Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Le foulard des accompagnatrices scolaires :
une question plus civique que religieuse |The Conversation

La question des mères d’élèves arborant un signe religieux vient, une fois de plus, de faire l’objet de débats, lors de la récente attaque de la part d’un élu (RN)
à l’encontre d’une mère accompagnatrice d’un groupe scolaire dans l’enceinte du Conseil régional Bourgogne Franche-Comté.

Anne-Sophie Lamine, Université de Strasbourg

Un amendement a été voté pour interdire le port du voile pour les accompagnatrices sorties scolaires par le Sénat le 15 mai, puis a été rejeté le 13 juin par la commission mixte paritaire de députés et sénateurs.

Face à cette polémique récurrente, une question se pose : doit-on attendre des citoyens qu’ils aient démontré leur pleine citoyenneté, selon les normes républicaines, avant de pouvoir contribuer au commun ? Ou, pour le dire autrement, peut-on envisager cette question sous l’angle de la participation sociale ?

« Pas de voile ou alors pas de goûter »

Prenons un cas apparaît comme particulièrement emblématique. À l’invitation d’une déléguée de parents d’élèves, fin novembre 2013, Nadia propose d’aider à la préparation du goûter de Noël d’une école élémentaire, à Méru, dans l’Oise

Sachant que dans une autre école de la ville, une mère avait été écartée d’une sortie scolaire en raison de son foulard, elle prend les devants et va voir la directrice, « pour lui demander si [son] voile poserait problème », la réponse est « pas de voile ou alors pas de goûter ».

Une pétition de soutien circule, signée aussi par des mères non musulmanes. La directrice annule le grand goûter devant rassembler tous les enfants et des parents, en le remplaçant par un petit goûter dans chaque classe, donc sans parents. Soulignant qu’elle veut « s’investir dans la vie des établissements [que ses enfants] fréquentent », Nadia ajoute qu’elle a « vécu cette affaire dans la souffrance ».

En décembre 2013, une directive émanant du directeur académique confirme l’interdiction de participer à des sorties scolaires aux mères voilées de Méru. Quelques mois plus tard, un groupe de mères se mobilise et porte l’affaire devant le tribunal administratif d’Amiens, qui leur donne finalement raison en 2015.

Position de principe ou pragmatisme, un signe religieux empêche-t-il de participer au bien commun ?

Doit-on être « neutre » pour participer à un goûter de Noël ?

De tels cas sont fréquents et leurs issues variables. Ces refus s’appuient jusqu’à présent sur la « Circulaire Chatel » de 2012 qui stipule que les parents accompagnant les sorties scolaires ne portent pas de signes religieux ostentatoires.

Les positions des ministres de l’Éducation ont néanmoins été diverses. Vincent Peillon s’appuyait sur cette circulaire, alors que Najat Vallaud-Belkacem considérait que

« Le principe c’est que dès lors que les mamans (les parents) ne sont pas soumises à la neutralité religieuse, comme l’indique le Conseil d’État, l’acceptation de leur présence aux sorties scolaires doit être la règle et le refus l’exception ».

Quant au ministre actuel, Jean‑Michel Blanquer, il souligne que cet amendement

« contreviendrait à un avis récent du Conseil d’État et poserait tout un tas de problèmes pratiques, qui iraient à l’encontre du développement des sorties scolaires ».

Une mère doit-elle obligatoirement devenir « neutre » (sans signe religieux visible) pour pouvoir aider à préparer un goûter de Noël ou pour accompagner une sortie scolaire ?

La posture d’interdiction s’appuie sur une lecture extensive de la loi de 2004, sur le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics et qui pourtant ne devrait s’appliquer qu’aux élèves.

Elle relève finalement de la position selon laquelle la personne doit montrer qu’elle est une bonne citoyenne, donc, selon ces critères républicains, ne pas porter de signe religieux, avant d’être autorisée à participer à la construction du bien commun, concernant ici la sociabilité scolaire et l’apprentissage de la pluralité aux enfants.

« nous n’avons pas le droit d’accompagner nos enfants aux sorties scolaires mais nous avons le droit de faire des gâteaux »

On peut s’interroger sur les effets collatéraux de telles interdictions.

Le premier effet est souligné, de manière pragmatique, par les acteurs éducatifs ou politiques s’opposant à l’interdiction : dans certains quartiers populaires, un grand nombre de sorties scolaires ne pourraient plus avoir lieu, faute de parents accompagnateurs.

