Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Rémi Brague : « Dans l’islam, Dieu est au-dessus de l’Histoire »

 
entretien
  • Rémi BraguePhilosophe, professeur émérite de philosophie à l’université Paris I et à l’université Louis-et-Maximilien de Munich

Le philosophe Rémi Brague publie chez Gallimard Sur l’islam, une présentation générale de l’islam à l’usage des non-musulmans. Catholique, il a longtemps enseigné la philosophie de langue arabe, et suggère aujourd’hui de délaisser nos catégories chrétiennes pour tenter de comprendre l’islam.

  • Recueilli par Marguerite de Lasa, 
Rémi Brague : « Dans l’islam, Dieu est au-dessus de l’Histoire »
 
Rémi Brague a publié début février chez Gallimard Sur l’islam.©MASSIMILIANO MIGLIORATO/CPP / /IPA AGENCY/MAXPPP

La Croix : Quel est votre objectif avec ce livre ?

Rémi Brague : Je l’ai écrit pour me clarifier les idées. J’ai enseigné pendant vingt ans la philosophie de langue arabe, mais des penseurs comme Avicenne, Averroès et Al Farabi ont un rapport complexe à l’islam.

J’avais donc un but de philosophe : mettre de la clarté, introduire des distinctions là où il y a beaucoup de confusions et de préjugés, dans un sens comme dans l’autre. Surtout, j’ai voulu m’interroger sur nos difficultés à comprendre l’islam tel qu’il se comprend lui-même, car nous avons tous, croyants comme athées, des lunettes chrétiennes.

Vous expliquez que le « véritable islam » peut renvoyer aussi bien au fondamentalisme qu’à l’islam mystique… Pourquoi est-il si périlleux de le définir ?

R. B. : Tout le monde prétend incarner le véritable islam. Les musulmans se critiquent mutuellement à qui mieux mieux. Les gens d’Al-Azhar prennent leur distance – discrètement, d’ailleurs – par rapport aux gens de Daech, lesquels accusent tous les autres musulmans d’être des « vendus » aux Occidentaux. Comme il n’y a pas de magistère, pape ou grand sanhédrin, n’importe qui peut dire ce qu’est l’islam. Personnellement, je n’ai aucune autorité pour dire quel est le véritable islam. Par contre, je peux essayer de montrer la continuité de certaines idées. Du IXe au XIXe siècle, il y a par exemple l’idée que la raison humaine n’est pas capable de dire ce qui plaît à Dieu. La révélation ne porte donc pas sur la nature de Dieu mais sur sa volonté.

C’est une grande différence avec le christianisme

R. B. : Oui, c’est une sorte de chassé-croisé. Le christianisme, avec saint Thomas d’Aquin, dit : « Dieu est difficile à connaître, nous avons besoin de voies pour prouver son existence. » En revanche, pour savoir comment nous comporter, nous avons la raison naturelle. L’islam dit exactement le contraire. L’existence de Dieu est une évidence : il suffit d’ouvrir les yeux, de voir les merveilles de la création, et Dieu est là.

Par contre, pour savoir s’il faut se laisser pousser la barbe ou se la raser, s’il faut que les femmes portent un voile ou non, la raison ne suffit pas. Nous chrétiens, avons du mal à comprendre pourquoi beaucoup de musulmans considèrent que ne pas manger de porc, ou se tailler la moustache, c’est important. Pour nous, cela relève du culturel, voire du folklore.

Et pourquoi est-ce si important pour les musulmans ?

R. B. : Parce qu’ils considèrent que cette loi vient directement de Dieu. Nous, chrétiens, vivons sous l’autorité de la conscience, dont notre civilisation pensait jusqu’à il y a peu que c’était la voix de Dieu. Rousseau s’exclame : « Conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix. » Mais la théocratie en islam, c’est simplement le fait que la loi est censée venir de Dieu. Certes, il y a des médiations : le droit islamique (fiqh) est humain, puisque c’est la manière dont on comprend et applique des injonctions divines.

