Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Du communisme à l’islam | Revue Esprit

 

L’islam, comme en son temps le communisme, propose une réponse eschatologique au sentiment d’injustice et au mécontentement des jeunes exclus du système capitaliste.

La question du terrorisme focalise de nos jours le débat sur deux tendances : la première, psychologique, voit dans le jeune radicalisé un malade mental, souvent nihiliste, dans le meilleur des cas névrosé ; la seconde est davantage orientée sur la question du « choc des civilisations » qui voit dans l’islam un projet violent, antimoderne et barbare. Les questions politiques et sociales semblent dans ces deux cas évacuées des diagnostics politico-médiatiques. Il est difficile, en effet, lorsque des témoins entendent crier « Allah akbar » dans certains actes de « tueries massives » ou que Daech ou Al Qaïda revendiquent tel ou tel attentat, de ne pas associer ces violences à l’islam.

Pourtant, il existe une autre piste pour éclairer le phénomène qualifié de djihadiste.

Lire l’article : Du communisme à l’islam | Revue Esprit, Éric Marlière, décembre 2019 ( Esprit offre 3 articles gratuits)

Dialogue interreligieux: une coopération pour l’amélioration de la santé
(traduction complète) | ZENIT – Français

Déclaration commune pour la santé mondiale

« Nous réaffirmons notre coopération mutuelle en vue de l’amélioration de la santé et du bien-être des communautés dans le besoin » dit une déclaration signée au nom du pape François et du Cheikh Mohamed bin Zayed Al Nahyan (Emirats arabes unis).

Le Saint-Siège a publié cette « Déclaration commune sur la santé mondiale » signée par le pape et par le prince héritier d’Abou Dhabi, le 18 novembre 2019, en anglais.

« Cette coopération découle de la conviction que chaque personne, quel que soit son origine, a le droit de mener une vie digne et en bonne santé », ajoute le même document.

Il recommande de « développer des réseaux de prévention médicaux adéquats », notamment pour « lutter contre les maladies tropicales négligées ».

Voici notre traduction rapide, de travail, de ce document.
AB

Déclaration commune sur la santé mondiale

À l’occasion du Last Mile Forum d’Abou Dhabi, nous réaffirmons notre coopération mutuelle en vue de l’amélioration de la santé et du bien-être des communautés dans le besoin.

Cette coopération découle de la conviction que chaque personne, quel que soit son origine, a le droit de mener une vie digne et en bonne santé.

Le contexte dans lequel ces pathologies surviennent souvent est la pauvreté et la vulnérabilité sociale des membres les plus marginalisés de la société. Par conséquent, nous appelons à des efforts renouvelés – comprenant une action politique globale et une coopération volontaire entre la société civile et les États, responsables de la santé de leurs citoyens – afin de promouvoir des programmes sanitaires, sociaux et éducatifs et de développer des réseaux médicaux adéquats de prévention, de diagnostic et de traitement, afin que personne ne reste à la traîne.

Nous appelons également la communauté internationale à collaborer pour atteindre les populations les plus vulnérables et concentrer l’attention sur les maladies qui frappent les populations les plus démunies.

L’un de ces domaines d’attention est la lutte contre les Maladies tropicales négligées (NTDs), qui touchent plus de 1,5 milliard de la population mondiale. Malgré les programmes lancés au niveau international et l’amélioration de l’accès aux traitements, les NTDs restent une deuxième priorité de l’agenda mondial.

Face à des maladies qui peuvent aujourd’hui être surveillées, prévenues et éliminées, il est nécessaire de redoubler d’efforts pour coordonner les ressources disponibles afin de trouver des solutions adéquates. Cela nécessitera également une approche interdisciplinaire, socio-médicale et environnementale.

Garantir le droit à un traitement pour toutes les personnes est primordial. Nous appuyons donc pleinement le Fonds Reaching the Last Mile et son travail dans le traitement et la surveillance des Maladies tropicales négligées. À l’avenir, nous continuerons à collaborer à d’autres initiatives en matière de santé mondiale.

Enfin, nous faisons confiance à la solidarité de toutes les personnes qui comprennent les souffrances de ceux qui sont dans le besoin dans des régions du monde négligées et défavorisées, afin que ce fléau inutile qui afflige l’humanité puisse être éradiqué une fois pour toutes.