Le second effet est celui de mésestime sociale qui impacte les mères, comme plusieurs le soulignent, alors qu’elles se sentent pleinement françaises (nées ici pour la très grande majorité, sinon arrivées très jeunes et scolarisées en France), et, plus largement, le groupe des musulmans.

Ces mères s’inquiètent aussi de l’impact de ces mesures sur leurs enfants, notamment sur l’image qu’ils ont de la laïcité et de la manière dont on traite les personnes visiblement musulmanes, comme le souligne cet appel de 2014 porté par les trois collectifs : « Maman toutes égales » et « Sorties scolaires avec nous », « Toi plus moi plus ma maman » et signé aussi par des militants non musulmans :

« Parce que nous portons un foulard, nous n’avons pas le droit d’accompagner nos enfants aux sorties scolaires, mais nous avons le droit de nous présenter aux élections de délégués de parents d’élèves, nous avons le droit de siéger dans les conseils d’écoles, nous avons le droit de participer aux activités dans l’enceinte de l’école, mais nous sommes surtout les bienvenues pour faire des gâteaux. […]

Réactions et mobilisations

Trois enquêtes font état des réactions et mobilisations de mères musulmanes face à cette interdiction. Dans la première, la sociologue canadienne Houda Asal montre que les engagements militants contre cette interdiction se sont inscrits dans un activisme plus large, celui de la lutte contre « l’islamophobie ». Une autre étude, menée par la sociologue française Hanane Karimi, analyse les impacts émotionnels négatifs mais aussi les formes d’empowerment alternatifs. Enfin, une troisième analyse des sociologues étatsuniens Alexandra Kassir et Jeffrey Reitz sur deux de collectifs de mères en France souligne le positionnement commun de ces femmes françaises et musulmanes. Elles affirment sans ambiguïté leur appartenance identitaire multiple en se référant à leur francité, à leur citoyenneté, ainsi qu’aux valeurs de tolérance et de vivre ensemble et réfutent l’unique assignation religieuse.

L’impact sur les enfants

Plus frappant encore, elles expliquent qu’elles sont particulièrement inquiètes de l’effet de cette interdiction pour leurs enfants. Certaines en viennent à inventer des prétextes pour leur cacher le fait qu’elles n’ont plus le droit d’accompagner les sorties, par crainte de leur donner une mauvaise image de l’école et de la société.

Bien que le phénomène soit difficile à quantifier (il n’existe pas d’étude sur la manière dont les enfants vivent cela), les divers médias/organismes musulmans (féminins ou généralistes, engagés ou non), en donnant la parole à des femmes concernées, souligne cette crainte récurrente depuis 2004. Quant au nombre de mères concernées, le chiffre est difficile à déterminer : CCIF, association militante de défense des musulmans fait état, dans un rapport de 2005, de neuf écoles concernées dans une seule ville de la banlieue parisienne peu après la promulgation de la loi de 2004. En 2013 l’association comptait une centaine de sollicitations de mères concernées et inquiètes.

Un combat pour des droits civiques et non religieux

Par ailleurs, l’étude déjà citée, montre aussi ce que ces femmes disent de leurs motivations à accompagner les enfants : agir en parents responsables et impliqués dans la vie de la « cité », ici représentée par l’école.

Et, contrairement à ce que la majorité des acteurs politiques, éducatifs et médiatiques affirme, ces femmes ne définissent nullement leur mouvement comme un combat pour des droits religieux, mais pour des droits civiques.

Par elles ne recherchent aucunement le soutien de mosquées ou d’imams. Comme le dit l’une d’elles lors d’entretiens avec les chercheurs, « Je ne vois pas pourquoi un imam devrait nous soutenir davantage qu’un homme politique » ou une autre « Je ne considère pas cette revendication comme religieuse ».

D’ailleurs, elles ne considèrent pas toujours ces derniers comme figure d’autorité : « ils ne sont pas la religion » et « s’ils considèrent que cela est licite ou non [cette revendication d’accompagner les enfants], c’est leur problème. […] Nous subissons des discriminations […] ce sont les droits de l’homme qui sont violés ».

