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France – Algérie : des tensions bien commodes

Mis à jour le 7 octobre 2021 à 17:20
 
Adlene Mohammedi
 

Par Adlene Mohammedi

Docteur en géographie politique de l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste de la politique arabe de la Russie. Né à Alger, il y a vécu jusqu'en 2005.



Manifestation contre le report des élections présidentielles, en mars 2019, à Alger © Nacerdine ZEBAR/Gamma-Rapho via Getty Images

Propos polémiques d’Emmanuel Macron côté français, fermeture de l’espace aérien côte algérien… Les passe d’armes entre les deux pays semblent avant tout motivées par des stratégies de politique intérieure, à Alger comme à Paris. 

Quand une politique étrangère n’en est pas vraiment une, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître. Pour reprendre la formule de l’officier prussien Carl von Clausewitz, qui disait que « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », on peut affirmer qu’aujourd’hui, entre la France et l’Algérie, la politique étrangère se réduit à la poursuite de la politique intérieure par d’autres moyens.

Dans le cas du pouvoir algérien, la chose était admise : tout comme sa relative prudence sur la scène internationale, sa mentalité d’assiégé – prioritairement par rapport au voisin marocain et à l’ancienne puissance coloniale – est une forme de mécanisme de survie. La ritournelle de la « main étrangère », destinée à susciter un ersatz d’unité nationale, n’a pourtant pas fonctionné. Le Hirak, soulèvement populaire destiné à construire un État de droit et une démocratie assurant la primauté du civil sur le militaire, a tenu bon. Son cap, à savoir la conquête de la souveraineté populaire, a prévalu. C’est la répression – dans la rue comme dans les tribunaux d’une justice aux ordres – et la pandémie qui ont mis à mal ce mouvement.

Enième diversion

Les dirigeants algériens ont beau parler d’ingérence, Paris a été pour eux un soutien constant. En mars 2019, alors que les manifestations se succédaient et alors qu’Abdelaziz Bouteflika – qui n’affichait aucun signe de vie – briguait un cinquième mandat, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, indiquait qu’il fallait « laisser le processus électoral se dérouler ». Alors même que le peuple algérien n’en voulait pas, faut-il le rappeler.

En novembre 2020, dans une interview à Jeune Afrique, le président Macron a déclaré qu’il était prêt à faire tout son possible « pour aider le président Tebboune ». Bref, à Paris, le discours contre-révolutionnaire de la sacro-sainte stabilité – comme si l’illégitimité d’un pouvoir ostensiblement boudé dans les urnes n’était pas porteuse d’instabilité – a semblé primer.

LES DÉCLARATIONS DE MACRON CRÉENT EN ALGÉRIE UN CLIMAT DE COLÈRE PARTAGÉE QUI FAVORISE LE STATU QUO

Même la discussion –  relatée par Le Monde le 2 octobre – entre Emmanuel Macron et dix-huit « petits-enfants » de la guerre d’Algérie, au cours de laquelle le président français a évoqué l’existence d’une « rente mémorielle » entretenue par « le système politico-militaire » après l’indépendance de 1962, s’apparente, certes contre-intuitivement, à un soutien (peut-être involontaire) au pouvoir algérien.

Les propos du chef de l’État français ont en effet offert aux autorités l’occasion d’une énième diversion. Si Alger a rappelé son ambassadeur à Paris pour consultations et a fermé son espace aérien aux avions militaires français de l’opération Barkhane, ces « sanctions » ne semblent pas de nature à remettre en cause la coopération bilatérale en matière de renseignement et de lutte contre le terrorisme. En revanche, les déclarations d’Emmanuel Macron créent en Algérie un climat de colère partagée (par le pouvoir et celles et ceux sur lesquels il s’exerce) qui favorise le statu quo derrière un apparent appel au réveil collectif.

