Burkina Faso : les grandes manœuvres
dans l’état-major parviendront-elles
à réduire l’insécurité ?

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Les défis sont de taille pour l'armée burkinabè.
Les récents changements à la tête de l’appareil militaire
suffiront-ils à les relever ?

Lentement, insidieusement, le même scénario se répète. Comme dans le centre du Mali voisin, les tueries intercommunautaires s’ajoutent désormais aux attaques jihadistes dans le nord du Burkina Faso. Les 1er et 2 janvier, les Burkinabè ont découvert avec effroi qu’une cinquantaine de civils peuls – plus d’une centaine, selon des ONG locales – avaient été tués par des Koglweogo (membres de milices d’autodéfense, majoritairement Mossis) dans la zone de Yirgou (centre-nord). Un bain de sang sans précédent qui a profondément choqué une nation jalouse de la coexistence, jusqu’alors pacifique, entre ses nombreuses communautés.

Depuis, les violences à caractère ethnique se multiplient, nourries par le poison de la vengeance. Début avril, plus de 60 personnes ont péri dans de nouveaux affrontements intercommunautaires à Arbinda, dans le Soum (nord).

Pour noircir encore ce tableau, les groupes jihadistes continuent à cibler civils, fonctionnaires et forces de défense et de sécurité dans le Nord et l’Est. Raids nocturnes, embuscades à l’aide d’engins explosifs improvisés, enlèvements de Burkinabè et d’étrangers… L’armée, par ailleurs accusée d’exactions et d’exécutions sommaires lors de récentes opérations antiterroristes, peine à sécuriser son territoire, dont de larges pans sont devenus infréquentables.

Problème de leadership

À un an et demi de la fin du quinquennat, il y a donc urgence pour Roch Marc Christian Kaboré à inverser cette tendance. En janvier, le président a opéré plusieurs changements majeurs dans l’appareil sécuritaire. D’abord en nommant le général Moïse Miningou au poste de chef d’état-major général des armées, puis en confiant le ministère de la Défense à l’un de ses proches, Chérif Sy, et celui de la Sécurité à un colonel de gendarmerie, Ousséni Compaoré.

La donne est en train de changer sur le terrain

« Il y avait un problème de leadership. La chaîne de commandement a été modifiée. Maintenant les troupes font le job », assure un intime de Kaboré. « La donne est en train de changer sur le terrain », confirment plusieurs officiers. Cette armée en reconstruction, débordée par la guerre asymétrique que lui imposent ses adversaires, doit relever un défi de taille : stopper la propagation de l’insécurité et tenir simultanément les fronts nord et est, le long des plus de 1 600 kilomètres de frontière avec le Mali et le Niger.


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En plus du maintien de son dispositif dans le Nord, ordre a été donné à la nouvelle hiérarchie militaire de se concentrer sur l’Est, où des groupes jihadistes se sont implantés en 2018. « Il y a d’immenses forêts dans cette zone, où il est aisé de se cacher. Si on les laisse y prendre racine, il sera très compliqué de les en déloger. D’où l’importance d’agir rapidement », explique un interlocuteur au ministère de la Défense. De mars à avril, l’armée y a mené l’opération Otapuanu.

Après l’Est, les chefs militaires entendent déployer de nouvelles opérations dans le Nord pour, là aussi, tenter de réinstaller l’administration et de rouvrir des écoles

Une trentaine de jihadistes présumés neutralisés

Cette grande manœuvre antiterroriste, qui a mobilisé des moyens aériens et terrestres importants, avait pour objectif de restaurer l’autorité et les services de l’État dans une région qui, petit à petit, lui échappe. Selon nos informations, une trentaine de jihadistes présumés ont été neutralisés, certains arrêtés (dont l’un de leurs principaux chefs, Oumarou Diallo) et des bases démantelées. Le tout, le plus souvent, grâce aux informations collectées sur le terrain par l’Agence nationale du renseignement (ANR). « Tout cela va dans le bon sens, les résultats sont là », se félicite Simon Compaoré, ex-ministre de la Sécurité. Reste maintenant à garder sous contrôle cette région stratégique, frontalière des voisins côtiers que sont le Bénin et le Togo.

Après l’Est, les chefs militaires entendent déployer de nouvelles opérations dans le Nord pour, là aussi, tenter de réinstaller l’administration et de rouvrir des écoles, mais pas seulement. En novembre 2020 se tiendront les élections présidentielle et législatives. Ce serait un échec que le scrutin ne puisse être organisé dans certaines zones, faute de sécurité.


Alliance française

Si les Français ont été tenus à l’écart de l’opération Otapuanu, ils restent des alliés majeurs sur le plan sécuritaire. À la fin de 2018, sous la pression des groupes jihadistes, les autorités burkinabè avaient fait appel à la force Barkhane pour des opérations conjointes dans l’Est et le Nord. Un accord avec la France a ensuite été signé, en décembre, lors de la visite de Roch Kaboré à Paris, pour encadrer cette coopération. Depuis, les forces françaises ont essentiellement mené des évacuations sanitaires. Elles dispensent aussi des formations militaires.