La notion de participation sociale, plutôt que celle d’intégration

Le philosophe social pragmatiste John Dewey, dans son bel essai Le public et ses problèmes, nous invite à réfléchir à la « nature de l’idée démocratique », qui selon lui consiste pour l’individu à « prendre part de manière responsable, en fonction de ses capacités » aux activités des groupes auxquels il appartient.

Ces derniers incluent son quartier ou sa commune, un groupe de parent ou l’école de ses enfants, un syndicat ou une association professionnelle, une communauté religieuse etc.

Dewey considère donc que la démocratie s’enracine avant tout au niveau local :

« La démocratie doit commencer à la maison, et sa maison, c’est la communauté de voisinage. » (p. 317)

Cette vision de la démocratie invite à s’interroger sur la fabrication du monde commun, non pas comme un monde totalement neutre dans lequel les acteurs sociaux gommeraient leurs particularités, mais comme un monde qui se fabrique dès lors que ces acteurs, bien qu’agissant de manière très locale (environnement, quartier, école) ou en étant ancrés dans une identité particulière (religion, ethnicité, habitat spécifique…), le font avec une perspective d’un bien commun plus large que celui de leur groupe restreint.

Anne-Sophie Lamine, Professeure de sociologie, Université de Strasbourg

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

Communiqué du GAIC : Dénonçons la stigmatisation des musulmans
et encourageons les rencontres islamo-chrétiennes dans l’amitié

Elles sont un ferment de concorde et nous rapprochent dans une connaissance mutuelle, respectueuse et enrichissante

Alors que notre association va coordonner les 19èmes Semaines de Rencontres Islamo-Chrétiennes, les récents événements survenus à la suite de l’attaque de la Préfecture de Police de Paris augmentent encore le trouble dans la société française.

Dans son discours du 8 octobre, le Président de la République a promis un combat sans relâche face au terrorisme islamiste. Ce n’est en aucun cas un combat contre une religion, a-t-il continué, mais contre son dévoiement, qui conduit au terrorisme.

Nous ne pouvons qu’appuyer de tels propos.

En revanche, notre association est prise d’une grande inquiétude, lorsque, dans ce même discours, le chef de l’État a appelé à une « société de vigilance » où chacun pourrait « repérer à l’école, au travail, dans les lieux de cultes, près de chez soi, les relâchements, les déviations ».

Les événements et propos survenus dans les jours suivants nous paraissent lourds de dangers pour la communauté nationale :

  • L’humiliation d’une mère de famille voilée, accompagnant des enfants à une séance du Conseil régional de Bourgogne Franche-Comté ;
  • La mise à disposition à l’Université de Cergy-Pontoise d’une fiche de déclaration en cas de suspicion de radicalisation d’un enseignant ou d’un étudiant, sur la base de critères pouvant conduire à la dénonciation de n’importe quel musulman ;
  • La déclaration du ministre de l’éducation « le voile en soi n’est pas souhaitable dans notre société », alors qu’il venait de constater : « la loi n’interdit pas aux femmes voilées d’accompagner les enfants ».

Il est à redouter que la liste ne s’allonge à l’approche de la campagne des élections municipales en mars prochain.… Lire la suite: Communiqué du GAIC, Haydar Demiryurek et Hélène Millet, co-présidents
du Groupe d’Amitié Islamo-Chrétienne, 16.10.19

Elles sont un ferment de concorde et nous rapprochent dans une connaissance mutuelle, respectueuse et enrichissante.

Débat : Il faut repenser le racisme à l’échelle locale|The Conversation

Le racisme et l’antisémitisme, mais aussi le multiculturalisme ou le populisme font partie de ces grandes questions contemporaines dont l’analyse n’échappe pas à une tendance puissante, partout dans le monde, à souligner le caractère global.

Michel Wieviorka, Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) – USPC

Même si la circulation des idées pouvait être supranationale, la réalité concrète de ces phénomènes, comme d’autres (sociaux, culturels, religieux ou politiques) a longtemps été traitée dans le cadre principal de l’État-nation et de son complément, les relations internationales – le « nationalisme méthodologique » que critiquait le sociologue allemand Ulrich Beck.

En dehors de considérations générales, philosophiques par exemple, les chercheurs les envisageaient pour l’essentiel pays par pays, quitte parfois à proposer des comparaisons. Mais dans le contexte historique de la fin de l’Empire soviétique et du triomphe du néo-libéralisme, d’autres démarches ont renouvelé leur approche. Ce fut la montée en puissance de la « pensée globale », – et autres formulations apparentées, comme celle de « cosmopolitisme méthodologique » proposée par le même Ulrich Beck et notamment l’émergence de l’histoire globale.