Stratégie électorale

Côte français, il est possible aussi que le président de la République ait simplement souhaité s’inviter maladroitement – comme d’autres – dans un débat d’historiens. Ou que seul le contexte électoral national le préoccupe. Qu’il s’agisse des déclarations d’Emmanuel Macron ou de la décision de Paris, annoncée fin septembre, de diminuer drastiquement le nombre de visas attribués aux Algériens, aux Marocains et aux Tunisiens, la volonté de séduire un certain électorat transparaît. Une autre forme de rente, en somme.

Pour ce qui est des visas, même si la distribution parcimonieuse des laissez-passer consulaires par les pays concernés par les expulsions d’immigrés clandestins (en cas d’absence de papiers d’identité) est connue, on est en droit de s’interroger sur le contexte (une baisse du nombre de visas depuis quelques années, accentuée par la pandémie) et sur le bien-fondé de la mesure (une punition collective à l’encontre des populations).

Au-delà du contexte électoral, la politique algérienne d’Emmanuel Macron, notamment dans sa dimension rhétorique, semble inopportune. Si son intérêt pour l’histoire et les questions « mémorielles » est louable, il a deux inconvénients. D’abord, le contexte politique dans les deux pays ne s’y prête pas. Ensuite, ces questions méritent d’être traitées librement mais à distance des États.

Mali: seize soldats tués dans une embuscade près de Bandiagara

Soldat des Forces armées maliennes à Tombouctou, le 9 septembre 2021.

Soldat des Forces armées maliennes à Tombouctou, le 9 septembre 2021.
 AFP - MAIMOUNA MORO

Un convoi de l’armée malienne est tombé dans une embuscade, ce mercredi 6 octobre, près de Bandiagara, dans le centre du pays. Le bilan est lourd : seize morts, selon différentes sources médicales et sécuritaires, recoupées par RFI. Les Forces maliennes ont cependant pu riposter « énergiquement », selon les termes du communiqué de l’état-major général des armées maliennes. 

C’est au niveau du village de Bodio, sur la RN15 entre Koro et Bandiagara, que l’embuscade a été tendue, en fin de matinée. D’abord, des engins explosifs improvisés, sur lesquels sautent plusieurs véhicules du convoi de l’armée malienne ; ensuite, des tirs nourris.  

L’attaque n’a pas été revendiquée : l’armée malienne parle de « groupes armés terroristes ». La zone est depuis plusieurs années un terrain d’action récurrent de la Katiba Macina, dirigée par Amadou Koufa et membre du Jnim, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, lié à Aqmi, al-Qaïda au Maghreb islamique.  

 À lire aussi : Reçu par le ministre malien de la Défense, le patron de Barkhane veut rassurer

Ratissage au sol et frappes aériennes de l'armée malienne

L’armée malienne a indiqué ce mercredi soir un bilan provisoire de 9 soldats tués, sans le réviser depuis. Mais ce bilan a malheureusement évolué : selon des sources médicales et sécuritaires locales, ce sont bien 16 soldats maliens qui ont péri dans l’attaque.  

Les corps devaient être évacués ce jeudi matin 7 octobre vers Sévaré par des hélicoptères de la Minusma, la Mission des Nations unies dans le pays. 

L’armée malienne a cependant réagi de manière immédiate mercredi, avec un ratissage au sol accompagné de frappes aériennes. Ce qui a permis, selon le communiqué transmis mercredi soir par l’état-major, de tuer 15 assaillants et de récupérer 20 motos et des armes. 

► À écouter : Choguel Maïga: face au retrait de Barkhane, «nous avons l'obligation de chercher des solutions»

Mali-France : entre Emmanuel Macron et Choguel Maïga, un duel sans concession

Par  - à Bamako
Mis à jour le 4 octobre 2021 à 09:13


Emmanuel Macron et Choguel Maïga. © Montage JA : Eliot Blondet/POOL/REA ; BASTIEN LOUVET/BRST/SIPA

Accusations d’abandon en plein vol d’un côté, propos qualifiés de « honteux » de l’autre. Rien ne va plus entre le président de la République française et le Premier ministre malien. Retour sur un bras de fer tenace.

