Cinq choses à savoir sur l’augmentation de capital de la BAD

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Les actionnaires de l’institution financière panafricaine, réunis à Abidjan le 31 octobre, ont accepté de doubler à 208 milliards de dollars le capital autorisé de la Banque africaine de développement. Des négociations serrées entre actionnaires à l’impact réel sur les opérations de la Banque, tour d’horizon de ce qu'il faut savoir sur cette décision « historique », selon Akinwumi Adesina, son président.

« Un jour historique », « un jour de joie pour l’Afrique ». C’est avec un mélange d’enthousiasme et d’autosatisfaction que  le Nigérian Akinwumi Adesina, qui préside la Banque africaine de développement (BAD) depuis 2015, a annoncé l’augmentation de capital de l’institution financière. D’ici à 2030, le capital de la BAD va en effet passer  « de 93 à 208 milliards de dollars », de quoi « nous donner beaucoup de ressources pour aller plus loin dans le développement de notre continent » a proclamé celui qui, en mai prochain sollicitera un nouveau mandat de cinq années à la tête de la Banque.

Comment les négociations avec les actionnaires se sont-elles déroulées ? Pourquoi cette augmentation de capital était-elle devenue indispensable ? Que faut-il en attendre pour les différents projets financés par la BAD ? Et quel sera l’impact de cette recapitalisation sur les chances de Akinwumi Adesina, qui est candidat à un second mandat ? Les réponses en cinq points.

• Un compromis avec les actionnaires non-africains

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Le siège de la BAD à Abidjan, en 2016. © Jacques Torregano pour JA

Le scénario intermédiaire permet à la BAD de poursuivre la croissance de ses prêts tout en maintenant des indicateurs solides d’adéquation des fonds propres

Trois scénarios étaient évoqués depuis pour l’augmentation de capital de la Banque africaine de développement : des hausses de 100%, 150% et 200%.

Les équipes d’Akinwumi Adesina, soutenues par plusieurs actionnaires africains, ont plaidé pour cette troisième option, arguant qu’elle était indispensable pour la poursuite du plan « High 5 » de la Banque (éclairer, nourrir, industrialiser, intégrer l’Afrique et améliorer la qualité de vie des populations).

Les actionnaires non-régionaux ont, eux, longtemps penché pour un rehaussement plus modéré, émettant parfois des réserves sur l’efficacité des décaissements et du fonctionnement de la banque. Ces actionnaires étrangers (États-Unis, France, Angleterre, etc.) représentent 41,1% de l’actionnariat de la Banque. Ils sont surtout les actionnaires les mieux notés et ceux dont la participation au capital – et la garantie implicite qu’ils se porteront au secours de la banque en cas de crise – rassure le plus les prêteurs de la BAD.

Au final, le capital de la banque augmente de 125%, passant à 208 milliards de dollars, soit une hausse de « 115 milliards de dollars » a annoncé Akinwumi Adesina. Ce scénario intermédiaire permet à la BAD de « poursuivre la croissance de ses prêts en se concentrant sur ses priorités High 5 tout en maintenant des indicateurs solides d’adéquation des fonds propres qui soutiennent son profil de crédit », se félicite David Rogovic, analyse de l’agence Moody’s.

• Une décision indispensable pour poursuivre les prêts

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Akinwumi Adesina en 2015 à Paris. © Vincent Fournier/Jeune Afrique-REA

 

Avec votre décision sur l’augmentation générale du capital, nous referons le plein

Durant la présidence de Akinwumi Adesina, aux commandes depuis septembre 2015, la BAD a sensiblement accru ses prêts, en ligne avec l’ambitieux programme du dirigeant nigérian. L’encours de crédits de la banque est passé de 17,83 milliards de dollars en 2015 à 26,3 milliards de dollars à la fin de 2018, composés à près de 80% par des prêts souverains.

Une montée en puissance soutenue principalement par de la dette, dont le stock est passée de 22,8 milliards de dollars en 2015 à 33,365 milliards de dollars l’an dernier. Or le conseil d’administration de la BAD a plafonné l’encours total de la dette de la Banque à 100 % du « capital utilisable ». Ce dernier est composé du capital libéré, des réserves et du capital exigible des « pays membres notés A- ou mieux » (voir plus bas).

Depuis 2015, ce ratio est passé de 58% à 83%. Dans l’attente d’une augmentation du capital – initialement anticipée il y a un an, lors des assemblées annuelles de Busan, en Corée – la banque avait d’ailleurs ralenti le rythme de croissance de ses prêts (+1,16 milliards de dollars de hausse nette de l’encours de prêts en 2018, contre +4,82 milliards en 2017 et +2,463 milliards en 2016).

Le patron de la BAD l’a d’ailleurs rappelé. « Avec votre décision sur l’augmentation générale du capital, nous referons le plein. C’est un moment historique, pour une décision historique. Votre décision finale sur l’augmentation générale du capital fera sentir ses effets dans le monde entier. Elle nous aidera à faire un grand pas en avant pour l’Afrique », avait plaidé Akinwumi Adesina devant le Conseil des gouverneurs, convoqué en réunion extraordinaire le 31 octobre 2019 à Abidjan, où siège la BAD.