« Penser global »

Tout devient « global » désormais. Par exemple il est question maintenant de « global race » sans toujours assez de précisions, en particulier sur l’usage du mot race si débattu en France. La recherche en sciences sociales développe couramment l’idée d’enjeux mondiaux et de logiques planétaires dont la compréhension devrait guider des analyses plus localisées, ici et là, dans tel ou tel pays notamment.

Ce fut un progrès, à partir des années 90, que de commencer à « penser global », un mouvement des idées auquel la France s’est ouverte plus tardivement qu’ailleurs en dehors de quelques chercheurs, comme l’historien Serge Gruzinski, et de quelques espaces de recherche, comme le CADIS (Centre d’analyse et d’interventions sociologiques) ou la FMSH, que la figure tutélaire de Fernand Braudel avait dès les années 60 engagée sur cette voie, parlant d’économie-monde et discutant quelques années plus tard avec Immanuel Wallerstein de l’idée de « système-monde »

Mais aujourd’hui, partout dans le monde, nous voyons se renforcer les appels à la fermeture des nations sur elles-mêmes, et à leur homogénéité, à la construction de murs et au renforcement des frontières, à des politiques résolument nationales, et il faut bien s’interroger : ne devons-nous pas redonner vitalité et pertinence à ce cadre de l’État-Nation et des relations internationales dans nos analyses des grands problèmes contemporains ? Cela ne nous éviterait-il pas des approximations et même des erreurs ?

Le racisme diffère d’un contexte à l’autre

Ainsi, le racisme, en France, n’est pas le même que celui des États-Unis d’Amérique. Et il n’est pas fondateur. La société française, contrairement à la société américaine, n’est véritablement post-esclavagiste qu’à sa périphérie, aux Antilles ou à la Réunion.

Son histoire accompagne d’abord l’expansion nationale dès les Grandes Découvertes et surtout, la colonisation portée par la Troisième République – rien de comparable aux États-Unis. Mais c’est aussi une idéologie qui se diffuse à l’échelle mondiale et à la construction de laquelle, comme l’historien israélien Zeev Sternhell l’a montré, notre pays a largement contribué.


L’immigration postcoloniale en provenance d’Afrique reçoit également un traitement qui se distingue de celui qui lui est fait aux États-Unis, où les descendants d’esclaves se sentent différents des immigrés venus plus récemment du continent africain. En France, autre spécificité, le racisme contemporain est à la fois l’héritier de l’ère coloniale, et des transformations d’une société où l’immigration de travail, notamment maghrébine, est devenue de peuplement, un processus alimentant bien des haines et des tensions autour des « banlieues » ou avec les théories racistes du « grand remplacement ».

Repenser les phénomènes à l’échelle locale

Ces spécificités, à peine évoquées ici, sont une invitation à ne pas trop vite proposer des catégories qui seraient exclusivement ou trop simplement globales, générales, et qui en fait sont empruntées à l’expérience américaine, et même plaquées sans distance, y compris dans l’usage de la langue anglaise, comme si elles apportaient le paradigme mondial de la compréhension du racisme, et du combat antiraciste.

À la mode dans certains milieux de la recherche, la thématique de l’intersectionnalité, par exemple, qui repose au départ aux États-Unis sur une lecture du fonctionnement de la justice face aux discriminations de « race » et de « genre » n’est pas nécessairement adaptable telle quelle à l’expérience de la France, où elle pourrait contribuer à façonner l’image artificielle des combats politiques à conduire. Le débat est vif sur ce point.

Il en est de même avec l’antisémitisme. En France, celui-ci n’est jamais très éloigné d’un antisionisme qui en est alors la figure quelque peu masquée, à moins que ce soit l’inverse : la haine des Juifs et celle de l’État hébreu coïncident vite.

Mais il n’en va pas ainsi aux États-Unis, où par exemple les Églises évangéliques, si influentes, peuvent à la fois soutenir l’État d’Israël et déployer un antisémitisme explicite, et où des pans entiers du monde juif sont très critiques vis-à-vis de la politique du gouvernement israélien. De même, l’antisémitisme qui prospère aujourd’hui en Europe de l’Est n’empêche pas les États polonais ou hongrois de rechercher l’entente avec Israël, et ce, en dépit de tensions diplomatiques.