S’il est une chose sur laquelle insistent ceux qui le connaissent bien, c’est que le Premier ministre malien ne dit jamais rien au hasard. « Choguel Maïga est un homme méthodique, qui ne parle jamais sous le coup de l’émotion ou de la réaction. Quand il s’exprime, c’est murement réfléchi », confie un homme politique malien qui a longtemps cheminé à ses côtés. Un trait de caractère que l’on n’ignore pas, dans les couloirs de l’Élysée, où l’offensive du chef du gouvernement malien a été pour le moins mal perçue. Au point qu’Emmanuel Macron, après avoir laissé tour à tour répondre ses ministres des Armées et des Affaires étrangères, a répliqué crûment.

Macron monte au front

Si les tensions n’ont cessé de monter entre Paris et Bamako ces derniers mois, elles se sont encore élevées d’un cran lorsque les soupçons de négociations en cours entre Bamako et Wagner se sont avérés. C’est d’abord par l’entremise de son chef de la diplomatie, Jean-Yves Le Drian, qu’Emmanuel Macron est monté au front. Le premier ayant brandit la menace d’un retrait total des troupes françaises.

« C’est absolument inconciliable avec notre présence (…) incompatible avec l’action des partenaires sahéliens et internationaux du Mali », a martelé le ministre français des Affaires étrangères le 14 septembre devant la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

Deux jours plus tard, à Bamako, le Premier ministre malien s’est à son tour livré à une critique en règle de la politique de la France au Mali. Choguel Maïga recevait ce jour-là les représentants de plusieurs associations de la société civile. Face à son auditoire, il vilipende le positionnement de la France au Mali.

Parmi ses griefs : le retrait annoncé, et amorcé, des troupes françaises de Barkhane, mais aussi l’interdiction supposée d’accès de certaines zones du territoire aux moyens aériens de l’armée malienne. Le Premier ministre malien évoque alors, sans la citer nommément, la société russe Wagner, avec laquelle son gouvernement est en négociation. Et aux critiques formulées par la France sur ce dossier, il répond par une accusation d’ingérence.

LA FRANCE N’A PAS D’INTÉRÊT CACHÉ AU MALI

Pour l’exécutif français, la sortie est difficile à avaler. Le 24 septembre, Joël Meyer, l’ambassadeur de France à Bamako, se fend d’un courrier dont on imagine chaque virgule validée par Paris. Une missive de « clarification », dans laquelle l’ambassadeur rappelle au passage qu’il n’a toujours pas été reçu par le chef du gouvernement malien, malgré une demande d’audience qui remonte à plusieurs mois.

L’interdiction de survol de certaines zones ? Une « affirmation qui ne correspond pas à la réalité ». Une ingérence de la France dans le choix des partenaires du Mali en matière sécuritaire ? C’est le recours éventuel à « une société privée de mercenaires, déjà coupable d’exactions et d’actions déstabilisatrices dans de nombreux pays, qui appelle de nombreuses questions ». Et l’ambassadeur de conclure, dans un phrasé peu diplomatique, que « la France n’a pas d’intérêt caché [au Mali] ».

Qu’à cela ne tienne. Le lendemain, Choguel Maïga repart à l’offensive. Et cette fois, c’est depuis la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU qu’il tire sa plus sévère salve. La France a « abandonné en plein vol » le Mali. Le pays « mis devant le fait accompli » de la fin de l’opération Barkhane, n’a pas d’autre choix que « d’explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome ou avec d’autres partenaires, de manière à combler le vide que ne manquera pas de créer la fermeture de certaines emprises de Barkhane dans le Nord de notre pays ».

