des questions de foi. Il n’existe aucune structure permanente pour organiser ou favoriser de telles rencontres. Malgré cela, la voix de l’Eglise se fait entendre bien au-delà de ses limites visibles. Dans les événements politiques de la dernière décennie, le renversement du régime monopartite, les balbutiements de la jeune démocratie, la détérioration du climat social, la rébellion dans le nord du pays, dans tout cela les interventions courageuses et judicieuses de l’archevêque défunt, Mgr Luc Sangaré (+ 1998), ont fait de lui une autorité morale au-dessus de la mêlée et respectée de tous. Les lettres pastorales de la Conférence des Evêques du Mali sur les problèmes d’intérêt national, adressées à tous les Maliens, rencontrent la même estime.

Au niveau des responsables religieux, chrétiens et musulmans, il y a bien quelques rencontres, parfois provoquées par les pouvoirs publics au moment d’événements exceptionnels ou de situations cruciales. Souvent ces rencontres ne dépassent guère un niveau d’échange de salutations protocolaires ou de formule de politesse. Parfois le côté chrétien reproche aux responsables musulmans leur manque de réciprocité dans l’initiative pour des rencontres. On y oublie toute la distance qui sépare ceux-ci des responsables chrétiens quant à la formation religieuse, la culture générale, la manière de raisonner et de s’exprimer.

Chercher le vrai dialogue

C’est à un niveau plus bas qu’il faut chercher le vrai dialogue par la collaboration entre chrétiens et musulmans dans les divers chantiers de la construction du pays, que ce soit la promotion humaine, l’éducation, la santé ou les affaires sociales. Beaucoup de musulmans sont engagés en tant que croyants dans les œuvres caritatives, éducatives ou sociales initiées par l’Eglise. Rien que dans l’Enseignement Privé Catholique plus de 80 % des élèves viennent de familles musulmanes qui font confiance à cette institution et un bon pourcentage des enseignants sont également des musulmans qui épousent pleinement le projet éducatif de l’Eglise, basé sur une vision spirituelle de l’homme.

La formation à la convivialité commencée dans les écoles catholiques, est poursuivie dans les mouvements de jeunesse chrétiens : jeunes étudiants, jeunes travailleurs des villes, jeunes ruraux. Partout ces mouvements sont ouverts aux musulmans et sont parfois davantage le fait de musulmans que de chrétiens. Des actions sur leur milieu de vie respectif sont réfléchies et portées en commun sur une base spirituelle et en référence à la foi commune au Dieu Unique.

Il faudrait parler encore de l’impact, souvent méconnu, de petites communautés chrétiennes (une ou deux familles parfois seulement) immergées en plein pays musulman et soutenues par les visites sporadiques des équipes apostoliques implantées dans le nord du Mali, comme à Nioro du Sahel ou à Gao. Leurs liens d’amitié gratuite avec des musulmans et leur témoignage d’un service désintéressé sont d’un prix inestimable pour créer un espace de liberté et de reconnaissance pour l’ensemble de la minorité chrétienne au Mali.

Etre Église au milieu des musulmans

L’Eglise au Mali a vécu en concurrente de l’islam dans certaines régions. Aujourd’hui encore, dans une large mesure, elle vit « à côté » de l’islam et des musulmans. Ce n’est que peu à peu qu’elle découvre sa vraie vocation : être Eglise au milieu des musulmans et pour eux et être reconnue en tant que telle par eux. Ce sont surtout les laïcs chrétiens qui ont à vivre au jour le jour cette vocation. Un gros effort de formation a été fait et continue à être fait pour leur faire découvrir « la grâce du petit nombre » au milieu de la masse musulmane. Un Centre est sur le point de naître à Bamako pour soutenir cet effort de formation à la rencontre.

Nous l’avons dit plus haut : l’espace de liberté et de tolérance semble de plus en plus menacé au Mali. Sous diverses influences, les communautés musulmanes sont marquées par une prise de conscience de leur islamité. Devant la situation de pauvreté et un avenir sans espoir, beaucoup se réfugient dans une religiosité plus intense. Les règles de l’islam sont appliquées rigoureusement dans tous les domaines de la vie sociale et par le fait même, celle-ci s’islamise. Le non-musulman y devient l’étranger, voire l’exclu. Les médias appuyés par des influences islamisantes de l’extérieur, ont fortement contribué à cette prise de conscience islamique. Le dialogue entre chrétiens et musulmans devient une nécessité, du moins du côté chrétien. Il y va de l’avenir de l’Eglise au Mali.

Conclusion

La vraie rencontre entre les deux communautés de croyants ne peut être le fait que de chrétiens convaincus, enracinés dans leur foi et dans leur milieu de vie africain qui vont à la rencontre de musulmans ouverts, mais non moins convaincus. Ensemble ils chercheront des réponses à des questions telles que :

  • Comment sauvegarder l’héritage africain commun à travers les différences de confessions religieuses, pour qu’il puisse continuer à servir de base à la convivialité ?

  • Comment épuiser toutes les possibilités d’épanouissement données aux communautés religieuses par la laïcité positive des institutions de l’Etat, sans faire du tort à aucune des deux communautés ?

  • Comment la foi commune en Dieu peut-elle continuer à être déterminante de la vision de l’homme qui lutte pour sa survie et pour son développement intégral ?

Actuellement les interlocuteurs se cherchent encore, mais le temps presse.

Bamako, le 24 mars 2002
P. J. Stamer, M. Afr.