Abu Dhabi, le 18 novembre 2019

Au nom de Sa Sainteté le pape François
Son Excellence l’archevêque Francisco Montecillo Padilla, nonce apostolique aux Émirats Arabes Unis

Au nom de Son Altesse Cheikh Mohamed Bin Zayed
Son Excellence Mohamed Mubarak Al Mazrouei
Sous-secrétaire du Crown Prince Court of Abu Dhabi

Copyright 2019 – Traduction de Zenit, Anita Bourdin

Source : Dialogue interreligieux: une coopération pour l’amélioration de la santé (traduction complète) – ZENIT – Francais, , 19.11.19.

Prendre en compte la conviction religieuse dans l’entreprise :
ce que dit le droit |The Conversation

Un employeur peut-il licencier une salariée, ingénieure informatique,
refusant d’enlever son voile lorsqu’elle travaille chez un client opposé au port de ce signe religieux dans son entreprise ?

Vincente Fortier, Université de Strasbourg

Dans son arrêt du 22 novembre 2017 (et à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne), la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé

« qu’il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement ».

La haute juridiction n’a-t-elle pas ouvert la voie aux ajustements de la norme lorsque l’application de celle-ci au cas concret pose question au regard du respect d’une liberté (ici la liberté de religion), suscite un conflit de valeurs ou de normes, risque d’engendrer une discrimination ?

À cet égard, et bien que les faits de l’affaire Leyla Sahin soient bien éloignés du monde de l’entreprise puisqu’était concernée une jeune étudiante en médecine turque qui refusait d’enlever son voile à l’université, l’opinion dissidente de la juge Tulkens dans ce litige a gardé toute sa pertinence et doit être rappelée :

« Dans une société démocratique, je pense qu’il faut chercher à accorder – et non à opposer – les principes de laïcité, d’égalité et de liberté. »

Mais comment accorder ? Dans certaines situations, plusieurs droits fondamentaux se confrontent : droit à l’égalité, principe de non-discrimination et droit à la liberté de religion, sont étroitement enchâssés, dans un rapport ambigu de répulsion et d’attirance. L’opposition est parfois frontale entre système légaliste et mise en balance des intérêts.

L’articulation de l’impératif juridique et de l’impératif religieux

L’articulation de l’impératif juridique et de l’impératif religieux peut susciter des tensions dont la résolution réside dans une mise en balance des intérêts, une pesée de ceux-ci, aboutissant non point à un renoncement ou à un recul de la norme positive au profit de la norme religieuse, (ou l’inverse) mais davantage à une prise en compte de la liberté de religion en tant qu’elle est une liberté fondamentale grâce à une adaptation de la règle de droit.

S’agit-il alors de transplanter en France et plus largement en Europe cette notion venue d’outre-Atlantique connue sous le nom d’« accommodement raisonnable » comme le soulèvent Manon Montpetit et Stéphane Bernatchez ?

Pas vraiment : parfois abusivement utilisée dans les discours publics, l’obligation d’accommodement raisonnable, qui est le corollaire du droit à l’égalité, est une construction de la jurisprudence afin d’assurer la mise en œuvre d’une « égalité réelle » plutôt que formelle.

Néanmoins, la simplicité de l’expression cache une évolution et une réalité complexes, sujettes à controverse.

Adapter la norme commune ?

En Europe, la problématique tenant à l’adaptation de la norme commune pour satisfaire la liberté de religion a également trouvé un écho à travers des concepts voisins ou distincts : principe de proportionnalité, concordance pratique.

Au premier chef, le principe de proportionnalité. Celui-ci occupe une place cardinale dans le raisonnement juridique toutes les fois qu’il s’agit d’apprécier la licéité d’une action ou d’une abstention au regard des normes protectrices des droits et libertés fondamentaux.

Par exemple, dans l’affaire Eweida et autres c. La Cour européenne a dû mettre en balance les droits des requérants et les intérêts légitimes de leurs employeurs.

En l’espèce, les requérants soutenaient que le droit national n’avait pas adéquatement protégé leur droit de manifester leur religion. Les deux premières requérantes se plaignaient en particulier de restrictions par leurs employeurs au port visible par elles d’une croix à leur cou. Concernant la première requérante, la Cour a conclu que les autorités n’avaient pas ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le désir de la requérante de manifester sa foi et de pouvoir la communiquer à autrui et, d’autre part, le souhait de son employeur de véhiculer une certaine image de marque (quelle que soit par ailleurs la légitimité de cet objectif).

Comme l’accommodement raisonnable, le principe de proportionnalité est a priori d’une simplicité confondante dans sa compréhension et son maniement. Introduisant de la souplesse dans la règle de droit, en ce qu’il permet une application différenciée de celle-ci et respectueuse des droits fondamentaux, le principe de proportionnalité semble paré de toutes les vertus. Néanmoins, une analyse plus fine du principe en révèle les limites.