• Qu’attendre des nouvelles ressources ?

Avec l’augmentation de capital, l’institution entend soutenir l’initiative « Desert to Power »

Les équipes de Akinwumi Adesina revendiquent avoir contribué, depuis quatre ans, à raccorder « 16 millions de personnes au réseau électrique », tandis que des « technologies agricoles » ont été fournies à 70 millions d’Africains, contre 31 millions de personnes bénéficiant d’un accès à l’eau et à l’assainissement.

Avec l’augmentation de capital, l’institution entend soutenir l’initiative « Desert to Power » qui « permettra l’accès à l’énergie pour 250 millions de personnes dans tout le Sahel ». Elle veut doubler son portefeuille de finance-climat à 25 milliards de dollars d’ici à 2025 et appuyer des projets d’infrastructures – comme l’autoroute Abidjan-Lagos – et la mise en oeuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca).

• Capital libéré, utilisable, exigible…

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A la bourse de Casablanca, en 2015 (illustration). © Photo Alexandre Dupeyron pour JA

L’augmentation de capital de 115 milliards de dollars approuvée à Abidjan n’implique pas que ce montant sera immédiatement mis à la disposition de la BAD. Comme cela a été le cas lors des six précédentes augmentations générales du capital (AGC), notamment celle de mai 2010, lors de laquelle le capital autorisé de la banque a quasiment triplé, seule une partie de ces ressources sera déboursée.

« Nous nous attendons à ce que la grande majorité de l’AGC se présente sous la forme de capital exigible, à l’instar des anciennes AGC », souligne l’agence Moody’s, qui rappelle d’ailleurs que pour la part du capital qui sera effectivement déboursée, les « versements s’échelonneront en moyenne sur une dizaine d’années ».

À la fin 2018, le capital autorisé de la BAD atteignait 93,15 milliards de dollars, dont seulement 6,894 milliards avaient été effectivement déboursés par les pays actionnaires de la BAD (soit 7,4% du total).

Pour autant, le capital « exigible » reste indispensable pour l’institution, même s’il n’est pas déboursé. En effet, ces ressources pouvant être mobilisées en cas d’urgence, cette part du capital, particulièrement celle des pays développés, rassure les marchés financiers et est cruciale pour la notation de la BAD.

Cette augmentation de capital « est conforme aux hypothèses de Fitch Ratings lors de sa dernière revue de notation”, explique Khamro Ruziev de Fitch Ratings. « Elle renforcera la notation AAA de la banque qui repose principalement sur le soutien de ses actionnaires. Ceci souligne l’importance pour ses actionnaires du mandat de la banque pour la stimulation du développement en Afrique », explique l’analyste.

• Un plus pour la candidature de Akinwumi Adesina

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Cérémonie d'ouverture du Africa CEO Forum en mars 2016 à Abidjan (Côte d'Ivoire).
Discours d'Akinwumi A. Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD).
© Jacques Torregano/Divergence/AFRICA CEO FORUM/Jeune Afrique

Rien n’est encore joué pour Akinwumi Adesina, notamment du côté des actionnaires internationaux

L’approbation de cette augmentation de capital – bien qu’elle soit en-dessous des niveaux souhaités par les équipes d’Akinwumi Adesina – constitue néanmoins une marque de confiance envers le président de l’institution, alors que ce dernier sollicitera, en mai prochain, un nouveau mandat de cinq ans.

En mai dernier, durant les assemblées générales de la BAD à Malabo, la probabilité d’une reconduction par acclamation du dirigeant nigérian à son poste – comme cela avait été le cas pour ses deux prédécesseurs le Rwandais Donald Kaberuka et le Marocain Omar Kabbaj – ne faisait pas l’unanimité, certains actionnaires préférant un processus compétitif, quand l’hypothèse d’une candidature féminine n’était pas évoqué.

Rien n’est encore joué pour Akinwumi Adesina, notamment du côté des actionnaires internationaux. Les émissaires de l’administration Trump se sont parfois montrés réservés envers le management de la banque, la prépondérance des prêts aux États et la place de la finance-climat dans les opérations, tandis que d’autres actionnaires, en Europe particulièrement, plaident pour une prise en charge plus importante des pays fragiles.

Mais le patron de la BAD dispose de plusieurs appuis, notamment du côté du Nigeria, son pays natal et le premier actionnaire africain (9,33%), mais également de la Côte d’Ivoire. Si Abidjan avait été froissé par le renvoi surprise en janvier 2018 de l’Ivoirien Albéric Kacou, vice-président en charge des ressources humaines et des services institutionnels, les rapports semblent meilleurs. Le chef de l’État ivoirien Alassane Ouattara et Kaba Nialé, sa ministre du Plan et du Développement, se sont particulièrement engagés en faveur de Akinwumi Adesina. Il en va de même pour César Augusto Mba Abogo, le ministre équato-guinéen de l’Économie, même si Malabo n’a pas annoncé son soutien officiel.