Je vous écris du Burkina Faso

Joëlle Jacques est journaliste, sœur du Père Georges Jacques, un Missionnaire d’Afrique belge, maintenant Assistant du Supérieur général après avoir été recteur du séminaire Lavigerie à Ouagadougou. Elle est venue visiter son frère en décembre 2003. Dix-sept jours de découverte qu’elle relate dans son livre Je vous écris du Burkina Faso. Nous vous en livrons quelques extraits.

« Que sais-je de l’Afrique noire ? Je ne pensais pas, jamais, aller là-bas. Peur sans doute de cette immensité suspendue comme une énorme et lourde grappe à la pointe sud d’une Europe minuscule et si légère sur les cartes de géographie.

Sans doute n’avais-je pas envie non plus qu’on me change les images de mes livres d’enfant. Les éléphants, la savane et les girafes, les lions, les déserts, les chameaux, les mines d’or, les singes, les crocodiles, Stanley et Livingstone, casqués de blanc, cherchant les sources du Nil…

Concrètement, en dépit des corrections dramatiques et désespérantes apportées par les colonnes de journaux, c’était ça, mon Afrique. C’était peu. Si peu. Le sort des pauvres, effrayant, n’excitait pas ma curiosité de riche.

Pourquoi prendre le risque d’aller se donner en pâture aux moustiques porteurs de paludisme pour vérifier qu’un continent est rongé par le sida, la famine, les guerres, les massacres, la corruption et les dictatures ?

Père Georges Jacques à RomePourtant mon frère vivait au Burkina Faso depuis bientôt trente ans. Et, quelque part au détour d’une émission radiophonique, j’avais saisi ce bout de sentence sans appel : “Si demain l’Afrique était engloutie dans l’océan, ce serait seulement 5% de l’économie mondiale qui disparaîtraient.”

(…) L’aéroport de Ouagadougou est tout petit. Le douanier fait une croix à la craie blanche sur mes bagages : quarante kilos bien répartis dans deux valises dont au moins les deux tiers pour mon frère : du chocolat Côte d’Or belge, du fromage de Maredsous, du camembert normand, de la bière du Nord, des vidéos de bons films classiques, du « toner » pour imprimante, des vêtements pour bébé, des médicaments, des livres, du courrier, des photos, un téléphone portable et, enfin, un sachet de pierres rectangulaires, plates et noires, conditionnées à Anvers et soigneusement calées dans une boîte de polystyrène expansé – je suis très intriguée, à quoi peuvent-elles bien servir ?

Dans la voiture, alors que je tâtonne pour attraper la ceinture de sécurité, mon frère m’initie immédiatement aux coutumes locales : “ C’est pas la peine… En plus, tu auras une grosse trace rouge en travers de ton tee-shirt.”

À peine avons-nous démarré que le Burkina me souhaite, à sa façon, la bienvenue : par les vitres ouvertes, le pays m’entre à grands flots de poussière rouge dans la gorge et le nez.

Georges me raconte que le matin même, vers 9 heures en pleine brousse, il a heurté une chèvre. Le radiateur de la voiture s’est détaché, l’eau est tombée sur le sol. La réparation a pris jusqu’au milieu de l’après-midi. J’entrevois, à travers l’anecdote, qu’ici le temps n’a pas la même durée ni le même prix qu’en Europe, que tout est loin de tout, que les dépanneuses sont beaucoup plus rares que les chèvres, mais qu’on se débrouille toujours.

Chapelle de la Maison LavigerieUne demi-heure plus tard, il y a longtemps que nous avons quitté le macadam, et la guimbarde de Georges aborde le secteur 22, Tampouy. Dernier virage à droite vers la Maison Lavigerie – c’est le nom du séminaire des Missionnaires d’Afrique, à Ouagadougou. Mon frère en est le recteur. La mission, comme disent les gens d’ici, est à la hauteur du dernier poteau téléphonique, sur la route de Pabré.

Poulets télévisés !Le lendemain de mon arrivée, après le petit déjeuner, nous partons à la messe à l’église Saint Jean Baptiste du village voisin. Georges officie, en mooré, la langue des Mossi… Le sermon de Georges fait rire la foule aux éclats, Aux gestes que le « mon père » esquisse, je devine qu’il est question de Marie et Joseph qui ne trouvaient pas de place à l’auberge. La célébration chantée, dansée, rythmée sur la peau des djembé et du bendré, dure une bonne heure et demie. Je songe à nos messes françaises ou belges d’il y a quelques années. En semaine, adaptées à nos standards – “ le temps, c’est de l’argent ” –, elles battaient tous les records de concision, expédiées en vingt minutes du signe de croix du début à la bénédiction finale, Et dix minutes plus tard, nous étions à la cuisine, chez nous au chaud, la tartine de Pastador à la bouche. Les paroissiens de Georges ont marché plus d’une heure dans la fraîcheur du matin – un petit 15º – pour se rassembler… »

Coupe de cheveux entre confrèresDans son livre de 132 pages, Joëlle continue en nous racontant ses découvertes d’une Afrique qu’elle ne connaissait pas et que son frère aime tant. Elle verra que le travail des missionnaires n’est pas seulement de chercher à baptiser, mais aussi de s’engager au service de la justice et de la paix, de conscientiser les gens face au sida, à la corruption, de les informer sur la manière d’économiser le bois, de réguler les naissances, etc.

Elle découvrira aussi les poulets bicyclettes, les poulets télévisés. Elle se fera beaucoup d’amis et saura maintenant que la sieste, seuls “ les fous et les chiens ne la font pas ”. Elle apprendra à préparer du tô et que la sauce est l’affaire de la femme. Elle verra des femmes, des vieillards et des enfants réduire en poussières, à la main, les rochers pour en faire du gravillon pour les routes.

Falaises de BandiagaraElle se rendra jusqu’en pays dogon, au Mali, pour y découvrir une mentalité toute différente (l’Afrique n’est pas la même partout) : ce petit voyage lui fait approuver les dires de son frère missionnaire : « Une année d’Afrique fatigue comme deux années d’Europe. » Après avoir roulé le long de la falaise de Bandiagara, elle se couche épuisée, le dos cassé : « Agaçants, les moustiques tournicotent. Le sommeil tarde. J’ai mal à des muscles dont j’ignorais l’existence. Sur le mur, en face du lit, un margouillat galope silencieusement entre la fenêtre et la penderie. Je l’observe un long moment, puis m’endors en priant Dieu qu’il prouve son existence. Par exemple en faisant que la moustiquaire, trouée ci et là, me protège du lézard. »

Tout le livre est rempli d’anecdotes savoureuses relatant ses découvertes, ses rencontres.

Joëlle au milieu de ses nouveaux amisElle conclut en écrivant : « Le Burkina Faso, le Mali, m’ont frappée au cœur. Quels adjectifs utiliser qui soient justes et décents pour les qualifier ? Une géographie somptueuse, une misère intense… Mes deux valises, si lourdes à l’arrivée, l’étaient encore plus au retour, remplies d’innombrables sachets d’arachides sucrées offerts avec de grands sourires. Et surtout, il me semble avoir plus appris de la vie en dix-sept jours d’Afrique qu’au cours des cinquante-cinq premières années de mon existence d’Européenne. »

Un livre à lire ! Joëlle le vend 10 €, 100% au profit des Missionnaires d’Afrique du Burkina Faso. Si vous désirez vous le procurer, contactez-nous en passant par la rubrique « Écrivez-nous ».

Jacques Poirier, webmaster