Concordance pratique

Parmi les techniques juridiques permettant d’appréhender les conflits entre droits fondamentaux, on ne peut manquer d’évoquer la notion de « praktische Konkordanz » ou concordance pratique, issue du droit constitutionnel allemand (voir l’article de Bernhard Kresse).

Cette notion qui s’inscrit dans une logique de conciliation optimale, est traditionnellement mobilisée par la doctrine allemande pour résoudre les conflits de droits fondamentaux. Celle-ci insiste sur le fait que lorsque deux droits fondamentaux sont en conflit, aucun d’entre eux n’a vocation à se voir a priori sacrifié au profit de l’autre.

Les deux droits en concurrence se doivent des concessions réciproques. Les deux aspects de la liberté de religion – celle des organisations religieuses et celle des individus – font l’objet d’une protection éminente en Allemagne.

Nul besoin ici de déroger à la norme générale de droit civil : la mise en balance des intérêts antagonistes permet de résoudre les conflits de valeurs, « dans une concordance pratique des valeurs en cause ».

La critique des solutions au cas par cas

Cette démarche d’ajustement ou d’aménagement de la norme au cas particulier soulève cependant aussi interrogations, résistances et critiques. Elle orienterait la gestion du droit vers des solutions particulières au cas par cas ou « sur mesure ». Cette approche « casuistique » réduirait la sécurité juridique, elle pourrait conduire à un effritement de la norme commune (voir l’article de Frédéric Dieu sur ce sujet).

En France, particulièrement, les principes constitutionnels de laïcité et d’égalité semblent s’opposer aux adaptations de la norme commune, mais la jurisprudence tout en nuances est réceptive à la satisfaction des demandes liées aux exigences religieuses.

Ainsi, le juge administratif estime-t-il désormais que

« les principes de laïcité et de neutralité auxquels est soumis le service public ne font pas, par eux-mêmes, obstacle à ce que, en l’absence de nécessité se rapportant à son organisation ou son fonctionnement, les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses ou philosophiques ».

En d’autres termes, comme le souligne Frédéric Dieu, il n’est plus possible de s’abriter derrière la norme commune que constituent les principes de laïcité et de neutralité du service public pour refuser ce type d’exigence.

Et que dire encore de la pratique de la circoncision rituelle, largement répandue, souvent effectuée en milieu hospitalier et pourtant, heurtant frontalement certaines dispositions juridiques d’ordre public ?

Le choix des stratégies d’intégration

Comment articuler l’injonction paradoxale consistant à prôner d’un côté des politiques de valorisation de la diversité, de lutter contre la discrimination et à exiger de l’autre une forme d’invisibilité religieuse (voir l’article de Jeanne Pawella sur ce point) au travail ?

Le thème de l’accommodement ou de l’ajustement de la norme positive soulève des questions politiques et sociales qui concernent le traitement des minorités et le choix des stratégies d’intégration par les pouvoirs publics.

Les règles communes peuvent être « accommodées » pour faciliter leur participation dans le respect de leurs traditions propres. Cette démarche ou logique de conciliation, de concertation était déjà prônée dans le guide édité par le ministère du Travail en janvier 2017 sur le fait religieux en entreprise e.

Dans son préambule, le guide définit l’entreprise en ces termes :

« L’entreprise a une finalité économique mais elle est également un lieu de socialisation, de discussions, d’interactions, voire parfois de confrontation puisque le salarié y est aussi un individu avec son histoire, ses convictions, sa culture, ses croyances ou sa non-croyance. »

Et poursuivant, pour préciser ses objectifs, il est écrit que

« Ce guide […] apporte, en second lieu, des réponses à des cas concrets tout en suggérant les attitudes permettant de favoriser la recherche de solutions consensuelles. Dans tous les cas, pour assurer une vie collective apaisée et harmonieuse, la tolérance et le respect mutuels doivent présider à cette recherche. »

L’ajustement des normes prend place dans une politique de pluralisme culturel et de respect de la diversité.

Toutefois, l’accommodement ou l’ajustement ne constitue pas un droit absolu : toute personne ou groupe concerné de manière défavorable par une mesure générale ne peut prétendre à un accommodement.

Quelle que soit la technique juridique utilisée ou la voie privilégiée, qui très souvent du reste se combinent, et même si le croyant ne saurait s’affranchir de la règle commune au nom de sa liberté de religion, l’effectivité de celle-ci et sa reconnaissance pleine et entière supposent des ajustements raisonnables du droit commun.