JE NE PENSE PAS QUE LA FRANCE REMETTE TOUT EN CAUSE POUR CHOGUEL KOKALLA MAÏGA

À peine descendu de la tribune, le Premier ministre précise encore un peu plus sa pensée. Il accuse la France de ne pas avoir atteint ses objectifs définis lors du lancement de l’opération par François Hollande. Pire, Choguel Maïga affirme que la France a réinstallé les ex-rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) à la tête de Kidal, la grande cité du Nord où l’État central malien reste absent.

Le Premier ministre malien, dont les positions vis-à-vis de la France étaient déjà tranchées lorsqu’il était parmi les figures de proue du M5-RFP, s’est-il lancé dans une croisade contre Paris ? Au sein de la chancellerie française, la question se pose avec acuité. « Je ne pense pas que la France remette tout en cause pour Choguel Kokalla Maïga qui, nous le savons, ne pèse pas grand-chose électoralement au Mali et n’est finalement pas très représentatif », nuance pourtant une source diplomatique européenne.

Entretien en tête-à-tête

Emmanuel Macron, qui se garde alors d’intervenir publiquement, laisse sa ministre des Armées mener la riposte médiatique. Alors que la France compte une 52e perte dans ses rangs au Sahel, avec la mort du caporal-chef Maxime Blasco le 24 septembre au Mali, Florence Parly fustige des « contre-vérités […], des déclarations inacceptables [et] indécentes [revenant à] s’essuyer les pieds sur le sang des soldats français ». Et d’ajouter devant le Sénat le 29 septembre : « Si le Mali engage un partenariat avec des mercenaires, le Mali s’isolera, il perdra le soutien de la communauté internationale, qui est pourtant très engagée.»

Outre la réprimande publique, Emmanuel Macron décide également d’envoyer, plus discrètement, un émissaire afin de « faire passer le message de la France » aux autorités maliennes. Lundi 27 septembre dans la soirée, alors qu’il fait escale à Paris, au surlendemain de son discours à l’ONU, Choguel Maïga reçoit la visite dans son hôtel de Christophe Bigot, envoyé spécial de la France pour le Sahel. Le « Monsieur Sahel » d’Emmanuel Macron a un entretien en tête-à-tête, le temps d’une discussion « brève et courtoise », avec le Premier ministre malien. Trois sujets au centre des échanges : Barkhane, Wagner, et les craintes de la France de voir la transition être prolongée.

Le lendemain, sur le tarmac bamakois où il vient d’atterrir, Choguel Maïga adoucit sensiblement le ton. « Le peuple malien reconnaissant n’a jamais été et ne sera jamais ingrat », déclare le Premier ministre, pourtant accueilli ce jour-là par une foule conquise par ses propos offensifs envers la France des jours précédents.

Ce (petit) geste d’apaisement n’aura cependant pas calmé la colère du président français. Les propos de Choguel Maïga à la tribune de l’Onu sont « une honte » a tonné Emmanuel Macron, le 30 septembre, en marge du dîner de clôture de la saison Africa 2020 à l’Élysée.  « C’est inadmissible. C’est une honte et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement », a martelé le chef de l’État au micro de RFI.

Stratégies politiques

Emmanuel Macron n’a pas hésité à frapper fort, remettant en question la légitimité « démocratiquement nulle » du gouvernement malien, dirigé par un Premier ministre « enfant de deux coups d’État ». De ce gouvernement de transition, le président français a même affirmé n’attendre « rien », si ce n’est qu’il remette, dans les délais prévus, le pouvoir aux civils.

Tandis que la perspective d’élections générales en février 2022 s’éloigne, le Premier ministre chercherait-il à surfer sur le sentiment « antifrançais » qui prévaut dans une partie de l’opinion malienne ? « Choguel Maïga, qui a rejoint la transition militaire envers laquelle il s’est montré très critique, est en quête d’une légitimité. Pour cela, il s’aligne sur un discours populiste qui se vend très bien sur le continent, notamment parmi la jeunesse » abonde Abdoul Sogodogo, vice-doyen de la faculté de sciences administratives et politiques de Bamako.