Le multiculturalisme oublieux du monde non-occidental

Dans certains cas, l’importation sous couvert de pensée globale de catégories nord-américaines, dites parfois anglo-saxonnes, saute aux yeux dès que l’on s’éloigne de la littérature en langue anglaise.

Ainsi, le débat sur le multiculturalisme qui s’est développé à partir des années 70 depuis l’Amérique du Nord est-il presque toujours oublieux de larges parties du monde, Amérique latine, Afrique, Asie (à part l’Inde), il suffit de lire les travaux sud-américains en espagnol pour le constater.

De même, la grande majorité des descriptions et analyses du populisme ignorent de nombreux pays qui mériteraient examen.

Ce serait cependant aussi une erreur que de revenir en arrière, comme s’il s’agissait d’abandonner toute perspective globale, car les mêmes phénomènes, les mêmes enjeux dont nous pouvons signaler les spécificités nationales présentent aussi bien des aspects mondiaux, dessinant des évolutions d’ensemble qui méritent d’être examinées à l’échelle de la planète.

Nous devons en fait circuler entre les registres, et envisager les grandes questions contemporaines en conjuguant les perspectives. La comparaison entre pays ne suffit pas, ce qui importe est la capacité de distinguer et d’articuler des registres allant du plus général, et mondial, au plus singulier, national, voire local. Penser global, c’est en fait accepter l’idée de niveaux et déployer l’analyse pour chacun d’entre eux, et en envisageant la façon dont ils s’emboîtent et se complètent, ou non.

Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) – USPC

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« Le Coran appelle de nombreuses interprétations »

Entretien

Le nouveau site « Coran 12-21 » qui s’adresse aux spécialistes comme aux simples curieux, présente différentes versions du Coran, en arabe, latin et français, du XIIe siècle à nos jours.

L’islamologue Pierre Lory, directeur des études à l’École pratique des hautes études, a contribué à son élaboration.

  • Recueilli par Mélinée Le Priol,

 

  • « Le Coran appelle de nombreuses interprétations »
    En 1550, le protestant Theodor Bibliander a fait imprimer et éditer une traduction latine du Coran. Noprati somchit/Adobe

La première traduction du Coran proposée par ce nouveau site, en latin, date du XIIe siècle : l’intérêt pour la tradition musulmane est donc ancien, en Europe ?

Pierre Lory : Tout à fait. On croit parfois, à tort, que l’Occident n’a commencé à s’intéresser à l’islam qu’à l’époque coloniale. Pourtant, dès le XIIe siècle, l’abbé de Cluny Pierre le Vénérable a estimé qu’il ne fallait pas seulement combattre les musulmans par les Croisades, mais aussi comprendre ce en quoi ils étaient différents des chrétiens. En avance sur son temps, il a commandé une traduction du Coran en latin. Celle-ci a été la base de la connaissance sur le Coran pendant tout le Moyen Âge.

En 1550, le protestant Theodor Bibliander a fait imprimer et éditer cette traduction latine. En fait, dès le XVIe siècle, l’Occident a connu une sorte de « proto-orientalisme », les savants de la Renaissance s’intéressant de près à l’islam. À l’époque de François Ier, on enseignait l’arabe ! Toute une littérature sur l’Orient s’est bientôt développée : certains voyageurs manifestaient de la sympathie pour l’islam, d’autres le réfutaient, et d’autres encore avaient une position ambiguë : Voltaire, par exemple, défendait l’islam par anticléricalisme et rejet du catholicisme.

Le site Coran 12-21 présente entre autres la toute première traduction du Coran en français, qui date de 1647. Y en a-t-il eu beaucoup d’autres ?

P. L : Oui, au moins une cinquantaine ! Mais beaucoup sont médiocres. Le problème aujourd’hui, quand on veut s’intéresser à l’islam, ce n’est pas la pauvreté de la documentation, mais plutôt la perplexité devant son abondance.

Ce nouveau site Internet permet, en comparant facilement les traductions, de voir les différentes interprétations de ce texte en français, selon les époques. La traduction de Régis Blachère, en 1957, est le type même de la traduction érudite : c’est un français difficile, mais qui a le mérite de la précision lexicale. Celle de Muhammad Hamidullah, en l’an 2000, est la traduction la plus reconnue par les musulmans, celle qu’ils lisent en priorité.