Cet article est issu de l’introduction du numéro Revue du droit des religions « Convictions religieuses et ajustements de la norme » (juillet 2019), co-dirigé par l’auteure.

Vincente Fortier, Directrice de recherche, Université de Strasbourg

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

Le fait religieux dans l’entrepreneuriat féminin au Sénégal
The Conversation

Au Sénégal, les rapports de genre sont encore souvent envisagés d’un point de vue relativement binaire : les femmes seraient largement confinées à l’espace domestique tandis que l’espace public, de même que les responsabilités économiques, seraient essentiellement réservés aux hommes. Mais depuis les années 1980, suite aux plans d’ajustement structurel, la crise et le chômage de masse ont poussé de nombreuses femmes à entreprendre – notamment dans l’économie informelle – afin de subvenir aux charges de leur famille. Une évolution qui conduit à une renégociation des rapports de pouvoir au sein du couple et à une certaine redéfinition des statuts.

Sadio Ba Gning, Université Gaston Berger

À Dakar, particulièrement, les femmes jouent un rôle économique de plus en plus important. Elles se mettent à intégrer des réseaux d’affaires influents, notamment dans leurs stratégies de contournement fiscal et en entrant en union maritale avec des acteurs confrériques influents et des hommes d’affaires, et mobilisent des liens familiaux dans leurs parcours professionnels. Ces nouveaux statuts sociaux leur permettent de bénéficier d’un meilleur traitement fiscal ou d’une protection en cas de violation de la loi.

Si les entrepreneurs sénégalais sont à 68,7 % des hommes, les femmes sont aujourd’hui majoritaires dans les secteurs de la restauration (72,8 %) et très présentes dans les activités de coiffure et de commerce (38,9 %) selon le rapport 2017 sur le recensement général des entreprises

Dans la littérature existante les rares travaux socio-anthropologiques existants ont mis l’accent sur les usages de la religion par les hommes d’affaires dans l’informel et différents secteurs de l’économie sénégalaise. Face au faible intérêt accordé à l’entrepreneuriat féminin, il convient d’explorer si la religion est vécue par les femmes qui entreprennent, comme une contrainte, voire un moyen de soumission et d’asservissement.

Notre analyse s’appuie sur les entretiens biographiques réalisés dans le cadre de l’enquête Femmes, Réseaux religieux et entrepreneuriat au Sénégal (FRES) (en cours de publication dans la revue Sociologies Pratiques, 2019, n°39). Des entretiens qualitatifs ont été réalisés auprès d’une vingtaine d’informateurs clés (ministères, ONG, entreprises, associations, etc.) et des entretiens individuels avec 100 cheffes d’entreprises, toutes confessions confondues et réparties dans trois régions du Sénégal (Saint-Louis, Dakar et Ziguinchor).

La religion, une ressource importante pour l’entrepreneuriat

Il ressort de nos travaux que l’appartenance religieuse et la proximité avec un guide religieux représentent un préalable pour un parcours d’entrepreneure. Ces éléments permettent de construire des relations de confiance, de fonder une légitimité et d’entretenir les relations de clientèle nécessaires aux échanges économiques. En effet, les ressources offertes par la clientèle religieuse sont plurielles.

Une première distinction peut être établie entre les entrepreneures musulmanes et chrétiennes (rappelons que les musulmans représentent 96 % de la population et les chrétiens un peu moins de 4 %). Pour les musulmanes, le clientélisme implique une proximité relationnelle personnalisée avec les chefs religieux. Cette relation est mise en scène lors des événements religieux et à travers des rapports financiers. Les dépenses alors consenties à titre individuel ou collectif, ainsi que les services rendus à ces figures religieuses, sont vécus comme un investissement social.

À travers ces dons, les femmes sollicitent auprès des chefs religieux des contre-dons sous forme de prières de bénédiction, censées constituer un gage de réussite économique et sociale. La médiation des marabouts facilite l’accès des entrepreneures musulmanes à des opportunités et à des réseaux d’affaires. En effet, ces marabouts peuvent user de leur position centrale au sein de la communauté religieuse pour mettre les entrepreneures en relation avec des personnalités influentes.

Pour les entrepreneures chrétiennes, le rapport avec la hiérarchie religieuse est moins direct. La construction d’une clientèle religieuse dépend principalement du niveau d’implantation sur le territoire de la paroisse ou du diocèse (prières, liturgie, chorale, organisation d’événements religieux) et des services (entretien des édifices religieux, vente, préparation des repas, nettoiement, etc.). En contrepartie, elles peuvent bénéficier des faveurs de l’autorité religieuse centrale, l’évêque. Celui-ci, par son soutien, garantit la fiabilité des entrepreneures (demande de crédit, mise en réseaux, logistique, distribution d’intrants, prêt de terrain, etc.).