Calendrier électoral

Emmanuel Macron en est persuadé, les sorties de Choguel Maïga sont à lire dans une perspective de stratégie politique personnelle. Mais au Quai d’Orsay, les diplomates relativisent le poids politique du Premier ministre malien. « Choguel Maïga n’a jamais dépassé les 2% à une élection, et, faute d’une réelle idéologie, il veut se présenter comme celui qui dit non aux grandes puissances et s’offrir une aura sankariste », tacle un diplomate européen.

Sauf que le Premier ministre n’a, officiellement, pas le droit de se présenter lors de la prochaine présidentielle. Certains en concluent donc qu’il ne joue aujourd’hui que le rôle de fusible pour les autorités de la transition. Son discours à la tribune de l’ONU ne peut en effet avoir été prononcé sans que le locataire de Koulouba, le colonel Assimi Goïta, n’ait donné son aval.

À ces considérations de politique intérieure malienne viennent s’adjoindre celles du président français, pour qui le calendrier électoral ne cesse de s’accélérer en vue de la présidentielle de 2022. Emmanuel Macron, dont il ne fait aucun doute qu’il sera candidat à sa propre succession, sait que l’intervention militaire française au Sahel est de plus en plus impopulaire. Ses futurs concurrents, quel que soit leur bord politique, manquent d’ailleurs rarement une occasion de le souligner.

Burkina Faso: les activités de l'ONG Norwegian Refugee Council suspendues

Jan Egeland du Norwegian Refugee Council (NRC) au camp de Barsalogho au Burkina Faso le 27 janvier 2020.

Jan Egeland du Norwegian Refugee Council (NRC) au camp de Barsalogho au Burkina Faso le 27 janvier 2020.
 © OLYMPIA DE MAISMONT/AFP

Au Burkina Faso, les autorités ont suspendu, jusqu'à nouvel ordre, les activités du Norwegian Refugee Council sur les sites de déplacés internes. Le pays compte plus de 1,4 million de personnes déplacées, selon les chiffres officiels. L'ONG est accusée de jeter le discrédit sur le gouvernement de Ouagadougou.

Dans un courrier circulant sur les réseaux sociaux, la ministre en charge de l'Action humanitaire justifie la suspension des activités de l'organisation, jusqu'à nouvel ordre. Hélène Marie Laurence Ilboudo Marchal évoque dans ce texte une « campagne de communication » de l'ONG et cite des interviews accordées à plusieurs médias.

Un communiqué de presse qui passe mal

Elle affirme que le Conseil norvégien pour les réfugiés tente de « discréditer le gouvernement » lorsqu'il explique notamment que les autorités refusent l'enregistrement des déplacés internes par les ONG.

Il y a moins d'un mois, dans un communiqué de presse, l'organisation évoquait des lenteurs dans l'enregistrement des personnes déplacées. Ces opérations menées par les autorités du Burkina Faso ralentissent leur accès à une aide adéquate. L'organisation proposait donc que des ONG puissent participer à ces opérations, pour accélérer les processus.

Vendredi 1er octobre, le Conseil norvégien pour les réfugiés expliquait avoir effectivement suspendu ses activités, sur toute l'étendue du territoire burkinabè, comme les autorités burkinabès le lui ont demandé, en début de semaine. L'ONG affirme vouloir mener des discussions avec le gouvernement burkinabè, pour pouvoir reprendre ses activités humanitaires.

Sollicitées par RFI, les autorités burkinabès n'ont pas souhaité s'exprimer sur cette suspension.

►À lire aussi : Au Burkina Faso, le nombre de personnes fuyant les violences atteint un niveau sans précédent

Sommet Afrique-France : une page va-t-elle se tourner à Montpellier ?