Mais pour un musulman pieux, si le Coran dit par deux fois que les femmes doivent faire quelque chose – on ne sait trop quoi – avec une pièce de tissu, c’est Dieu qui le dit. Quant aux hommes, un hadith du Prophète leur commande : « Ne faites pas comme les chrétiens, laissez-vous pousser la barbe et taillez votre moustache. » Et le Coran dit que Mohammed est « le bel exemple » (XXXIII, 21). Si Dieu le veut, il faut obtempérer.

Cela a pour conséquence que leurs « valeurs dépendent de l’arbitraire divin », dites-vous.

R. B. : Oui, il y a là une discussion classique en philosophie, dès l’Euthyphron de Platon : Est-ce que certaines pratiques sont bonnes parce que Dieu les commande ? Ou est-ce que Dieu les commande parce qu’elles sont bonnes ? Un chrétien répond : les valeurs font partie de Dieu, elles sont un prisme dans lequel se décompose la lumière divine. C’est la thèse que soutiennent la majorité des philosophes : Dieu commande les choses parce qu’elles sont bonnes. En islam, en revanche, les choses sont bonnes parce que Dieu les a commandées. Si l’on considère que le bien est autre chose que Dieu, on se livre au seul péché que Dieu ne pardonne jamais, à savoir l’association (chirk).

Pour expliquer le moindre développement de la théologie en islam par rapport aux mathématiques ou à l’astronomie, vous affirmez que, « l’islam ayant d’emblée un contenu plausible, il n’a pas connu les défis du mystère chrétien ». Que voulez-vous dire ?

R. B. : La théologie vise à expliciter le mystère à l’aide de catégories d’origine philosophique. En islam, vous n’avez pas besoin de ça : il n’y a qu’un seul Dieu, il a tout créé et envoie des prophètes de temps en temps, dont le message est le même si les peuples auxquels ils ont été confiés ne le trafiquent pas. C’est plausible : il n’y a pas besoin d’un effort intellectuel prodigieux pour dire cela.

En revanche, dire que Dieu est un dans la communion des trois personnes, c’est plus difficile. Même chose pour expliquer qu’il y a dans la personne du Christ la nature humaine et la nature divine. En revanche, dans le kalâm, les traités de théologie islamique, il s’agit de montrer que le dogme est plausible, et les autres croyances absurdes. C’est de l’apologétique, qui ne constitue qu’une partie de la théologie chrétienne.

Quelle est la différence dans la conception de Dieu entre le christianisme et l’islam ?

R. B. : Pour un musulman, Dieu est inconnaissable. Nous pouvons connaître sa volonté, mais n’avons aucune idée de ce qu’il est. D’ailleurs, le christianisme est en partie d’accord : « Si comprehendisnon est Deus » : « Si je peux en faire le tour, c’est que ce n’est pas Dieu », disait saint Augustin. Mais chez les chrétiens, on peut essayer de s’en approcher, parce que Dieu a commencé par s’approcher de nous. Finalement, ce qui distingue vraiment le christianisme et le judaïsme d’un côté, et l’islam de l’autre, c’est la notion d’alliance. Le fait que Dieu ait une aventure avec l’humanité. Dans l’islam, il est au-dessus de l’Histoire.

Sénégal: l'appel au calme des imams et oulémas face à un contexte politique tendu

 

Un appel au dialogue a été lancé, mardi 7 mars, par l’Association nationale des imams et oulémas. À moins d’un an de la présidentielle, prévue le 25 février 2024, le climat politique est crispé entre pouvoir et opposition qui ont multiplié ces dernières semaines des mobilisations aux allures de démonstrations de force. De quoi inquiéter les chefs religieux musulmans du pays.