En arabe aussi, il existe plusieurs versions du Coran ?

P. L : Le Coran a été imprimé très tard par les musulmans : c’était en 1924, au Caire. Jusque-là, ce texte n’existait que sous forme manuscrite et comprenait d’innombrables petites variantes. Il y en avait traditionnellement quatorze lectures possibles !

En 1924, l’édition du Caire, préparée à l’initiative du roi d’Égypte, a été diffusée à très grande échelle et s’est répandue dans pratiquement tout le monde musulman. Aujourd’hui, neuf lecteurs du Coran sur dix le lisent dans cette version-là.

Or je constate que beaucoup ignorent qu’il existait, jusqu’à 1924, différentes versions du texte. Étant donné que la grande majorité des musulmans considèrent que le Coran a été dicté au prophète Mohammed par l’ange Gabriel, reconnaître ces variantes reviendrait à dire qu’il n’y a pas eu une dictée unique.

Les musulmans ont-ils peur des différentes interprétations de leur texte sacré ?

P. L : Beaucoup voudraient en effet que le Coran soit un discours unique, valable pour tous. Pourtant, l’islam médiéval était au contraire très ouvert aux différentes interprétations, qui s’étalaient parfois sur trente volumes ! Elles pouvaient même se contredire, cela ne faisait rien

Aujourd’hui, de nombreux musulmans considèrent que les interprétations variées, qui vont dans un sens différent les unes des autres, sont dangereuses. Pour moi, cela dit une attitude globalement défensive par rapport à la modernité.

On me demande souvent : « Que dit vraiment le Coran ? » Mais c’est illusoire ! Comme tout texte, le Coran ne présente pas une signification unique, mais seulement des interprétations. Les traductions aujourd’hui présentées sur le site Coran 12-21 sont autant d’interprétations possibles.

Audience:  “Saul”, quand la foi devient idéologie (traduction complète)

ZENIT – Francais

 

Adorer Dieu ou des formules dogmatiques?

 

Les Actes des apôtres décrivent Saul comme « un idéologue », qui « absolutise son identité politique ou religieuse et réduit l’autre à un ennemi potentiel à combattre », a expliqué le pape François. Chez Saul, a-t-il commenté, « la religion s’était transformée en idéologie : idéologie religieuse, idéologie sociale, idéologie politique ».

Le pape François a poursuivi sa catéchèse sur les Actes des apôtres lors de l’audience générale de ce mercredi 9 octobre 2019, Place Saint-Pierre, au Vatican, en présence de nombreux visiteurs venus d’Italie et du monde entier. Il a médité sur le récit de la conversion de saint Paul, au chapitre 9 des Actes.

De même que « Saul », en persécutant les chrétiens, persécutait « le Seigneur », a fait observer le pape, « ceux qui sont des idéologues parce qu’ils veulent la “pureté”, entre guillemets, de l’Église, frappent aussi le Christ ».

Le pape a invité chacun à s’interroger : « comment est-ce que je vis ma vie de foi ? Vais-je à la rencontre des autres ou bien suis-je contre les autres ? Est-ce que j’appartiens à l’Église universelle (les bons et les mauvais, tout le monde) ou ai-je une idéologie sélective ? Est-ce que j’adore Dieu ou est-ce que j’adore les formules dogmatiques ? Comment est ma vie religieuse ? La foi en Dieu que je professe me rend-elle amicale ou hostile envers celui qui est différent de moi ? »

Voici notre traduction de la catéchèse en italien du pape François

HG

Catéchèse prononcée par le pape François en italien

Chers frères et soeurs, bonjour !

À partir de l’épisode de la lapidation d’Étienne, une figure apparaît qui, à côté de celle de Pierre, est la plus présente et la plus incisive dans les Actes des apôtres : celle d’ « un jeune homme appelé Saul » (Ac 7,58). Au début, il est décrit comme quelqu’un qui approuve la mort d’Étienne et qui veut détruire l’Église (cf. Ac 8,3) ; mais ensuite, il deviendra l’instrument choisi par Dieu pour annoncer l’Évangile aux nations (cf. Ac 9,15 ; 22,21 ; 26,17).