Mis à jour le 30 septembre 2021 à 15:20


Discours d’Emmanuel Macron prononcé le 28 novembre 2017 à Ouagadougou face à une assemblée d’étudiants de l’Université Joseph Ki-Zerbo. © Erwan Rogard/IP3/MAXPPP

La ville accueillera le 28e Sommet Afrique-France le 8 octobre. Aucun chef d’État n’a été convié à cet évènement qui donnera la part belle aux sociétés civiles et à la diaspora.

Invitée par Emmanuel Macron à participer au Sommet Afrique-France de Montpellier le 8 octobre, la jeunesse africaine s’y rendra, mais armée d’une certaine défiance. Pourtant, dans l’esprit du président français, l’objectif de ce sommet est sans ambiguïté ni arrière-pensée : il juge qu’il faut en finir avec les tabous et avec un passé tourmenté qui nourrit le ressentiment africain vis-à-vis de son ancien colonisateur et, pour cela, il convient de « commencer par tout se dire » et d’« inventer ensemble une amitié ».

On reconnaît là les accents de son discours prononcé le 28 novembre 2017 à Ouagadougou face à une assemblée d’étudiants de l’Université Joseph Ki-Zerbo très remontés contre la France et qu’il a en partie retournés par ses propos à la fois séduisants et provocateurs.

Efforts français

Depuis, Emmanuel Macron s’est appliqué à détricoter ce qui interdisait des relations Afrique-France décomplexées et égalitaires. Il a restitué au Bénin 26 œuvres du trésor d’Abomey et reconnu les crimes de la colonisation. Dans le cadre de la réforme du franc CFA, le Trésor français a rendu à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest les fonds déposés dans ses coffres. L’Agence française de développement (AFD) a augmenté d’année en année les dons et les prêts fournis à l’Afrique. La publication des rapports sur les relations françaises avec l’Algérie et le Rwanda ont traduit la volonté de l’Élysée d’assumer les scories du passé.

La France a aussi pris l’initiative d’une multitude d’événements et d’institutions sur le continent, comme Choose Africa, Digital Africa, Alliance Sahel ou Sport en commun. Pour liquider la « Françafrique », Emmanuel Macron a mis fin au tête à tête exclusif avec l’Afrique francophone et pris le chemin du Nigeria, du Soudan ou du Rwanda.

Au sommet de Montpellier, le président français espère toucher les bénéfices de ces efforts et reconstruire « un imaginaire commun » essentiellement avec la jeunesse africaine qui sera seule invitée. Aucun chef d’État n’y sera présent, mais seront mis en vedette 3 000 « personnes qui incarnent le renouvellement générationnel » souhaité par Emmanuel Macron.

IL N’APPARTIENT PAS À LA FRANCE DE GUÉRIR L’AFRIQUE DE SON TRAUMA COLONIAL »

Plus de 5 000 personnes ont participé à 66 débats préparatoires dans 12 pays africains, mais aussi dans la diaspora africaine. Souveraineté, égalité des sexes, climat, développement économique, création d’entreprise, démocratie, sécurité et même des sujets conflictuels ont donné lieu à des échanges vigoureux où l’invective était parfois présente, par exemple au sujet de l’intervention Barkhane au Sahel.

Ce foisonnement a été recueilli par l’écrivain camerounais Achille Mbembe et ses treize acolytes, afin d’être restitué à Montpellier sans filtre. Il s’agissait de préparer le débat avec Emmanuel Macron, prévu dans l’après-midi du 8 octobre en séance plénière pour dégager des pistes de réconciliation.

Méfiance vis-à-vis de la France

Des Africaines et des Africains connus pour leurs critiques à l’égard de l’ancien colonisateur ont accepté de participer à cette entreprise audacieuse. Achille Mbembe confiait à Jeune Afrique qu’il accompagnait « ce geste » par curiosité intellectuelle, mais aussi « pour veiller à ce que ce ne soit pas un simple exercice de communication ». L’économiste togolais Kako Nubukpo, grand pourfendeur du franc CFA, estimait dans ces colonnes que le sommet « sera l’occasion de poser les questions qui fâchent ».