Avec notre correspondante à Dakar, Charlotte Idrac

L'Institut islamique de Dakar était rempli, ce mardi 7 mars. Les imams, oulémas ou leurs émissaires sont venus des 14 régions et 46 départements du pays. « L’heure est grave » pour le président de l’Association, l’imam El Hadj Oumar Diène : « Notre pays traverse un moment difficile, secoué par un vent de phénomènes non contrôlés, de paroles agressives, menaçant sa stabilité. Privilégions le civisme et le dialogue, tout en respectant les lois qui régissent nos institutions. »

Dans un contexte marqué par des procédures judiciaires visant l’opposant Ousmane Sonko – pour des accusations de viol et de diffamation –, par le silence du président Macky Sall sur une éventuelle candidature à un troisième mandat, et des appels à la « résistance » ou « au combat », l’imam Moctar Ndiaye appelle à la responsabilité :

« Nous lançons un appel solennel aux acteurs politiques afin que la paix et la stabilité puissent véritablement régner d'ici l'horizon 2024. Ici, au Sénégal, nous sommes des régulateurs, des fédérateurs, des modérateurs très écoutés. Nous lançons aussi un appel au respect des chefs religieux, à ce qu'ils ne soient point stigmatisés. »

Un appel qui sera relayé dans les mosquées pour la prière, ce vendredi 10 mars.

Islam : mosquées, des pistes pour lutter contre les fermetures de comptes bancaires

Analyse 

Selon une étude, dévoilée le 16 février, 27 % des 118 mosquées interrogées auraient subi au moins une fermeture de compte bancaire. Pour combattre ces incidents, un groupe de travail du Forum de l’islam de France (Forif) a établi un contact suivi avec la Fédération bancaire française.

  • Marguerite de Lasa, 
Islam : mosquées, des pistes pour lutter contre les fermetures de comptes bancaires
 
Dans la Grande Mosquée de Lyon. Le recteur de la mosquée était monté au créneau pour dénoncer les fermetures de comptes bancaires des mosquées, mettant les associations cultuelles dans de grandes difficultés.MAXIME JEGAT/LE PROGRES/MAXPPP

Entre 2019 et 2021, Faouzi Hamdi se souvient avoir vécu « un vrai casse-tête ». Alors que les travaux de construction de la mosquée de Vaulx-en-Velin (Rhône), dont il est le responsable, avaient commencé, il a appris que le compte bancaire de l’association cultuelle avait été clôturé. Il s’est ainsi trouvé dans l’impossibilité de payer les entreprises et le chantier a dû être interrompu.

Un an plus tard, Faouzi Hamdi parvient finalement à ouvrir un autre compte. Mais celui-ci est de nouveau fermé quelques mois après, de même que le compte de réserve. « J’étais interpellé tous les jours par les entreprises à qui nous devions de l’argent », se souvient-il, assurant que la mosquée n’avait jamais été à découvert auparavant.

22 % des mosquées ont rencontré des difficultés pour ouvrir un compte

Depuis des années, le sujet des fermetures de comptes bancaires préoccupe les mosquées. En juin 2022, le Conseil des mosquées du Rhône était monté au créneau, le recteur de la Grande Mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, allant jusqu’à dénoncer une situation d’« apartheid bancaire. » Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin s’était même saisi du problème, attirant l’attention du ministre de l’économie.

Récemment, le sujet a été pris en main par le groupe de travail « droit et gestion des associations du culte musulman » du Forum de l’islam de France (Forif), la nouvelle plateforme de dialogue entre l’État et le culte musulman. Grâce à une étude réalisée sur 118 mosquées et dévoilée le 16 février, le groupe de travail a pu pour la première fois quantifier le phénomène.

L’étude révèle ainsi que 27 % des associations cultuelles ont vécu une fermeture de compte, et parmi elles, 53 % ont subi deux fermetures ou plus. Les difficultés peuvent démarrer dès l’entrée en relation avec la banque, puisque 22 % des répondants considèrent qu’il leur a été difficile d’ouvrir un compte bancaire, notamment ces quatre dernières années. Enfin, près du quart des mosquées interrogées disent avoir rencontré des difficultés pour déposer des espèces en agence.

Le dépôt d’espèces, nœud du problème

De fait, le problème serait dû en grande partie à ces dépôts d’espèces, qui concernent fortement les mosquées, analyse Sandrine Oddon, membre du groupe de travail à l’initiative de l’étude. Le budget des associations du culte musulman est ainsi constitué à près de 40 % d’espèces, provenant surtout des dons effectués lors des quêtes du vendredi, pendant le Ramadan ou les grandes fêtes.