Avec l’autorisation du grand prêtre, Saul pourchasse les chrétiens et les capture. Vous, qui venez de certains pays qui ont été persécutés par les dictatures, vous comprenez bien ce que signifie pourchasser les gens et les capturer. C’est ce que faisait Saul. Et il fait cela en pensant servir la Loi du Seigneur. Luc dit que Saul « était toujours animé d’une rage meurtrière contre les disciples du Seigneur » (Ac 9,1) : il y a en lui un souffle qui a un goût de mort, pas de vie.

Le jeune Saul est décrit comme un intransigeant, c’est-à-dire quelqu’un qui manifeste de l’intolérance envers ceux qui pensent différemment de lui, il « absolutise » son identité politique ou religieuse et réduit l’autre à un ennemi potentiel à combattre. Un idéologue. Chez Saul, la religion s’était transformée en idéologie : idéologie religieuse, idéologie sociale, idéologie politique. C’est seulement après qu’il a été transformé par le Christ qu’il enseignera que la véritable bataille n’est pas « contre des êtres de sang et de chair, mais contre contre les Dominateurs de ce monde de ténèbres […], les esprits du mal » (Ép 6,12). Il enseignera qu’il ne faut pas combattre les personnes, mais le mal qui inspire leurs actions.

L’état de rage – parce que Saul était enragé – et conflictuel de Saul invite chacun à s’interroger : comment est-ce que je vis ma vie de foi ? Vais-je à la rencontre des autres ou bien suis-je contre les autres ? Est-ce que j’appartiens à l’Église universelle (les bons et les mauvais, tout le monde) ou ai-je une idéologie sélective ? Est-ce que j’adore Dieu ou est-ce que j’adore les formules dogmatiques ? Comment est ma vie religieuse ? La foi en Dieu que je professe me rend-elle amicale ou hostile envers celui qui est différent de moi ?

Luc raconte que, pendant que Saul est tout absorbé à éradiquer la communauté chrétienne, le Seigneur est sur ses traces pour toucher son coeur et le convertir à lui. C’est la méthode du Seigneur : il touche le coeur. Le Ressuscité prend l’initiative et se manifeste à Saul sur le chemin de Damas, un événement qui est raconté trois fois dans le livre des Actes (cf. Ac 9,3-19 ; 22,3-21 ; 26,4-23).

À travers le binôme « lumière » et « voix », typique des théophanies, le Ressuscité apparaît à Saul et lui demande des comptes sur sa fureur fratricide : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » (Ac 9,4). Ici, le Ressuscité manifeste qu’il ne fait qu’un avec ceux qui croient en lui : frapper un membre de l’Église, c’est frapper le Christ lui-même ! Ceux qui sont des idéologues parce qu’ils veulent la « pureté », entre guillemets, de l’Église, frappent aussi le Christ.

La voix de Jésus dit à Saul : « Relève-toi et entre dans la ville : on te dira ce que tu dois faire » (Ac 9,6). Mais une fois debout, Saul ne voit plus rien, il est devenu aveugle, et de l’homme fort, influent et indépendant qu’il était, il se trouve faible, démuni et dépendant des autres, parce qu’il ne voit pas. La lumière du Christ l’a ébloui et rendu aveugle : « Apparaît ainsi à l’extérieur ce qui était sa réalité intérieure, son aveuglement à l’égard de la vérité, de la lumière qu’est le Christ » (Benoît XVI, Audience générale, 3 septembre 2008).

De ce « corps à corps » entre Saul et le Ressuscité, commence une transformation qui montre la « pâque personnelle » de Saul, son passage de la mort à la vie : ce qui auparavant était sa gloire devient « des ordures » à rejeter pour acquérir le véritable avantage qu’est le Christ et la vie en lui (cf. Ph 3,7-8).

Paul reçoit le baptême. Le baptême marque ainsi pour Saul, comme pour chacun de nous, le début d’une vie nouvelle et il est accompagné par un regard nouveau sur Dieu, sur soi et sur les autres qui, d’ennemis qu’ils étaient deviennent désormais des frères dans le Christ.

Demandons au Père de nous faire expérimenter à nous aussi, comme à Saul, l’impact avec son amour qui, seul, peut faire d’un coeur de pierre un coeur de chair (cf. Éz 11,15), capable d’accueillir en lui-même « les dispositions qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2,5).

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

Source : Audience:  “Saul”, quand la foi devient idéologie (traduction complète) – ZENIT – Francais, Hélène Ginabat, 09.10.19.