Le clientélisme donne accès à des marchés grâce aux liens tissés au sein de la communauté religieuse (groupes de prière, associations, mariages, etc.). Les entrepreneures peuvent profiter des événements culturels (sorties de messe, kermesses, retraites, ordinations, pèlerinages, etc.) et des rapports interpersonnels liés aux activités religieuses pour écouler leurs produits. Tout cela en bénéficiant du soutien des figures masculines religieuses (pasteurs protestants, curés catholiques, etc.).

En définitive, ce positionnement religieux procure aux entrepreneures musulmanes des ressources symboliques – bénédictions, prières et reconnaissance par les autorités religieuses – et relationnelles alors que chez les chrétiennes, les choses se passent plutôt au niveau institutionnel et matériel.

La religion, moyen d’émancipation des femmes

Les entrepreneures ne sont pas exclusivement tributaires des espaces religieux. Elles tendent à s’en émanciper, particulièrement lorsqu’elles se tournent vers l’économie de marché. Elles s’orientent alors vers des réseaux d’affaires sécularisés au niveau institutionnel (partenaires techniques, banques, etc.). La prise de distance avec l’espace religieux se traduit par leur insertion dans des réseaux influents sans exclusivité confessionnelle.

Il peut ainsi arriver que des musulmanes déclinent les faveurs d’acteurs confrériques. Elles peuvent, par exemple, refuser des billets pour La Mecque ou renoncer à des postes électifs religieux – dans des fondations ou associations religieuses – pour privilégier une collaboration institutionnalisée.

De même, des entrepreneures chrétiennes n’hésitent pas à coopter des musulmanes dans leurs entreprises associatives, en se basant sur des liens de confiance préexistants (parenté, amitié) pour accéder à des financements.

Ce clientélisme religieux est parfois traversé par des conflits. À l’image des mobilisations féminines internationales, ces conflits remettent en cause l’organisation centralisée et pyramidale et le fonctionnement genré de l’Église.

Conserver les clients religieux demeure néanmoins important pour toutes les entrepreneures. Pour elles, tout l’enjeu est de les fidéliser tout en s’ouvrant sur d’autres réseaux. À travers des concertations ponctuelles et ciblées pour des prières, les entrepreneures gardent ainsi un lien religieux bien ancré… mais en même temps détaché. L’aspect le plus important à ce stade traduit un changement dans les rapports clientélistes avec les acteurs religieux. Ces derniers passent d’une fonction d’intermédiaires à des postures partisanes plus directes, en utilisant l’image des entrepreneures, présentées comme des figures de réussite pour consolider leur pouvoir.

En clair, notre étude révèle que la religion légitime et vient en appoint au travail des femmes (dans les parcours professionnels des entrepreneures chrétiennes plus que dans ceux des musulmanes, pourtant plus clientélistes). Elle apparaît comme un engagement, mais aussi et surtout comme un levier pour entreprendre et s’émanciper. Contrairement aux hommes qui utilisent le clientélisme religieux pour consolider leur domination économique. Mais cette émancipation n’est assumée que sous couvert d’une certaine protection religieuse, censée procurer des ressources multiples.

Aussi bien relationnelles que matérielles, ces ressources permettent de soutenir et de sécuriser les investissements sociaux et économiques des entrepreneures, notamment de celles qui disposent d’un réseau familial et associatif confessionnel bien établi. Le jeu des réseaux sociaux favorise l’ouverture des entrepreneures (musulmanes comme chrétiennes) à des espaces relationnels non confessionnels. En l’occurrence, les ressources religieuses deviennent plus symboliques (prières) et permettent aux entrepreneures de tracer, sur le plan individuel, leur propre voie.

Sadio Ba Gning, enseignante-chercheure en sociologie, Université Gaston Berger

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

France: Comment l’État veut mener « l’offensive républicaine »
contre l’islamisme et le repli communautaire |SaphirNews

 

L’État, sous l’ère Macron, fait désormais de la lutte contre l’islamisme et le communautarisme un des axes centraux de sa politique. En ce sens, le ministre de l’Intérieur a réuni, jeudi 28 novembre, tous les préfets de France pour leur dévoiler les grandes lignes d’une nouvelle circulaire visant à étendre à l’ensemble du territoire l’offensive menée depuis février 2018 dans 15 quartiers particulièrement touchés par le phénomène de radicalisation. Explications dans : Comment l’Etat veut mener « l’offensive républicaine » contre l’islamisme et le repli communa