Ces fonds, par définition non traçables, sont très difficiles à justifier. Or pour les banques, « justifier de l’origine et de la destination des fonds est une obligation réglementaire », explique-t-elle, pointant le nœud du problème : « Comment justifier une quête ? » La non-régularité de ces dépôts d’espèces, beaucoup plus importants pendant le Ramadan ou les grandes fêtes, peut également alerter les banques.

« Établir une bonne communication avec sa banque est essentiel »

Autre cause identifiée par l’étude : le manque de connaissance des « fondamentaux bancaires » des associations du culte musulman. En effet 60 % d’entre elles ne fonctionnent qu’avec des bénévoles, qui, comme dans toutes les associations, ne sont pas nécessairement au fait des bonnes pratiques. « Établir une bonne communication avec sa banque est essentiel. Il faut l’informer des projets importants, tels que les projets de construction, et fournir des justificatifs pour les opérations significatives », illustre Sandrine Oddon.

Pour résoudre le problème, le groupe de travail du Forif a établi en octobre 2022, avec l’appui du ministère de l’intérieur, un groupe de contact avec la Fédération bancaire française et la Direction générale du Trésor. L’objectif étant que « les mosquées connaissent mieux les fondamentaux bancaires, et que les banques améliorent leur connaissance du cadre réglementaire des associations du culte », poursuit Sandrine Oddon.

Un atelier a par exemple été organisé pour présenter à la Fédération bancaire française les différents types de dons possibles dans le culte musulman, et leur périodicité. Deux guides à destination des banques et des mosquées devraient être publiés d’ici à l’été. D’ici là, de plus en plus de mosquées se mettent à utiliser des terminaux de cartes bancaires. C’est le cas de Faouzi Hamdi, qui n’accepte plus de dons en espèces dans sa mosquée.

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Les travaux du Forif salués par Emmanuel Macron

Le Forum de l’islam de France (Forif), créé en février 2022 à l’initiative du ministère de l’intérieur, est la nouvelle instance de dialogue entre l’État et le culte musulman, prenant le relais du Conseil français du culte musulman.

Les participants du Forif ont été identifiés par les préfets lors des assises territoriales de l’islam de France.

Les quatre groupes de travail qui le composent sont dédiés à l’organisation des aumôneries, à la professionnalisation des imams, à la lutte contre les actes antimusulmans, et enfin au droit et à la gestion des associations. Ils ont été reçus le 16 février par Emmanuel Macron, qui a salué leurs premiers travaux.

Tofâ, la voyance « d’intérêt public » au Bénin

Santé, argent, sexe, politique : comme chaque année, les bokonons, prêtres de l’art divinatoire appelé le fâ, ont révélé les grandes tendances de la vie du pays pour 2023. Avec des prédictions à la parité toute relative…

Mis à jour le 4 mars 2023 à 20:01
 
 fiacre
 

Par Fiacre Vidjingninou

 

2023

 

© DOM POUR JA

 

Un ciel serein dans lequel se cachent quelques gros nuages. Voilà ce à quoi devrait ressembler l’année 2023 au Bénin. Cette annonce a été faite par le fâ (consultation divinatoire) organisé le dimanche 4 décembre 2022 dans la cour de la mairie de Godomey, commune d’Abomey-Calavi limitrophe de Cotonou. Comme les précédentes, cette quinzième édition du Tofâ (ou Toffâ, consultation pour le pays) réunissait les grands prêtres du fâ, appelés bokonons, ainsi qu’une foule de Béninois, tous curieux de savoir sous quels signes le Bénin allait vibrer en 2023.