Mais certains, comme l’écrivain Gaston Kelman, se sont insurgés contre un tel événement, parce qu’« il n’appartient pas à la France de guérir l’Afrique de son trauma colonial » et que « le lion ne peut pas devenir le guide des antilopes ».

En effet, ce qui domine dans l’imaginaire africain, c’est le plus souvent une grande méfiance vis-à-vis de la France, quels que soient ses dirigeants et quelles que soient leurs promesses. La colonisation, l’esclavage, le post-colonialisme, les dictatures soutenues depuis l’Élysée au lendemain des indépendances ont laissé des traces indélébiles.

Depuis son élection, Emmanuel Macron est-il parvenu à changer les relations avec l’Afrique ? « Un peu, répond Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique de l’ONU et professeur à l’Université du Cap et à Sciences Po Paris. L’évolution n’est pas bouleversante mais, dans l’ensemble, son projet est accepté en France comme en Afrique, à l’exception des radicaux. Il a réussi à changer un peu la donne, mais il n’est pas au bout de ses peines. »

SI LE DISCOURS DE LA FRANCE PEINE À CONVAINCRE, C’EST AUSSI PARCE QU’ELLE CONTRIBUE PEU À LA TRANSFORMATION AFRICAINE

« Il a commis quelques gaffes, comme ses propos sur la démographie africaine galopante, mais surtout il se comporte en puissance tutélaire en désignant qui peut venir au sommet de Montpellier. Il choisit les intellectuels qui le préparent. À l’évidence, il a une bonne intuition sur les domaines où doivent changer les relations franco-africaines, mais il irrite les Africains par un comportement qui les fait douter de ses intentions », reprend Carlos Lopes.

Convaincre la jeunesse africaine

Pour l’universitaire bissau-guinéen, « si le discours de la France peine à convaincre, c’est aussi parce qu’elle contribue peu à la transformation africaine. Ses investissements continuent à privilégier les combustibles fossiles et les matières premières. Pourquoi ne fait-elle pas comme les Singapouriens qui aident le Gabon à transformer son bois et le Bénin, à valoriser son coton ? On ne peut pas parler à la jeunesse sans l’aider à créer les emplois du futur dont elle a besoin. »

L’analyse de la camerounaise Koyo Kouoh, conservatrice de musée, n’est pas moins balancée, mais plus mordante. « Je suis curieuse de voir où le processus lancé par Emmanuel Macron va aboutir, mais je suis fondamentalement dubitative par rapport aux initiatives françaises, dit-elle. Je ne suis ni pour ni contre sa démarche, et je crois que c’est en se parlant qu’on arrive à se comprendre, mais je n’oublie pas que le président français est un politicien. Il est important que les gouvernements occidentaux et pas seulement celui de la France comprennent que l’Afrique est portée par sa société civile et non par ses dirigeants peu capables. »

LA FRANCE NOUS DOIT TOUT, PARCE QU’ELLE NOUS A TOUT PRIS

Pour elle, l’indulgence n’est pas de mise. « L’Afrique et la France sont mariées depuis cinq cents ans et ce mariage forcé a engendré une longue et violente relation, et provoqué énormément de séquelles dont notre génération porte les stigmates, car les émotions se transmettent de génération en génération, rappelle-t-elle. La conscience est têtue et quand on l’ignore, elle revient en force. Il faut que la France revisite sa propre conscience et comprenne que les remous que nous vivons et l’opinion dégradée que nous avons d’elle l’obligent à aller plus loin que les mots et les symboles. Il nous faut des actes.»

C’est-à-dire ? « La France nous doit tout, parce qu’elle nous a tout pris, martèle-t-elle. Elle doit demander pardon en toute conscience pour les torts qu’elle a commis et tenter de les réparer. » Koyo Kouoh le dira haut et fort le 8 octobre.