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« Le fâ est un système de divination millénaire par lequel les hommes peuvent recevoir des messages des dieux. Ces messages se présentent sous forme de signes que seuls les prêtres du fâ peuvent interpréter, et qui concernent la destinée d’un individu ou d’une communauté », explique Antoine Hounkpè, chercheur spécialiste de cet art divinatoire inscrit par l’Unesco sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2008 et qui se pratiquerait depuis le XVIIIe siècle dans le royaume d’Abomey. Le signe principal révélé par le fâ pour le pays est le sa-tchê, accompagné de signes secondaire (trukpin-lètè) et tertiaire (losso-mèdji).

Mauvais sorts

Globalement, l’année 2023 s’annonce « apaisée » et « fructueuse » pour les affaires. Mais, par-delà ce sa-tchê optimiste, le fâ, intermédiaire entre les hommes et les dieux, avertit de quelques dangers susceptibles de troubler la quiétude des Béninois : risques d’épidémies, d’effondrements de bâtiments, de naufrages au large des côtes, de malversations financières au sommet de l’État, etc. Un lot de malheurs éventuels auxquels s’ajoutent – incongrûment – « des risques importants de trahison et d’infidélité de la part des femmes ».

« Le Bénin pourrait aussi souffrir de la persécution étrangère de la part d’un pays proche », ajoute David Koffi Aza, l’un des initiateurs de la cérémonie. Et de préciser que ces avertissements ne constituent pas une fatalité dans la mesure où ils sont suivis de recommandations formelles qui doivent permettre d’éviter que ces prédictions ne se réalisent.

Ainsi, pour ceux qui veulent traverser 2023 en paix, le fâ interdit en particulier la pratique de l’avortement, le port de vêtements rouges et de perles rouges pour les femmes, et il suggère aux Béninois d’éviter la colère et la nervosité dans la vie quotidienne. Quant aux autorités du pays, elles doivent renforcer les systèmes de surveillance et de régulation du transport maritime, ou encore intensifier les contrôles dans le domaine du génie civil.

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Face à certaines menaces révélées, les précautions seules ne suffiront pas. Pour en limiter les dégâts et trouver des solutions, le fâ propose donc des rituels et a pris soin de citer une dizaine de divinités, dans tout le pays, auxquelles consentir quelques sacrifices afin de bénéficier de leurs faveurs et de conjurer les mauvais sorts. La plupart de ces rites sacrificiels ont été effectués avant même la fin de l’année 2022, d’autres s’échelonneront tout au long de cette année.

Récupération politique ?

Bien que le Tôfâ et les cérémonies expiatoires aient un intérêt public, ils ne bénéficient d’aucun financement public connu. Selon des informations recueillies auprès du comité d’organisation du Tôfâ, la manifestation coûte environ 4 millions de F CFA (6 098 euros). « J’ai personnellement supporté les frais d’organisation pendant les dix premières éditions », rappelle David Koffi Aza, qui souligne que, depuis 2017, le financement est assuré par les cotisations des bokonons et celles de contributeurs de bonne volonté, « y compris des personnalités politiques ».

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De quoi alimenter la polémique sur les interférences de ces dernières dans cette consultation du fâ. Certains pensent que les prêtres bokonons livrent un message « lissé » pour ne pas gêner les autorités dans leur gestion du pays, d’autres sont convaincus que leurs annonces sont « dictées » par les politiques afin de « détourner l’attention du peuple de l’essentiel ». Ce que démentent formellement les organisateurs du Tôfa.

Israël : Ramla, modèle de cohabitation entre Juifs et Arabes, mis à l’épreuve

Reportage 

À Ramla, 24 % de la population est arabe. Mais une politique volontariste en faveur du vivre-ensemble laisse penser aux habitants qu’ils sont mieux armés face à la polarisation croissante et aux politiques extrêmes promues par le gouvernement.

  • Julie Connan (envoyée spéciale à Ramla), 
Israël : Ramla, modèle de cohabitation entre Juifs et Arabes, mis à l’épreuve
 
Autour des étals du marché de Ramla (Israël), près de 90 nationalités se croisent.ALAMY/HEMIS.FR

En cette douce matinée d’hiver, la lumière blanche perce, comme des vitraux, la verrière du marché de Ramla. Les travées fourmillent déjà de clients affairés à trouver les plus belles fraises ou les oranges les plus juteuses. Marchands et passants portent ici le voile, là la kippa. Les noms des boutiques arabes sont écrits en hébreu, langue qui domine les échanges.

Entre deux cafés, Gili passe le chiffon sur les batteries de cuisine de son étal. Zohar, lui, soigne ses pyramides de légumes multicolores. Amis, ils travaillent côte à côte, sans se soucier le moins du monde de ce qui ailleurs pourrait les opposer : Gili, 31 ans, est juif et Zohar, 22 ans, arabe. « On se connaît depuis tout petit ! Il y a trente ans, son père vendait déjà des marchandises à mes parents, raconte Zohar. Nos familles se fréquentent régulièrement, même pour le shabbat ! »

 

Israël : Ramla, modèle de cohabitation entre Juifs et Arabes, mis à l’épreuve

Comme Acre, Lod ou Haïfa, Ramla est une ville dite « mixte », où environ 24 % de la population est arabe, jouissant officiellement des mêmes droits que le reste des Israéliens. Et à écouter ces deux compères et d’autres, Ramla et ses 85 000 seraient un cas à part. « C’est une ville modèle, ça ne pourrait pas se passer comme ça ailleurs », prétend fièrement Gili.

La plus grande cité de Palestine au XIVe siècle

Rien dans l’histoire tourmentée de la ville ne laissait présager une telle concorde : fondée au début du VIIIe siècle pendant le califat des Omeyyades, et prise par les croisés au Moyen Âge, Ramla (ou Ramleh) était la plus grande cité de Palestine au XIVe siècle. Elle a été conquise par le jeune État d’Israël en 1948. Les soldats israéliens chassent alors des milliers de Palestiniens de la ville.

Les descendants de ceux restés sur leurs terres, rejoints par d’autres déplacés palestiniens, appelés « Arabes israéliens » ou « Palestiniens d’Israël », se mêlent avec la population juive arrivée à la création de l’État hébreu, et aux autres communautés venues s’installer depuis. Ramla réunit en son sein quelque 90 nationalités.

« Il est plus juste de parler de ville multiculturelle que de ville mixte », juge Mino Abu Laban, conseiller municipal, et membre du parti islamiste Raam« Ce ne sont pas seulement des Arabes et des Israéliens qui cohabitent : chez les Juifs, il y a des Éthiopiens, des Ouzbeks, des gens d’ex-URSS, du Maghreb, des laïcs, des religieux. Idem chez les Arabes, il y a des musulmans, des chrétiens, etc. », ajoute l’élu, né de Palestiniens expulsés de Cisjordanie. « C’est ça l’identité de Ramla. Moi par exemple, je suis arabe, palestinien, israélien et un habitant de Ramla. Je ne peux pas me diviser : je suis un citoyen mais j’ai aussi ma propre histoire. »

Une ville du Likoudland

Ville de la classe moyenne située entre Tel-Aviv et Jérusalem, Ramla est un bastion de la droite, du « Likoudland ». Zohar et Gili ont d’ailleurs voté comme un seul homme pour Benyamin Netanyahou aux élections du 1er novembre. Zohar parce que l’ex-premier ministre promettait de s’attaquer à la vie chère. Gili parce que « quand Bibi est au pouvoir, on est en sécurité ». Voter Likoud relève de l’atavisme pour beaucoup.

À leur arrivée en périphérie des grandes villes israéliennes dans les années 1950-1960, les immigrés juifs orientaux, ou « Mizrahim », venus du Maghreb, d’Irak ou du Yémen, se sont sentis dénigrés et ignorés par le grand parti de gauche au pouvoir, le Mapaï, qui confiait tous les postes clés aux Ashkénazes. L’arrivée au pouvoir de Menahem Begin, en 1977, fondateur du Likoud, a sonné comme une revanche.

Depuis, la loyauté envers le grand parti de droite – qui a obtenu 39,43 % aux dernières élections – perdure. « On ne se mêle pas de la vie politique nationale ici. Nos liens d’amitié avec les Arabes remontent à l’enfance, assure Herzl, 64 ans, ça ne changera rien.On continuera à travailler tous ensemble. » Mais une inquiétude s’exprime au sujet de la récente alliance du Likoud avec des partis d’extrême droite et nationalistes juifs.

Les villes judéo-arabes savent qu’elles peuvent être les caisses de résonance des tensions nationales et s’embraser à tout moment. Le souvenir des émeutes intercommunautaires de mai 2021 est encore dans tous les esprits. Itamar Ben Gvir, alors député, aujourd’hui ministre de la sécurité nationale, avait minutieusement soufflé sur les braises. À Lod, voisine de Ramla, ces émeutes avaient duré plus d’une semaine, et entraîné la mort d’un Arabe et d’un Juif, dans la foulée d’affrontements opposant police israélienne et Palestiniens à Jérusalem et au début de l’opération israélienne contre le Hamas dans la bande de Gaza.

Ramla n’y a pas échappé, mais les violences n’y ont duré que trois jours. Pour désamorcer les tensions, la ville s’est reposée sur son forum de médiation interculturelle. Aliza Silvera, sa cofondatrice, en explique la genèse. « En 2008, quand il y a eu de graves émeutes intercommunautaires à Acre, nous avons compris qu’une crise identique pourrait se produire à Ramla et nous avons réfléchi à ce qu’on pouvait faire pour l’empêcher », se souvient cette travailleuse sociale, issue d’une famille haredi (ultraorthodoxe).

Après deux ans de concertation, un forum apolitique représentatif de treize représentants influents des communautés a vu le jour. Il se réunit tous les mois et demi depuis douze ans, sous l’égide du maire (Likoud) et du préfet de police. Même le Garin Torani (littéralement « noyau de la Torah »), un groupe religieux sioniste, y est représenté. Tensions liées aux fêtes religieuses, fermeture de lieux de culte pendant le Covid, harcèlement policier de jeunes Arabes… Mino Abu Laban, qui y siège également, est intarissable sur le nombre de crises dénouées par le forum.

Un forum pour désamorcer les crises

Comme en octobre 2014, où pour la première fois en trente-trois ans, Yom Kippour coïncidait avec l’Aïd-El-Adha. « Différents itinéraires ont été fixés pour que les musulmans puissent fêter l’Aïd, se rendre à la mosquée et faire des grillades sans gêner le repos et le jeûne respecté par les Juifs pour Kippour.Tout le monde était au courant, nous avions vu les imams et les rabbins en amont, et tout s’est bien passé », développe le conseiller municipal.

Mino Abu Laban se souvient encore de l’époque où petit – « quand il y avait encore des Peugeot partout » –, le football était le seul facteur possible de tensions entre Juifs et Arabes. « Quand on est pauvre, on aspire plus à jouer au foot qu’à aller à l’école ! Or, jusqu’aux années 1980, la base sociale était très saine parce que les deux communautés avaient le même niveau socio-économique. Cela a changé quand les familles juives sont allées s’installer dans de nouveaux quartiers et qu’un décalage d’éducation et de revenus s’est mis en place. »

Malgré les tensions arabo-juives, « notre microcosme de Ramla n’avait jamais été affecté par des événements nationaux avant mai 2021. Ça a été une épreuve très grave. Les réseaux sociaux ont tout enflammé», reconnaît Aliza Silvera.

« Les images de violences à Al-Aqsa la nuit la plus sainte dans l’islam ont créé un effet émotionnel très fort et beaucoup de colère chez les jeunes musulmans, se rappelle Mino Abu Laban. Toutes sortes d’infox montrant des Torah brûlées, avec des images ne provenant pas de Ramla ont aussi commencé à circuler sur les réseaux sociaux côté juif. »

Itamar Ben Gvir répond à l’appel de Garin Torani et se rend sur place et à Lod. Synagogues attaquées, habitants arabes poursuivis… même la maison du conseiller municipal est prise pour cible par des extrémistes juifs qui avaient aperçu son épouse, voilée, par la fenêtre. « J’ai demandé que les cinq entrées de la ville soient bloquées,pour que plus personne n’arrive de l’extérieurCar toutes ces provocations venaient d’en dehors de Ramla », affirme-t-il, en noircissant un schéma sur une feuille de papier. Plusieurs témoins confirment avoir vu deux cars de colons arrivés de Cisjordanie.

« Le forum s’est aussitôt réuni, et nous avons fait le tour à pied de tous les points de tension. L’ambiance était terrible. Chaque Arabe voyant une kippa pouvait penser qu’il s’agissait d’un colon prêt à le tuer et inversement, déclare Mino Abu Labandans son bureau situé au pied de la grande mosquée. Mais les gens nous ont reconnus, nous avons échangé pour montrer que le temps de la réconciliation et de l’apaisement était venu. La pression est redescendue, alors qu’à Lod les choses ont empiré, sous l’impulsion du maire, également Likoud, mais qui contrairement à celui de Ramla traite la population arabe en ennemie. »

« Une fois que les jeunes qui ont pris part aux émeutes ont vu notre délégation et leurs aînés, ils ont été gênés, cela a aidé à calmer les choses, confirme Aliza Silvera. Notre coexistence s’est révélée. » Depuis, le forum a fait son examen de conscience. « Nousavons créé une déclinaison du forum pour les jeunes, qui doit se réunir prochainement. On a bien vu que cela passait par eux, et par les réseaux sociaux où les adultes ne sont pas assez présents pour réagir à temps. »

Le spectre d’un « front intérieur »

Chacun sait à quel point l’équilibre entre communautés est fragile. L’arrivée récente d’éléments plus radicaux au sein du Garin Torani, qui compte de 100 à 200 familles (dix fois moins qu’à Lod), est une source de préoccupation. « Ils cherchent à créer des conflits et veulent renforcer l’identité juive » dans la ville, murmure-t-on – sollicité par La Croix, le Garin Torani n’a pas donné suite.

Une crainte renforcée par l’accord de coalition du gouvernement, relève Yehuda Shaul, défenseur israélien des droits humains. « L’article 82 de ce texte indique que le plus important est de se préparer à la possibilité d’un front intérieur. Autrement dit, de traiter les Palestiniens d’Israël, non pas comme un corps politique, mais comme une menace de l’intérieur si une guerre se déclenchait », ajoute le cofondateur de l’ONG Breaking the Silence, qui rassemble des vétérans israéliens dénonçant les agissements selon eux condamnables de l’armée.

D’après lui, le gouvernement entend renforcer, y compris en termes budgétaires, le Garin Torani et les communautés religieuses venues des colonies « pour amener leur mentalité de colons et changer la démographie de ces villes ».« Ils se sentent aujourd’hui galvanisés et soutenus par le pouvoir », estime Yehuda Shaul.

Si le projet du gouvernement se concrétise, le forum interculturel de Ramla sera de nouveau mis à l’épreuve. Il s’y prépare. Les habitants aussi. « Ben Gvir et les autres ont commencé tranquilles, mais il ne faut pas qu’ils exagèrent trop. Nous, tout ce qu’on veut, c’est la paix… », dit Zohar. « … Pas la guerre », complète Gili.

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Un Israélien sur cinq est arabe

Appelés « Arabes israéliens », « Palestiniens d’Israël », ou encore « Palestiniens de l’intérieur », les descendants des 160 0000 Palestiniens restés sur leur terre à la création d’Israël en 1948 représentent environ 20 % de la population en Israël, soit officiellement 1,8 million de citoyens, musulmans et dans une moindre mesure chrétiens.

Ils ont le droit de vote et dix d’entre eux siègent à la Knesset, le Parlement israélien, sur 120 députés.

Le parti islamiste modéré Raam (Liste arabe unie) est devenu en juin 2021 la première formation arabe à faire partie d’un gouvernement, celui dirigé jusqu’en décembre 2022 par le centriste Yaïr Lapid. En 1992, Yitzhak Rabin comptait un parti arabe dans sa majorité parlementaire mais qui ne participait pas au gouvernement.